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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 06:00

David Foenkinos. Lennon. Paris : Plon, 2010.

 

http://www.storylab.fr/var/plain_site/storage/images/actualites/le-nouveau-roman-de-david-foenkinos-john-lennon-868/5706-3-fre-FR/le-nouveau-roman-de-David-Foenkinos-John-Lennon_reference.jpgComme de nombreux lecteurs, j'ai beaucoup aimé La délicatesse de David Foenkinos. Deux belles histoires d'amour racontées par quelqu'un qui aime les gens et qui brille tout particulièrement lorsqu'il s'agit de faire appréhender la surface des choses. Et puis, il faut dire que ce livre commence par la phrase suivante : "Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse)". Les connaisseurs apprécieront.

 

J'ai donc pensé remonter le cours du temps et de la carrière de ce jeune écrivain pour me plonger dans son Lennon. Dans la postface de son livre, Foenkinos nous informe que son premier souvenir d'enfant fut l'assassinat du musicien par ce Chapman qui avait poussé le mimétisme avec son idole  jusqu'à la folie haineuse. Pour ce qui me concerne, je vibre à la musique des Beatles depuis 1963, quand mon correspondant anglais me fit découvrir "She loves you", "I saw her standing there" et quelques autres pépites. J'avais 15 ans et je n'y croyais pas. Elvis Presley et sa version guimauve de "Plaisir d'amour", Johnny, Eddie, Richard, Clo-clo étaient balayés, inexistants. Je gardais toute mon affection pour Chuck Berry (j'ai fredonné "You never can tell" toute ma vie). Le reste de la création rock/pop ne faisait pas le poids face à Lennon et McCartney.

 

Quelques annéesplus tard, je rédigeais un mémoire de maîtrise sur les Beatles, sous la direction de mes deux mentors successifs André Crépin et Bernard Cassen. Puis une thèse de Troisième cycle sur la pop music dans une perspective sartrienne, avant de me tourner vers la littérature (Orwell tout particulièrement), mais sans jamais oublier le quatuor fabuleux de mon adolescence à qui je consacrais divers articles scientifiques. Par exemple celui-là (link), ou encore celui-ci (link). Je me suis récemment souvenu que mon premier article jamais publié (dans une revue d'enseignants de langues vivantes) était consacré (en 1970) à la biographie de Hunter Davies, "autorisée", donc passablement écrémée. Bref, les Beatles ne m'ont jamais quitté. Aujourd'hui, j'initie mes deux dernières à leur oeuvre inouïe. Dans quelques années, je leur ferai lire le livre de Foenkinos.

 

Quand, comme moi, on a lu une quinzaine d'ouvrages à tendance biographique consacrés à John, Paul, John et Ringo, force est de constater que ce Lennon est celui d'un très fin connaisseur qui s'avance avec respect et empathie dans des terres complexes : le cerveau, les affects, la sensibilité, les points névrotiques d'un vrai génie. Certains ont pu dire que Foenkinos était trop dandy pour être honnête. Je ne connais pas du tout l'individu, et pas suffisamment son oeuvre pour corroborer une telle accusation. Ce que je sais en revanche, entre autre depuis le Flaubert de Sartre - ou encore le Fouché de Zweig, c'est que, pour aller jusqu'à la vérité de l'autre, il faut aller au fond de soi-même, oser l'autre au sens où chaque ligne écrite est un danger pour soi. David Foenkinos l'a réalisé de manière à ce point magistrale qu'après quelques pages où il a installé Lennon sur le divan d'un psychanalyste, on oublie qu'on lit un texte d'un écrivain – de fiction – français : on écoute, "pour de vrai", comme disent les gosses, les confessions de John et rien d'autre.

 

"Nous sommes plus populaires que le Christ". Dans une longue interview accordée à une amie journaliste, Lennon ne faisait qu'énoncer une évidence. Dans une époque de grandes mutations socioculturelles (je ne parle pas de "révolution", ni même de "bouleversements"), ils ETAIENT plus populaires que le Christ. Ce qui taraudait John qui ne voulait pas de ce délire mais qui, dans le même temps, savait depuis les débuts à Hambourg, bien avant l'enregistrement de "Love me do", qu'ils allaient casser la baraque . D'où le mal être profond d'un garçon qui, à cause d'une histoire familiale passionnément rendue par l'auteur, se considérait aussi comme un "pauvre type".

 

La relation de John à sa mère est magnifiquement "confessée". On se souvient de "Julia", cette douloureuse chanson de l'"album blanc" :

 

Half of what I say is meaningless

But I say it just to reach you Julia.

 

"To reach". Atteindre l'autre. Cela aura été l'obsession de John, pour certaines femmes en particulier, avec une urgence identique à celle de cette enseignante qui avait décidé de sortir Helen Keller de la bestialité et de son silence total. Écoutons comment Foenkinos décrit le moment où l'adolescent, complètement perdu, choisit son père contre sa mère :

 

Elle m'a regardé droit dans les yeux, et j'ai vu toute sa détresse à cet instant, c'était tout le désespoir du monde figé dans une pupille. Elle est partie tout doucement. Je pense qu'elle a tenté de dire quelque chose, de m'embrasser, de sourire, peut-être, mais tout ça était impossible, puisqu'elle était morte vivante.

 

On sait que, quelques années plus tard, alors qu'il aura renoué avec Julia, elle "partira" pour de vrai, fauchée par un policier alcoolique au volant. Les rapports de John avec son père (voir la chanson "Mother") seront abominables : il aura, selon l'auteur, "construit sa vie sur les cendres de son absence". "Au secours, j'ai besoin de quelqu'un, pas n'importe qui, quelqu'un". C'est ainsi que s'ouvre la chanson titre du film Help. En surface, une blague ; dans la réalité l'expression d'une terreur. On verra qu'il trouvera ce quelqu'un, cet autre lui-même avec qui il fusionnera en la personne de Yoko Ono.

 

Parce qu'il a fort bien lu les livres de John In His Own Write et A Spaniard in the Works (En flagrant délire, dans la très bonne traduction de Christiane Rochefort), Foenkinos explique remarquablement que toute l'inspiration de Lennon, sa mécanique inspiratoire, dirais-je, vient d'Alice au pays des merveilles. Pour calmer sa névrose, il va tordre la réalité sans la nier, pour mieux l'affronter. Ce myope comme une taupe fermera les yeux pour pouvoir (se) raconter des histoires afin de sortir de lui-même avant d'être "maître en sa demeure" comme je l'ai exposé dans mon étude, mentionnée ci-dessus, de la chanson "Strawberry Fields Forever".

 

Grâce à sa rencontre avec Yoko, John deviendra enfin adulte. Il n'aura plus besoin de se chercher, d'être dans le mentir-vrai. Seulement John étant le chef des Beatles (se considérant comme tel en tout cas), la mue va poser d'énormes problèmes sur lesquels il revient de manière un peu désinvolte sous la plume de l'auteur :

 

Au fond, quand j'ai rencontré Yoko et que le groupe a explosé, j'étais juste un mec qui tombait amoureux et qui délaissait ses potes. C'était absolument typique. Sauf que là, les potes en questions étaient les hommes les plus célèbres du monde. (...) Ce n'est pas la première fois que des amitiés adolescentes s'évaporent quand vient l'âge adulte. (...) On a juste emprunté des voies différentes pour vivre notre vie d'adulte. On est unis quoi qu'il arrive. Quand les gens pensent à Paul, ils pensent à moi. (...) Paul a toujours un pied dans les années 50. J'ai l'impression qu'il a traversé notre folie sans être modifié. Il me fascine pour ça. je suis mort et j'ai revécu des millions de fois, alors que lui, il est toujours là, immobile et hiératique avec son sourire de notre rencontre.

 

"John" évoque le caractère unique, la magie du tandem  qu'il a formé avec Paul :

 

Nous sommes nés égaux. C'est ce qui a été beau dans notre collaboration. On s'aidait, on se complétait mais on ne s'influençait pas. Quand on écoute toutes les chansons des Beatles, on voit à quel point chacun a conservé son terrain sonore. On a passé une décennie à se mélanger, sans jamais déteindre l'un sur l'autre. Je crois que notre succès vient de là : de cette étrange alchimie entre l'autonomie et l'union.

 

Parmi d'autres, la chanson "A Day in the Life" rend compte de cette union. Avec Yoko va venir le temps de l'engagement. D'abord le pacifisme, dont "John" dit qu'il n'est que "le fruit de sa violence". Il fallait en passer par les "bed-ins", tellement moqués, pour faire germer quelque chose de positif à partir du terreau de la haine. Cet engagement ne sera possible que parce que John verra en Yoko ("la femme la plus homme du monde") une figure masculine d'accoucheur de pensée. Il trouvera en elle l'amour absolu, "une personne qui réduit le monde à néant" parce qu'elle est elle-même un monde. Spirituellement, l'expérience indienne (dont Yoko ne sera pas) sera un fiasco. Musicalement, elle permettra des chefs-d'oeuvre.

 

Puis, après de nombreuses vicissitudes, le couple connaîtra un nouveau départ : "Just like starting over".

 

Mais Chapman va poser un genou au sol et tirer cinq balles à bout portant.

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