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13 février 2020 4 13 /02 /février /2020 05:48

Qu’en est-il de la France ?

 

Avant de réfléchir à la manière dont la France a évolué depuis cinquante ans du fait de l’immigration et de l’importance grandissante de l’islam, je proposerai deux études de cas en reprenant tout d’abord un article du Journal du Dimanche du 19 janvier 2020. Nous sommes à Roubaix, une ville qui a profondément changé en un demi siècle. Le journaliste craint un « repli communautaire » :

 

Au supermarché Le Triangle à Roubaix (Nord), les caissières, toutes voilées, alternent entre « Salam » et « Bonjour », en fonction de la clientèle. Partout dans les allées du magasin, le français est traduit en arabe, et à la sortie, une urne invite au don pour la construction d’une nouvelle mosquée. La ville de 96 000 habitants en compte déjà sept, dont une salafiste. Dans la rue aux maisons de briques rouges, les commerces s’appellent L’Aziza, Les Mille Merveilles, Les Délices du Maghreb. Et proposent pâtisseries orientales, voiles, livres en arabe ou viande halal. « Ici, c’est comme au bled ! », s’exclame en souriant Hourya, qui flotte dans un jilbab, un voile enveloppant tout son corps.

 

Ici, en plein quartier de reconquête républicaine, l’islam est ostentatoire. Mais est-ce vraiment un problème ? Oui, à en croire un rapport sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre à Roubaix émanant des services d’inspection de plusieurs ministères. Ce document daté de juin 2019 et commandé par le Premier ministre pointe une « tendance au repli communautaire ». « Certains lieux ne sont plus fréquentés par des femmes », « le port du voile a fortement progressé », s’inquiètent les auteurs. Une source policière dépeint, dans certains quartiers, « un laisser-aller total, un non-respect général de la loi française ». Stationnement illicite, employés de commerces en situation irrégulière, terrasses de cafés non déclarées : « Ce sont des rues qui se gangrènent. »

 

[…] Les éducateurs, glisse l’un d’entre eux, s’emploient à convaincre certains jeunes que « voter, ce n’est pas haram », c’est-à-dire pas contraire aux préceptes du Coran. « Il y a un gros travail d’éducation à faire sur la laïcité », abonde Michel David, ancien directeur général adjoint des services de la ville. Le rapport interministériel de juin 2019 révèle aussi « une hausse des demandes d’enseignement à domicile pour des motifs d’ordre confessionnel ».

 

Autre reportage : une visite en Seine-Saint-Denis où la « montée tranquille du satanisme » en vient à effrayer les musulmans eux-mêmes (Émilie Blachère, Paris Match, 19 janvier 2020) :

 

« Le groupe scolaire s’appelle Al-Andalus, du nom donné à la péninsule ibérique sous domination musulmane. Cette école privée à Saint-Denis, sous la direction de l’association du Centre d’enseignement génération avenir (Cega), est gérée par Mustapha Halloumi. L’imam salafiste, « défavorablement connu » des services de renseignement, a été écarté de sa mosquée, en 2012, par la mairie d’Epinay. Quatre ans plus tard, l’Éducation nationale lui a délivré un agrément… Il est 16 h 30, les élèves commencent à sortir. Des fillettes voilées courent vers des pères barbus. Ce n’est pas leur barbe – épaisse, longue, parfois teinte au henné – ni leur qamis, longue tunique traditionnelle affectionnée par les salafistes, qui inquiètent le plus, mais leur nombre : « Quand on ne voit plus les mères, c’est qu’il y a un problème d’intégrisme radical », nous explique-t-on. Dans certaines cités, on ne fume plus dans les rues, dénonce une habitante de Saint-Denis. Plus jamais les femmes ne discutent entre elles en bas des immeubles. Les couples ne se tiennent plus la main. On n’entend plus de musique… A Trappes, toutes les boucheries sont halal. Même constat dans le quartier de la cité de la Rose-des-Vents, à Aulnay-sous-Bois. Ce mardi 31 décembre, jour de marché, les températures sont glaciales, le ciel bleu vif et les femmes voilées. Quelques-unes disparaissent sous le djilbab, qui montre juste leur visage. Dans des effluves de menthe et d’agrumes, les allées sont bordées de stands de vêtements amples, de voiles islamiques et de livres religieux. Des hommes fument devant des bars bondés. A l’intérieur, pas de femme. « L’accès ne leur est pas interdit, dira une Aulnaysienne, mais ici on pense que les femmes n’ont rien à faire dans un café ! » A Mantes-la-Jolie, Aubervilliers, Pantin, les thèmes de l’islamophobie, des discriminations sont abordés avec agressivité. On appelle à ne pas voter ni se soumettre aux lois, à ne pas se mêler aux juifs, aux chrétiens, aux kouffars (les mécréants). »

 

On a beau se dire – et on le dit – que l’ennemi n’est pas l’épicier arabe du coin mais le capitalisme financier, le type de situation décrit par le JDD et Paris Match est, à court terme, lourd d’inquiétudes sérieuses. Des pans entiers de notre société ont décroché (le quartier de la Reine Jeanne près d’Avignon en est un des exemples les plus frappants, qui conjugue satanisme et extrême violence). Des centaines de milliers d’habitants, pour beaucoup citoyens français, vivent et se pensent « comme au bled ». Plus le temps passe, plus les fractures s’élargissent. « On vit côte à côte, je crains que demain on vive face à face, avait déclaré Gérard Collomb en cadeau d’adieu lors de sa démission du ministère de l’Intérieur. » Avant d’ajouter : « Nous sommes en face de problèmes immenses ». Pour Collomb, nous sommes clairement à deux doigts de la rupture de la paix civile à cause de la paupérisation et de la ghettoïsation de ce qu’on nomme – hypocritement – des « quartiers ». En surface, officiellement, les autorités musulmanes souhaitent « une insertion sereine de l’islam dans la République ». Le problème est que, autant on peut parler de l’insertion des musulmans, autant, depuis la loi de 1905, il n’est pas possible d’insérer l’islam dans la République.

 

Selon l'Observatoire de l'islamisation, le nombre de mosquées est passé de 100 en 1970 à 2500 en 2016. Il y aurait plus de 150 mosquées dites salafistes, où l'on enseigne que la loi islamique doit primer sur les lois de la République. Et c'est chez les nouveaux arrivants que ce type de discours passe le mieux.

 

Dans les années cinquante ou soixante, un paysan italien immigré en France était d’abord un paysan, puis un Italien. Idem pour un maçon polonais (j’ai conscience de simplifier en écrivant cela). Les immigrés d’aujourd’hui, en majorité extra-européens et musulmans, sont, se pensent, comme des entités de forces et de mouvements collectifs qui les dépassent. Pas moins que les Français d’origine, cela dit, dans notre pays fracturé.

 

Ce qui est en train de disparaître sous les coups de boutoir du capitalisme financier, de la construction européenne, des politiques identiques menées dans la plupart des pays d’Europe, c’est l’effacement de la Nation. Ce dont profitent, sans voir à quel point c’est dangereux pour elles à long terme, les populations immigrées. Elles en profitent parce qu’elles n’ont plus à se fondre dans une communauté nationale construite au fil des siècles, une communauté de culture produite par l’Histoire. Une nation, c’est une langue, une éducation commune, des mythes, des souffrances partagées. Et des frontières. Á Roubaix, en Avignon et ailleurs, nous n’en sommes plus du tout là. La nation française disparaît. Le pays devient – l’individualisme effréné régnant de par le monde aidant – une agence de prestations où le bien et l’intérêt publics ne comptent plus. La droite et les Fauxcialistes n'ont eu de cesse de transformer la Fonction publique en Fonction aux intérêts du public. Tout cela sous le regard bienveillant de l’Union européenne pour qui les différences de classe comptent beaucoup moins que les singularités individuelles ou de groupe, ethnique, cela va sans dire. Parlez d’un peuple dans un territoire (ce qui est, pour partie, la définition d’une nation) à Bruxelles et on vous regardera avec des yeux de merlan frit ! Il n'y a plus de peuple, mais des populations.

 

L’énorme problème que l’on refoule – de moins en moins car le nez au milieu de la figure finit toujours par se voir – est que l’immigration massive amène de l’« Autre » (culture, religion, entités ethniques) qui n’est pas forcément compatible avec la société d’origine tant qu’il reste « Autre ». En outre, la plupart du temps, les immigrés provenant de pays violents, non démocratiques et corrompus, ils importent ces graves travers à la semelle de leurs souliers. Danton s’est lourdement trompé en affirmant qu’on n’emportait pas sa patrie à la semelle de ses souliers. Je fus très frappé, dans les années 80, lorsque je vis arriver en Côte d’Ivoire (un des pays où l’intégration des étrangers a été l'une des plus remarquables au monde avant les dérives mortelles de l’ivoirité dans les années 1990) quelques dizaines de jeunes hommes libanais à la dégaine sauvage, prêts à en découdre avec tout un chacun. Le pays comptait plusieurs centaines de milliers de Libanais, dont certains étaient installés depuis le début du XXe siècle. Dire qu’ils étaient parfaitement intégrés était superflu : ils exerçaient, dans le calme le plus total et fort utilement pour le pays, des fonctions de commerçant, d’artisan, de médecin. Quelques centaines étaient riches (quelquefois immensément), quelques milliers étaient pauvres : je pense aux petits épiciers qui vendaient de tout dans des petites échoppes de petits villages. Les nouveaux Libanais un peu fous venaient directement de la plaine de la Bekaa. Ils avaient participé à une guerre civile atroce qui avait fait plus de 200 000 morts. Ces soldats perdus étaient les autres Libanais d’un autre Liban qu’ils avaient apporté – en Côte d’Ivoire, au Togo, au Sénégal etc., – à la semelle de leur soulier. Le président de la République d’alors, Félix Houphouët-Boigny, pressa les notables libanais d’Abidjan de régler rapidement ce problème avant qu’il s’en occupe lui-même. Ce qu’ils firent.

 

Plus la Nation et l’État sont évanescents, plus l’« Autre » s’impose dans son altérité. Ce qui ne fut pas le cas durant les années 1880 à 1975. La France demanda et accueillit une immigration de travail provenant principalement d’une Europe blanche et catholique : péninsule ibérique, Pologne, Italie. L’intégration de populations culturellement proches, donc n’ayant rien de spécial à revendiquer, ne se fit pas sans mal. On se souvient des Ritals de Cavanna. Mais l’assimilation (dans “ assimilation ”, il y a “ semblable ”) fut possible. Comment reconnaît-on une femme protestante dans la rue ? C’est très simple, on ne le reconnaît pas, bien qu’elle soit issue d’un peuple qui a beaucoup souffert chez nous, un peuple qui, autrefois, fut considéré par la France catholique comme un agent de l’étranger, l’Angleterre en l’occurrence. Á l’origine, le concept d’assimilation est biologique et physiologique, comme chez ceux qui souffrent de diabète et ne peuvent assimiler les glucides. L’assimilation implique le recours au milieu, une synthèse et une reconstruction. On vit parce qu’on assimile. D’un point de vue sociétal, l’assimilation implique que l’on va du différent au semblable. Pour qu’il y ait un chemin vers ce semblable, il faut que les individus qui viennent de l’extérieur acceptent d’être modifiés par le groupe accueillant. Cela s’est vu à maintes reprises au cours de l’Histoire. La culture hellénique, accueillie dans la culture chrétienne, subit une transformation profonde. La culture étrusque fut assimilée par la culture gréco-latine.

 

Ces processus, toujours lents, sont incompatibles avec la soudaineté de la mondialisation et la violence des guerres qui se sont déclarées dans un passé récent et dont les victimes furent, dans leur très grande majorité, des civils. On pense, bien sûr, aux tragiques événements de Syrie et de Libye. Et l’on aura à traiter, dans un avenir proche les conséquences démographiques catastrophiques – qui ont déjà commencé – de l’errance des millions de réfugiés climatiques. Autant il fut possible d’intégrer, d’assimiler, plusieurs millions d’Italiens sur une période de plus d’un demi-siècle, autant cela est une gageure lorsque déboulent, en cinq semaines, des centaines de milliers de Syriens en constituant la plus importante population de réfugiés au monde (quatre millions émigrèrent, dont un million vers l'Europe). Ceux-ci n’ont alors d’autres possibilités que de se regrouper, de se communautariser. Dès lors, il leur est impossible d’abandonner ce qui était à la semelle de leurs souliers. Parce qu’elles ne peuvent réellement s’agréger à la société d’accueil, ces populations migrantes finissent par ne plus le vouloir et se raccrochent au mode de vie ante. Tout est à refaire, mais ce n’est pas possible dans le court et moyen termes.

 

 

Ci-dessous le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie.


 

L'islam dur aura-t-il raison de la République ? (III)
L'islam dur aura-t-il raison de la République ? (III)

 

Le drame historique de l’immigration de masse en France est que les populations concernées sont arrivées au mauvais moment, vers 1975. C’était l’époque où la Chine s’éveilla avec Den Xiao Ping, où les chocs pétroliers de 1973 et 1979 appauvrirent durablement les Français, et où le pays était dirigé par trois hommes (Giscard, Chirac, Barre) qui ne se souciaient guère de faire dans le social. C’est en ces temps de désindustrialisation, de disparition d’emplois, que les immigrés arrivèrent. Mitterrand et Mauroy tentèrent un court instant de panser les plaies mais l’Europe des banques et des marchés les remit dans le droit chemin. Les populations immigrées vécurent des moments nettement plus difficiles que leurs aînées des années cinquante et soixante. Elles transmirent à la génération suivante un fardeau qui devint de plus en plus lourd.

 

Pour que les “ quartiers ” ne s’embrasent pas, pour préserver la “ paix sociale ”, la France se transforma en une sorte de libre-service de l’immigration. Comme elle ne pouvait pas donner du travail et des conditions de vie décentes à ces populations, elle leur accorda des droits, en bricolant : droit au regroupement familial, droit à la nationalité par mariage, droit à la régularisation à l’usure (au bout de cinq ans en général) pour environ 40 000 personnes chaque année, droit d’interdire la possibilité de changer de religion (dans la législation européenne, des personnes ayant été baptisées enfants peuvent se faire rayer des registres des églises), possibilité d'aménager des planches horaires pour la pratique religieuse dans les entreprises privées.. Le regroupement familial fit gonfler les chiffres de l’immigration. En 1976, après avoir mis fin à l’immigration pour motif économique, le gouvernement Chirac l’autorisa, à l’exclusion des familles algériennes. En 1977, le gouvernement Barre suspendit cette décision pour trois ans, sauf pour « les membres de la famille qui ne demandent pas l’accès au marché de l’emploi. » En 1978, le Conseil d’État instaura un nouveau principe général du droit, celui de « mener une vie familiale normale. » Par un revirement de jurisprudence très important, il annula le décret Barre. Paul Collier, économiste de l’université d’Oxford, a calculé que 10 immigrés installés en font venir 7 autres – par le regroupement familial, le mariage, les naturalisations – et ces 17 en appellent douze autres.

 

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