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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 05:41

Pour la dernière fois, peut-être, je voudrais revenir sur l’horripilant « Cher-e-s ami-e-s, chere-e-s militant-e-s » et autres horreurs.

 

En français comme dans de nombreuses autres langues (en tout cas celles que je connais de près ou de loin), le genre n’est pas nécessairement conforme au sexe. Et tous les fanatiques du politiquement correct n’y pourront jamais rien.

 

Dans notre belle langue, celle de la raison de Descartes, des noms féminins s’appliquent uniquement aux hommes. On dit « une petite frappe » et non « un petit frappe ». On dit que tel chanteur d’opéra est « une basse » et pas « un bas ». Paul est « Sa Sainteté » et non « Son Saint ». On dit également une tapette, une gouape. Et, à l’armée, une ordonnance. Qui peut servir de sentinelle.

 

Dans le même temps, des noms masculins s’appliquent à des femmes : on ne dit pas « une bas-bleu », « une contralto » (lorsqu’on parle de la voix d’une chanteuse). Au XIXe siècle, la petite employée d’une modiste était « un trottin ». Qui trottinait. Dans le langage familier, quand on dit d’une personne que c’est « un laideron », il s’agit d’une femme (même si, au moyen-âge, le mot était féminin). On a fini par adopter le mot « laideronne ». Quatre fois sur cinq, le mot masculin « souillon » s’applique à une femme.

 

Et puis, il y a les fameux mots épicènes, ceux qui n’ont qu’un genre, quel que soit le sexe des personnes qu’ils qualifient. Alors là, la lutte des classes bat son plein (sa pleine ?). Il n’y a pas d’« amphytrionne », pas d’« angèle » (les anges n’ont pas de sexe, mais il est masculin), pas de « clerque » de notaire, pas d’ « artilleuse », pas d’« autrice » (qui devrait être le féminin d’« auteur » – sur le modèle de « factrice », mais Taine, qui connaissait bien l’Angleterre, a utilisé « autoresse »), pas d’« apotresse », pas de « bourrelle » (repéré une fois chez Colette qui s’en amusait), pas de « fausse-monnayeuse », pas de « censeuse », pas de « flirte », pas de « forçate », pas de « goinfrette », pas de « gourmette », pas d’« individue », pas de « membrette », pas de « pariate », pas de « tyrane », pas de « première violone ». On ne dit pas non plus « elle m’a pris en traîtresse ».

 

 

On peut – on doit – féminiser. Encore faut-il le faire intelligemment, dans le respect du génie de la langue. Disons « une écrivaine » et non « une écrivain ». A noter que le féminin d’« écrivailleur » est « écrivailleuse » et non « écrivailleure » mais qu’ « écrivaillon » n’a pas de féminin. Disons « malfaitrice » et non « malfaiteure ». Disons avec Marcel Aymé « une ministresse » et non « une ministre » (ouïe, la lutte des classes !). Disons « une peintresse » (et non « une peintre »), une « sculptrice » ou une sculpteuse » (comme on dit « une fraiseuse», mais là il s’agit – lutte des classes – d’une ouvrière comme on n’en fait plus) et non « une sculpteure ». Disons « une voyoute », et non « une voyou ». Je comprends que « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance » (Code civil) pose problème car « épouse » existe. Que fera-t-on de l’expression figée « d’égal à égal » (« Hollande et Merkel ont discuté d’égal à égal », « dans ce type de rôle, cette actrice n’a pas son égal car elle est sans rival et n’a pas son pareil ») ? Les plus grands ne se sont pas gênés. Restif de la Bretonne a utilisé « autrice » et Voltaire « professeuse » – sur le ton de la moquerie, tout de même – sur le modèle d’empoisonneuse.

 

Depuis les années trente, on dit « aviatrice » et non « aviateure », « auditrice » (je sais que certain-e-s auraient aimé « cher-e-s auditeur-e-s »), « électrice », « postière ». Et aussi « championne » (ah, Laure Manaudou, cette grande « champion » !). « Officière » ne fait pas – encore – partie du vocabulaire de l’armée, mais appartient depuis le XIVe siècle à celui de l’Église et, depuis 1949, à celui de l’Armée du Salut. Le péjoratif « officemar » n’a pas de féminin. La journaliste et écrivaine Michèle Perrein, qui proclamait être devenue féministe « par amour des hommes », avait fort bien posé le problème dans Entre chienne et louve (1978) : « Lorsque des tas d’entre nous auront été formées à l’École polytechnique, seront devenues officières de marine ou d’aviation, fliquesses en tous genres, le pouvoir sera peut-être partagé, mais il s’agira toujours d’un pouvoir instauré selon des idées et des normes masculines. »

 

On ne saurait passer sous silence le cas des bébés, des enfants en bas âge. En anglais, ils sont plutôt du neutre, alors que les animaux de compagnie sont plutôt masculins et féminins. En français, ils sont majoritairement masculins. On rencontre très rarement « une nouvelle-née ». Ainsi que « nourrissonne » ou « enfançonne ». Mais cela peut changer. Le mot « enfant » lui-même sera utilisé pour parler d’une petite fille (« il a sauvé l’enfant de la noyade »). Les Enfants de Marie sont une congrégation de jeunes filles catholiques. L’expression « une enfant » est généralement condescendante (« une malheureuse enfant »).

 

Je ne sais trop ce que les féministes politiquement corrects ont à dire des noms féminins qui recouvrent des réalités uniquement masculines. « Une canaille », « une femmelette », « une sentinelle », « Sa Majesté le roi », « une grosse légume », ce sont des hommes. De Gaulle fut « une grande star de la politique ». « Ce type est une vraie bête » signifie aujourd’hui qu’il est un gros balèze, mais cela n’a pas toujours été le cas. « Gens » est masculin, mais pas quand il est immédiatement précédé d’une épithète : « les petites, les bonnes, les vieilles gens ». Mais « les gens de bien », « les gens de sac et de corde » sont du masculin.

 

Que les politiquement corrects s’inspirent de la richesse et de la diversité de la langue. L’histoire, la tradition, le rapport des forces veulent qu’on parte généralement du masculin, forme neutralisée, pour créer le féminin. On a vu l’inverse : « veuf » (1596) vient de « veuve » (1226). « Puceau » (1530) vient de « pucelle » (1050), même si ce dernier mot vient de pullus, petit d’un animal. « Gourgandin » vient de « gourgandine ». « Juif » vient de « juive » (juef a été reconstitué à partir de juieue). Pour constituer le féminin, on a l’embarras du choix. Il y a le classique « e » qui peut être muet ou pas, surtout si l'on parle avec l'accent du sud (« une amie », « une Espagnole », « une ourse »). Les mots terminées en « e » dans l’écriture ne bougent pas : « une cycliste », « une dentiste », « une Belge ». Le français distingue « une hôte », celle qui est reçue, d’« une hôtesse », celle qui reçoit, (pas de distinction au masculin).

 

Il y a des féminins qui gardent la marque du masculin. Depuis les rapatrié-e-s (damned, je suis fait) d’Algérie, une « pied-noir » peut être une « sans-cœur » car elle est « ronchon ». On dit « une Anglaise » mais « une Viking ». « Esquimaude » tend à remplacer « esquimau », même si ce sont de vrais « poisons ». « Laponne », comme « Nipponne » sont des formes attestées.

 

Le français a créé « chouchoute » (à partir de « chou »), ou encore une « rigolote hobereaute ». Celle-ci peut être « une butorde », même si elle est une « baillive » (qui n'exerce pas, qui est la femme du).

 

Je rappelle par ailleurs, même si cela défrise, qu’un certain nombre de féminins se terminent en « esse » depuis des lustres. On ne dit donc pas « une comte », « une chanoine », « une abbé », « une duc », « une dieu », « une bougre », « une mulâtre », « une notaire », « une druide », « une tigre », « une Suisse », « une pape », « une pasteure », « une vengeure ». À noter – toujours la lutte des classes – que les politiquement corrects parlent d’« une maîtresse d’école » mais d’« une maître de conférences ». Foskifo, comme disait ma grand-mère qui avait le certif'.

 

Je pourrais développer à l’infini. Je termine par quelques exemples de féminins qui ne sortent même pas de l’ordinaire : « une bufflonne », « une reine », « une chanteuse » (et non « une chanteure »), « une cantatrice » (qui n’a pas de masculin), « une procureuse » (la magistrate) et non « une procureure », mais « une procuratrice » (celle qui procure), « une débiteuse » (celle qui doit) mais « une débitrice » (celle qui débite »).

 

Au boulot, les politiquement correct-e-s !

 

 

PS : A propos de lutte des classes, je vous soumets une hypothèse émise par quelqu'un qui m'est cher. Savez-vous pourquoi, en anglais comme en français, et dans d'autres langues, les verbes les plus courants sont très souvent irréguliers ? Parce qu'ils sont courants. Donc ils font ce qu'ils veulent et ils nous les cassent. C'est ça la lutte des classes.

 

PPS : Pour parler d'autre chose. A Auch, préfecture du Gers, s'est installé un marchand de bière, semble-t-il belge. Savez-vous dans quelle langue il communique par écrit avec ses clients ? Je vous le donne en mille :

Méprisons la langue française (36)

Qu'il ne s'étonne pas si, rapidement, il se retrouve “ closed for good ”.

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commentaires

I
Je me rappelle une petite chanson , lorsque je faisais une colo avec des enfants du "vieux -Lille -qui était vraiment un quartier populaire- où il était question de capucin et capucine , de carabin et carabine , de mandarin et mandarine.Je ne sais si les enfants comprenaient ce qu' ils chantaient avec autant d enthousiasme, la monitrice que j'étais, essayait de le leur expliquer . Mais c'était avant .<br /> A propos de bourelle , on trouve bourrèle chez Barbey d'Aurevilly (docta cum libro sum ).
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G
A Pschitt : celle qui s'occupe de l'habitat urbain ?
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P
La "débiteuse" m'a un peu effrayé .......
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