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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 16:04

Les IDEX : Une analyse de Xavier Lambert


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Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche a lancé, il y a peu, les IDEX (Initiatives D’EXcellence). Ce nouveau dispositif qui vient s’installer dans le paysage de la recherche française s’inscrit dans le droit fil des réformes qui ont émaillé la « reconstruction » de l’université française ces dernière années, et, notamment, sous le gouvernement Sarkozy.

La loi LRU était déjà une machine de guerre contre le service publique d’enseignement supérieur en transformant les universités en services de gestion financière décentralisée mais politiquement plus encadrées que jamais. Les IDEX, elles, sont une véritable machine de guerre contre l’indépendance de la recherche et le maillage territorial qui la caractérisait jusqu’alors, le tout procédant de sa richesse intrinsèque.

Ce qui caractérise avant tout le principe des IDEX, c’est l’idéologie du struggle for life (qu’on me pardonne cet anglicisme) à partir d’une politique de niche. La mise en compétition des laboratoires, des chercheurs entre eux, déjà bien engagée par les méthodes d’évaluation de l’AERES (Agence d’Évaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), qui note les laboratoires sur des critères essentiellement publimétriques, se trouve considérablement renforcée par les IDEX et leurs avatars, LABEX (LABoratoires d’EXcellence) et EQUIPEX (EQUIpements d’EXcellence). Il ne s’agit plus de mettre en concurrence entre eux laboratoires et chercheurs dans une même université, mais d’organiser une compétition au niveau international (l’idéologie des top 10).

Les IDEX sont directement issus de la mascarade qu’est le Grand Emprunt. Pour rappel, le Grand Emprunt, c’est ce grand projet Sarkozien , conjointement rédigé par M. Rocard et A. Juppé en 2010 pour « relancer l’industrie française. L’objectif était de drainer 35 milliards de capitaux pour : « la défense, l’innovation, la recherche scientifique et l’enseignement supérieur ». 21,9 milliards étaient annoncés pour l’enseignement supérieur et la recherche. Au-delà de l’effet d’annonce, il faut rappeler que tout cet argent récolté est en réalité placé et « non consuptible », ce ne sont donc que les intérêts qui sont réellement disponibles.

Le fait que le financement de l’ESR à partir du Grand Emprunt s’inscrive dans une perspective de relance de l’industrie française suffit déjà en soi à connoter les attendus du dispositif IDEX. Il ne s’agit pas de permettre le développement de l’innovation et de la recherche en soi, mais de faire en sorte que l’innovation et la recherche servent à relancer l’industrie française. Cela ne constitue pas forcément un problème en tant que tel, même si on peut s’interroger sur les causes qui nécessitent cette relance et les choix économiques et sociaux qu’elle suppose. La définition des orientations des IDEX est très claire de ce point de vue puisqu’elle s’articule essentiellement à l’innovation et au développement.

Dans la logique des pôles de compétitivités, il s’agit de mettre en place une recherche sur un tout petit nombre de niches porteuses de perspectives, de profits, dans le cadre de la compétition économique internationale, sur un tout petit nombre de sites (10 à 15 au maximum) et, comme le souligne Gilbert Casamatta, président du PRES de Toulouse, « les sites qui ne seront pas élus seront durablement rayés de la carte de la recherche française ».

Résultat de l’opération, les sites, les laboratoires, les chercheurs et les enseignants chercheurs sont condamnés à une lutte sans merci entre eux pour pouvoir survivre. Cela signifie d’une part que des zones entières seront rayées de la carte du paysage de la recherche en France. Et, d’autre part, que dans les rares zones retenues, ce sont des laboratoires, des équipes de recherche qui seront soit contraints de tordre complètement leurs axes de recherche pour tenter de subsister, soit condamnés à terme à disparaître parce que leur recherche ne sera plus financée.

On comprend bien que dans ce contexte sont particulièrement menacées la recherche fondamentale et la recherche en ALL-SHS (Art, Lettres, Langues-Sciences Humaines et Sociales) qui, à de rares créneaux près, ont peu de chance de s’intégrer à ce nouveau paysage.

Comme d‘habitude depuis quelques années, cette réforme a été menée tambour battant, pressant les structures concernées (les PRES de manière générale) de monter les projets, qui se sont constitués à la fois dans une très grande approximation en matière de contenu scientifique, et dans l’opacité la plus totale vis-à-vis des équipes et des instances universitaires. Les structures élaborées sont généralement pensées davantage en terme d’organigramme que de réel contenu, avec des instances décisionnelles d’où sont absents les chercheurs et enseignants chercheurs du site. En revanche, le « monde économique » sera bien représenté, et le monde scientifique par des « notables » extérieurs aux sites.

Outre le fait que c’est une aberration totale d’un point de vue scientifique (la Recherche ne se construit pas sur la compétition, mais sur la coopération), ce dispositif va avoir des conséquences extrêmement graves, d’une part pace qu’il déconstruit complètement le maillage territorial de la recherche, avec les conséquences évidentes sur les universités (universités d’ « excellence » vs universités de « proximité »), mais aussi sur le tissu économique régional. Mais il va avoir aussi des conséquences durables sur la Recherche elle-même en France, d’une part parce que la Recherche, ça ne se saucissonne pas, d’autre part parce que les grandes découvertes n’ont souvent de véritable application que bien longtemps après.

Sauf à se placer dans la vision de rentabilité à très court terme sans souci de ce qu’il en sera après, qui caractérise l’économie mondiale actuelle, cette réforme est même totalement contre-productive à terme. Et ce n’est pas l’achat de « cerveaux » à prix d’or, tel le prévoient les IDEX, qui résoudra le problème. Quelle que soit la qualité des cerveaux en question, un cerveau ne peut pas se nourrir tout seul et est condamné à s’épuiser rapidement s’il n’est pas baigné dans un milieu nourricier.

 

 

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