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11 décembre 2019 3 11 /12 /décembre /2019 06:09

Lignes de FrontLuttes sociales par Pâquerette Gracile.

 

 

De l’entre-deux-guerres au programme du Conseil national de la Résistance : vers le régime général par répartition

 

Après la Première Guerre Mondiale, l’idée de retraite s’est enracinée dans les esprits et est désormais considérée comme un droit dû à chaque travailleur, et un véritable salaire différé. Les retraités constituent désormais une catégorie sociale à part entière, comme le montre la création de groupements de retraités, dont les deux plus importants dans les années 30 sont l’Union syndicale des pensionnés civils et militaires et l’Entente générale des retraités. On assiste alors à la seconde tentative de mise en place d’un régime de retraite obligatoire pour les salariés du secteur privé les plus pauvres avec les lois de 1928 et 1930 qui créent les assurances sociales : le financement de la maladie, du décès et de la maternité est assuré par répartition, tandis que celui des retraites l’est par capitalisation. L’assuré reçoit une pension représentant 40% du salaire moyen sur la période de cotisation à partir de l’âge de 60 ans et de 30 annuités de travail. Sous le Front Populaire le sujet reste crucial puisqu’entre 1936 et 1939, pas moins de 24 projets et propositions de loi concernant les retraites seront déposés, sans qu’ils aboutissent finalement. Dans l’ensemble des pays européens, la crise des années 30 (inflation et dévaluations successives) montre les limites du principe de capitalisation et mène à son abandon progressif, avec le passage à un système de répartition en France sous le régime de Vichy dès 1940. Une allocation spéciale pour les vieux travailleurs salariés (65 ans et plus) disposant de ressources moindres est votée en mars 1941 au motif de la solidarité entre les générations et dans le but de retirer les plus fragiles et les moins aptes du marché du travail afin d’embaucher les plus jeunes et faire ainsi baisser le taux de chômage. Le principe de répartition est conservé dans le programme du Conseil National de la Résistance et la création de la Sécurité Sociale par l’ordonnance du 4 octobre 1945 acte un système d’assurance-vieillesse par répartition, avec un âge de la retraite établi à 60 ans et 30 annuités pour une pension fixée à 20% du salaire annuel moyen sur les dix dernières années, qui passe à 40% à partir de 65 ans. Comme le prévoyaient Les Jours heureux, il s’agit de mettre en place « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». Le régime est d’abord pensé pour être universel, mais les fonctionnaires et les salariés des régimes spéciaux conservent leur propre système de retraite, plus avantageux, de même que les agriculteurs avec la Mutualité Sociale Agricole. À partir de 1948, les professions non salariées (artisans, commerçants et professions libérales) organisent leurs propres régimes de retraite. Par rapport à la loi de 1928-1930, le régime général est plus favorable aux salariés, mais montre ses limites : les personnes ayant achevé leur carrière avant 1930 ne sont pas concernées, la tranche de salaire qui dépasse le plafond n’est pas prise en compte pour le calcul de la pension, et le taux de cette dernière (entre 20% et 40% du salaire actif) demeure insuffisant.

 

De l’après-guerre aux années 80 : la retraite intégrale pour tous et toutes

 

Même s’il s’agit d’une entorse au principe d’universalité, des retraites complémentaires sont créées avec l’appui des syndicats pour éviter le retour à des mécanismes par capitalisation pour compléter la retraite générale, notamment pour les cadres du secteur privé avec l’AGIRC en 1947, puis pour les non cadres de l’industrie et du commerce, et les agents du public non titulaires avec l’ARRCO en 1961, si bien qu’en 1978 l’ensemble de la population active est couverte par les systèmes de retraite, générale et complémentaires. On observe également une amélioration progressive des conditions des retraités avec la création en 1952 d’une allocation spéciale pour les personnes ne relevant d’aucun régime de retraite, et en 1956 du Fonds National de Solidarité, allocation financée par l’impôt qui vise à compléter les pensions faibles, et qui concerne quand même plus d’un million de personnes à la fin des années 50. De la même manière, il est décidé dès 1948 d’indexer les pensions, ou encore de mettre en place une réversion pour les conjoints veufs, finalement cumulable avec sa propre pension. La loi Boulin de 1971 marque un moment important en faisant passer le taux de retraite du régime général à 50% du salaire annuel moyen sur les dix meilleures années pour 37 ,5% annuités de cotisation. Avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981, le taux plein de la retraite est atteint dès 60 ans, âge auquel on peut également toucher une retraite complémentaire.

 

 

Une intensification de la contre-offensive libérale depuis les années 90

 

Cette longue liste des améliorations apportées au régime des retraites pourrait faire oublier qu’il y eut pourtant une contre-offensive libérale, et ce dès les années 50 : 4 millions de grévistes, soutenus par l’opinion publique, manifestent en août 1953 contre les décrets Laniel qui prévoient, entre autres mesures, et déjà au prétexte de l’ « harmonisation », le recul de l’âge de départ à la retraite pour les fonctionnaires, et poussent finalement le gouvernement à céder. En 1967, les ordonnances Jeanneney visent à imposer l’autonomie financière à chaque branche de la Sécurité Sociale, ce qui revient de fait à démanteler le régime général des retraites, remplacé par une Caisse Nationale de Vieillesse, dont la gestion passe à 50/50 entre patronat et syndicats (contre 1/3 – 2/3 auparavant). Le patronat, qui n’a eu de cesse de faire baisser sa part de cotisation et le niveau de pension, trouve une fois de plus un allié dans le gouvernement qui en 1987 indexe les pensions sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen, ce qui entraîne une baisse de 25% des pensions sur trente ans. En 1993, le nombre de semestres de cotisation pour une retraite à taux plain augmente (soit un passage de 37,5 annuités à 40), et la pension n’est plus calculée que sur les 25 meilleures années. À l’automne 1995, le plan Juppé pour la Sécurité Sociale vise à aligner la fonction publique sur le secteur privé en faisant passer les annuités de 37,5 à 40 ans, et déclenche un mouvement de grève massif (2 millions de manifestants au plus fort de la mobilisation, et 20 jours de grève dans les transports, notamment), qui finit par faire reculer le gouvernement Juppé. La mesure est néanmoins reprise par le gouvernement Raffarin en 2003, qui veut cette fois faire passer le nombre d’annuités pour la fonction publique à 41, tandis que les salariés sont invités à investir dans des systèmes de capitalisation (PERP et PERCO), cette fois sans que les fonctionnaires puissent établir un rapport de force en leur faveur. En 2008, Sarkozy lance une nouvelle offensive contre les « régimes spéciaux » : alignement de la durée de cotisation sur celle du public et du privé, calcul sur les six derniers mois au lieu du dernier, et indexation de la revalorisation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, sans que là non plus la mobilisation ne s’élargisse suffisamment pour porter ses fruits. En 2010 enfin, l’âge légal du départ à la retraite est repoussé de 60 à 62 ans, voire 67 ans pour les salariés n’ayant pas cotisé un nombre d’annuités suffisant, et les dispositifs PERP et PERCO sont renforcés. Là encore, la mobilisation, pourtant bien réelle, ne rencontre pas l’écho espéré, si bien que gouvernement et patronat imposent un nouvel allongement de la durée de cotisation en 2013 et une fusion des régimes AGIRC et ARRCO en 2015.

 

L’énième « réforme » des retraites “ cru 2019 ” s’inscrit donc dans un mouvement de reconquête libérale commencé depuis une trentaine d’années et qui n’a cessé de s’intensifier. Gageons que l’ensemble des citoyens saura se souvenir que Macron s’attaque lui à un patrimoine séculaire et que le combat pour les retraites prolonge jusqu’à nos jours l’héritage de la Libération, du mouvement ouvrier et de la sociale.

 

 

Pâquerette Gracile

 

 

Une brève histoire des retraites en France (II)
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