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25 février 2011 5 25 /02 /février /2011 15:47

Ce texte est vraisemblablement un faux. On serait alors en présence d'une mise en abyme vertigineuse : une manipulation dans la manipulation. 

 

Par Noam Chomsky


Le linguiste nord-américain Noam Chomsky a élaboré une liste des « Dix Stratégies de Manipulation » à travers les média. Nous la reproduisons ici. Elle détaille l'éventail, depuis la stratégie de la distraction, en passant par la stratégie de la dégradation jusqu'à maintenir le public dans l'ignorance et la médiocrité.

http://2.bp.blogspot.com/_4skqFpB4HMM/Sopru-uCbXI/AAAAAAAAIok/MZMY6M-1LvY/s400/noam+chomsky.jpg


 

 1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une «situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

 

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

 

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

 

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-age ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

 

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

 

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

 

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

 

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 17:47
Source : La Dépêche du Midi
"On détruit notre école pour de mauvaises raisons"

Michel Serres, enseignant, philosophe


"On détruit notre école pour de mauvaises raisons"

Michel Serres ne décolère pas. La casse de l'Éducation nationale, les profs et les instits « les plus mal payés de France, sans cesse critiqués de toute part »… Lui l'enseignant, maître de conférence à Stanford, lui le fils de paysan, entré à l'École normale supérieure en 1952 est outré et sort de ses gonds. « Eh bien merde » résume le Gascon des bords de Garonne avant de détailler un peu plus son propos.

Que penser de cette faillite de l'Éducation nationale ?

De quelle faillite parlons-nous ! A-t-on si vite oublié que la France est le premier pays au monde au nombre de ses prix Nobel ? A-t-on si vite oublié que les lycées français ont un succès fou à l'étranger ? Moi-même, je suis enseignant à Stanford, la deuxième université au monde, mon département est le mieux classé. Je ne vois pourtant aucune différence entre ce que je faisais à la Sorbonne et ce que je fais aux États-Unis. La France veut prendre exemple sur les USA, mais les gens qui le font ne voyagent pas. Sait-on que là-bas il n'y a plus ni primaire, ni secondaire, c'est la m… totale. Et les universités recrutent à l'étranger. C'est un peu comme nos équipes de rugby ou de basket… Ce que je veux dire c'est qu'on détruit l'Éducation nationale pour les mauvaises raisons. Ce sont les inexpérimentés qui régentent les expérimentés.

Comment interpréter cette crise des vocations qui touche aujourd'hui le métier de professeur?

Je vous retourne la question : comment accepter de rentrer dans un métier quand on sait que l'on sera le moins bien payé de France, placé sous le feu de critiques et empêché de faire son boulot ? Et merde ! Tous les professeurs et les instituteurs font bien leur travail. Tous nous aimons les gosses et les matières que nous enseignons. Attention à cette actualité qui, sans cesse, pervertit la réalité. Elle est à l'image de ces classements de films ou de livres, les plus vendus chaque jour et qui sont, la plupart du temps, des navets. C'est comme si nous vivions devant un miroir déformant nous empêchant de percevoir le juste enseignement.

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 15:15

En bonne logique capitaliste et financière, l’Université française en est maintenant à se vendre. Et quand on se vend, on finit, plus vite qu’on ne croit, à vendre des cerveaux vides pour Coca-Cola.


http://www.romainbourdon.com/wp-content/uploads/2008/01/t-shirt_firefox.jpg

 

Selon le New York Times du 20 février 2011 (Scott Sayare), la Sorbonne se lance dans le prêt-à-porter. Une nouvelle ligne de vêtements est en préparation, ainsi que des produits dérivés et autres colifichets. Selon Jean-Marc Lehu, MCF en marketing et directeur de la communication interne et externe de l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne (comment, vous n’avez pas encore de directeur de la communication ?), « tout cela est bien nouveau pour nous. Les universités publiques (sic) n’ont pas fait grand-chose, à ce jour, en matière de promotion. » Mais comme l’heure est à la chasse aux étudiants, il faut être lisible et visible. Donc, selon notre collègue Lehu, « c’est la compétition qui nous pousse au marketing. »

Claire Laval-Jocteur, chargée de communication à Paris XI, par ailleurs présidente de l’Association des professionnels de la communication de l’enseignement supérieur (tenez : allez voir comment elle se vend ici : [->http://www.viadeo.com/fr/profile/claire.laval-jocteur]) estime que la pression sur les établissements est de plus en plus forte. « Pour se faire connaître, dit-elle, il faut vendre des produits promotionnels, suivre l’exemple des écoles d’ingénieurs privées. »

Pour notre collègue Lehu, « la vente de T-shirts est une des solutions au chômage de nos diplômés. » L’ENA elle-même vend des maillots de rugby, des stylos, des tasses et des gobelets (pardon : des mugs). Après tout, observe Évelyne Heckel-Mantey (responsable de la communication à l’ENA), avec la sagacité qu’on lui connaît, « quand on visite un musée, à la sortie, il y a une boutique ».

Les mentalités doivent évoluer.

Avec la LRU, tout est possible.

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 07:30

... Ou quand un président d'université se fait taper sur les doigts par le Tribunal administratif. Jean-Charles Pommerol est à fond pour la LRU : elle permet "d'étendre les possibilités de souplesse en matière de ressources humaines" et de concocter des contrats en contradictions avec les statuts de la fonction publique : «Je peux allonger plus d'argent ou monter des contrats spécifiques pour tel ou tel chercheur de haut niveau». Il doit être extrêmement jouissif, lorsqu'on est fonctionnaire dans les échelles lettres, en fin de carrière, protégé par un statut en béton, de se comporter en PDG d'entreprise privée.

Seulement, il est un minimum de règles à respecter, comme l'explique Michel Carpentier, secrétaire du Snesup de Paris VI.


http://www.educpros.fr/uploads/pics/POMMEROL_Jean_Charles-universite_UPMC_500.jpg

 

A peine réélu début 2008 le président de Paris 6, Jean-Charles Pomerol, livré avec fureur à la LRU, s’était empressé de faire voter le passage aux RCE par son CA. De consulter la communauté universitaire, inutile de dire qu’il n’en fut jamais question.

Avec le zèle des néophytes et l’aveuglement des sectateurs, les athlètes des RCE, au premier rang desquels les VP Renard et Chambaz (tous deux SNESup, on se demande encore pourquoi) se sont alors livrés sans contrainte aux délices d’une gestion aussi désordonnée qu’autoritaire. Parmi leurs faits de gloire, la mise en place d’un dispositif entièrement local de primes pour les EC, géré par les « notables », et dont le fonctionnement s’est aussitôt révélé un prodige de clientélisme. Le SNESup et la CGT ont introduit un recours devant le Tribunal administratif qui vient de nous donner raison : le système des primes est annulé sur le fondement de l’illégalité de l’arrêté accordant les RCE, puisque le CTP n’avait pas été consulté. Et par contrecoup, la sécurité juridique de toutes les décisions prises dans le cadre des RCE se trouve fortement compromise.

Il ne fait bien sûr aucun doute que le président fera de nouveau rapidement voter les RCE, après une consultation de pure forme du CTP. C’est pourtant un sérieux revers qui le contraindra, tout penaud, d’aller prier Pécresse de lui confectionner un nouvel arrêté. Mais c’est surtout pour nous l’occasion d’exposer le bilan désastreux de trois années d’application débridée de la loi LRU : passage aux RCE dans un état d’impréparation totale et qui dure encore, direction incompétente qui s’est fait duper par le ministère du budget, contournement systématique et mise sous tutelle des conseils élus, anéantissement des corps intermédiaires, notamment des UFR, politique du personnel brutale, services centraux qui craquent de toutes parts, accablés par les tâches nouvelles qu’on leur impose, explosion de la précarité, externalisation des services, politique « scientifique » régie par le copinage et ponctuée de règlements de comptes etc., la liste est longue de tout ce que nous avons vu éclore en petit et qu'on s'apprête à nous infliger en grand dans les Idex...

Michel Carpentier

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21 février 2011 1 21 /02 /février /2011 16:00

Par Jean-Sébastien Bach (un pseudo ?)


 http://sofia.medicalistes.org/spip/IMG/jpg/brainstorming.jpg

 

Voici désormais quelle est la préoccupation principale des enseignants-chercheurs dans l’université française : chercher du pognon (pognon vient du verbe empoigner), dans le cadre de projets qui amènent de la plus-value. Ce qui suit n’est ni une caricature ni une parodie mais un texte réaliste.

 

Un directeur de laboratoire demande : « Je voudrais un crayon à 1 € ».

Le décideur fait la moue :

 « Tout le monde veut des crayons. Ce n’est pas un projet d’envergure.

Quelle plus-value cela va-t-il donner à votre (institut, université, PRES, région, communauté de commune – rayez la mention inutile)...

Au minimum faites un projet pour une machine à crayon intégrée dans une plate forme mutualisée sur votre (institut, université, PRES, région, communauté de commune – rayez la mention inutile) avec pour objectif d’être labellisée au niveau européen sous norme iso9011,… »

On fait un projet à 5000€ en contactant divers collègues de 5 labos, on passe une vingtaine d’heures en réunion, on rédige collectivement dix pages.

On les envoie à nos décideurs.

Les décideurs font la moue :

« On comprend bien le projet, mais il  manque d’envergure et de justification.

Pouvez-vous démontrer votre excellence dans la fabrication de crayons, montrer quelle plus-value cela apporte pour vos projets scientifiques, identifier une ou plusieurs entreprises qui pourraient être motivées par un partenariat public-privé orienté vers l’équipement manugraphique labile (ça veut dire qui permet d’écrire à la main et d’effacer, bref, un crayon) des structures de recherche, et n’oubliez pas l’aspect développement durable…»

Miraculeusement on arrive à convaincre un fabricant de graphite, un forestier et une entreprise de menuiserie vaguement motivés par le marché, à participer au projet qui inclut maintenant la perspective d’une usine de crayons intégrant la plate-forme labellisée ISO, IBISA (ne cherchez pas, ce sont des normes européennes, on peut rajouter une vingtaine de sigles du même genre), etc…

On n’oublie pas le développement durable parce que, quand même le graphite c’est du carbone,et le bois doit être bien géré,  on rédige 500 pages, on passe une centaine d’heures en réunion, on reconvoque nos collègues, on fait signer tout le monde, la convention passe devant les services juridiques de l’Université, du PRES, de l’Institut, de la Région, de la communauté de communes, de la Commission européenne, (ne rayez aucune mention, elles sont toutes utiles), le projet atteint 5 millions d’Euros.

 

On l’envoie à nos décideurs.

Nos décideurs font la moue :

« Le projet est intéressant, mais trop ambitieux pour être financé sur notre budget, il faut l’inclure dans le grand emprunt, ce pourrait être un bon projet Equipex3, à condition de montrer votre compétitivité, votre excellence, il faut que le porteur de projet soit un scientifique reconnu internationalement avec unH-index4 minimum de 32 , que son UMR et toutes celles qui émargent au projet soient classées A+, qu’il soit pluridisciplinaire, innovant, proactif – à ce propos, le laboratoire de structure des matériaux de Schlorknopfeld en Allemagne est très

performant dans l’analyse cristallographique du graphite et serait très pertinent

dans la structure.

Au total, le projet est trop important pour notre (Institut, université, PRES, région, communauté de commune – rayez la mention inutile) mais un  peu petit pour le Grand Emprunt, vous devriez l’étoffer et soumettre».

 

On contacte Schlorknopfeld, on fait une téléconférence avec eux, on ajoute un sous-projet synchrotron pour la structure du graphite, on vire les labos qui ne sont pas A+ (ils ne sont pas contents) , on repasse une centaine d’heures en réunion, on obtient les quarante signatures, on rêve parce qu’évidemment on a oublié le crayon en cours de route et collé tous les autres besoins dans le projet, on arrive à 50 millions d’euros (on aurait pu faire 100 avec deux mois de plus) et on soumet.

Il y avait 200 projets d’Equipex, les experts (on ne sait pas qui c’est) en ont « financé » 20, le notre n’est pas retenu, on n’a rien, même pas un crayon. « Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées… »

Toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé est évidemment fortuite.

 

L’Université de Rennes 1 n’a obtenu aucune Equipex en son nom propre, elle a seulement obtenu une participation de 10% sur un projet collectif porté par dix universités. Échec majeur au grand emprunt. Quant on regarde la carte des attributions, le Grand Ouest est presque oublié.

 

Tous les lauréats sont dans la « banane » européenne Amsterdam-Paris-Strasbourg-Lyon-Montpellier-Barcelone.

 

Est-ce un hasard ?

 

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 16:00

J'ai été récemment censuré par nouvelobs.com où je tenais un blog depuis 2007. Je raconte à cette adresse : [http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/] comment une jeune censeuse m’a puni, comme si j’étais un petit garçon. On peut lire, suite à mon article, des commentaires de soutien, ainsi que l’inévitable intervention d’une blogueuse qui m’enfonce, proche de l’hystérie.

Je ne raconterai pas ici l’histoire de l’arroseur arrosé, mais celle de l’observateur arrosé. Il se trouve qu’il y a une dizaine d’années j’ai publié un livre sur la censure au Royaume-Uni. À l’époque de la conception de cet ouvrage, je me suis informé sur la censure en France et aux États-Unis. Trente ans auparavant, j’avais pu avoir un aperçu substantiel de la censure en RDA. Chaque pays a son histoire, chaque censure a sa forme. Mais le point commun que partagent toutes les censures, en pays démocratique comme en pays totalitaire, c’est la bêtise et la mauvaise foi.

La censure sert toujours des intérêts politiques en se cachant souvent derrière une façade de moralité.

Je propose dans cette note un rappel de ce que fut la censure au XXe siècle dans le cinéma britannique.


 http://4.bp.blogspot.com/_WP-GSfmB0rA/TFaV-FD3ZxI/AAAAAAAAAak/yC0d3Eu6IPk/s1600/room_at_the_top_xl_06--film-A.jpg

Simone Signoret dans Room at the Top


Lorsqu’en 1912 se constitua au Royaume-Uni une instance de censure pour le cinéma, elle pensa tout de suite à interdire des scènes de crémation, de mise en terre, de meurtre, de suicide, de désastre naturel, de baignade entre hommes et femmes, de combats de coqs et de chiens, des scènes bibliques, et aussi des plans où des portraits ou des photos d’officiels étaient ridiculisés.

Le Royaume Uni possède la censure filmique la plus sévère du monde occidental. Cette censure a évolué selon les circonstances politiques et les changements dans les mentalités, mais elle a toujours répondu (quand elle ne les devançait pas) aux “ angoisses respectables [i] de la majorité – silencieuse ou non – de la population.

La Loi sur le Cinématographe de 1909 (Cinematograph Act) visant, a priori, à prévenir les risques liés aux conditions de sécurité, fut le premier texte réglementant les représentations filmiques.[ii] Cet loi donnait aux autorités locales le droit d’accorder, ou non, des d’exploitation. Elle leur permettait en outre de réglementer les projections à leur guise, « dans les limites de la raison ». À la surprise générale des premiers cinéastes, la jurisprudence autorisa les censeurs locaux à porter un jugement sur le contenu des films. Des préoccupations purement techniques avaient donc débouché sur un examen et un jugement moral ou politique des premières œuvres cinématographiques.

Dans le pays alors le plus urbanisé de la planète, les salles de cinéma s’implantèrent massivement dans les villes, donc dans des aires populaires et parfois “ rouges ”. Les polices municipales, les classes possédantes, les juges, préoccupés par la montée du Parti Travailliste, par un taux de chômage assez important et par le climat de délinquance qui pouvaient naître dans les lieux publics, en vinrent à réclamer des procédures de censure. On vit ainsi Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein interdit de projection jusqu’en 1924 par crainte de propagation d’idées subversives.

 

. Le B.B.F.C.

Pour pallier le danger réel de censure totalement arbitraire et devancer le désir [1]des autorités locales détenant formellement le pouvoir d’interdire une projection, la profession proposa en 1913 de créer sa propre structure de réglementation : le British Board of Film Censors ou B.B.F.C.(Office britannique des visas cinématographiques). Des membres de l’industrie cinématographique s’instituèrent en censeurs de leurs propres activités pour délivrer eux-mêmes des certificats d’exploitation. Le changement en 1985 de “ Censors ” par “ Classification ” ne devait pas altérer pas l’esprit correctif ou directif de cette institution officieuse.[iii] Le B.B.F.C. étant de toute façon un conseil consultatif, les autorités locales passèrent volontiers outre aux recommandations d’une structure qui se targuait de son indépendance.

Depuis 1912, le B.B.F.C. est constitué de manière informelle, après accord entre les différentes branches de la profession, le ministère de l'Intérieur et les représentants des autorités locales. Le ministre de l’époque, Reginald McKenna, accepta cette organisation sans pour autant consentir à ce que le ministère fût officiellement impliqué, donc responsable devant le Parlement.

Le B.B.F.C. comprend un président (nommé par le ministère de l’Intérieur), un secrétaire (dont le rôle est prépondérant) et au moins quatre membres, nommés par le gouvernement mais indépendants de lui et non révocables. Tirant ses ressources des droits qu'il perçoit pour visionner les films, il est financièrement autonome.[iv] Son pouvoir est censément celui d'un groupe de sages à qui il revient d'attribuer un certificat à tous les films de fiction :   U ” pour les films tous publics, “ A  pour adultes (et enfants de douze à seize ans accompagnés de leurs parents), “ H ” pour les films d'horreur et “ X ” (sans rapport avec la classification actuelle des films pornographiques) pour les films réservés aux plus de seize ans. Cette dernière catégorie, introduite en 1951 sur proposition du gouvernement travailliste de Clement Attlee, provoqua des réactions ambiguës dans la profession. D'aucuns redoutèrent des pertes de recettes quand d'autres virent tout le profit publicitaire qu'ils pourraient tirer de cet étiquetage.

A l’inverse du Code Hays (du nom du Président des Producteurs et Distributeurs de Films aux États-Unis de 1922 à 1945), le B.B.F.C. ne dispose pas d’un corps de règlements statutaires. Cette absence n’a pas empêché, bien au contraire, des règles implicites et ponctuelles de s’ajouter les unes aux autres. Dès sa première année de fonctionnement, le B.B.F.C. censura cent soixante-six films, en interdisant totalement vingt-deux d’entre eux. Les images punies allaient de la représentation du Christ à des scènes de danses indigènes susceptibles de “ faire horreur ” à la sensibilité des Britanniques.

Le premier film censuré fut tourné sans comédiens et il avait pour vedette principale une tranche de Stilton. Le coloriste Charles Urban avait filmé au microscope les veines bleues du célèbre fromage. Par crainte des réactions d’un public tourneboulé par la vision de bactéries, les industriels demandèrent que soient censurées les quatre-vingt-dix secondes de ce documentaire. Cela n’empêcha pas, dès le début du XXème, la projection de films que l’on qualifierait aujourd’hui de gore : exécutions capitales, décapitations de bandits chinois, pendaisons de Noirs aux États-Unis.[v]

En 1916, l’industrie cinématographique et les autorités locales accueillirent avec joie la nomination de Herbert Samuel[vi] comme nouveau ministre de l’Intérieur. Samuel proposa la création d’un nouveau Conseil de censeurs placé directement sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, prévoyant qu’une censure d’État serait opérationnelle à partir de janvier 1917.

Les pères étant au front, les autorités considérèrent le cinéma comme le meilleur moyen d’éviter aux enfants l’oisiveté et la délinquance. Bien que plusieurs organisations à but moral tel que le National Council of Public Morals(Conseil National de la Moralité Publique) eussent recommandé un durcissement de la censure, la classe dirigeante britannique estima que le B.B.F.C. faisait parfaitement son travail et qu’une censure paralégale était, à tout prendre, un bien meilleur système qu’une bureaucratie officielle. Pour être pleinement reconnu, le B.B.F.C. fit preuve d’une intransigeance toujours plus grande. Durant deux ans, il refusa la projection d’images de la guerre en cours. En outre, suite aux grèves victorieuses des mineurs gallois en 1915, et un an avant le célèbre film de D. W. Griffith Intolerance, le B.B.F.C. interdit toute référence aux “ relations entre le capital et le travail ”.

 

. La réaction des créateurs

Les créateurs ne restèrent pas longtemps les bras croisés devant la censure. En 1925, un noble de sensibilité communiste, Ivor Montagu, créa la Film Society afin de pouvoir visionner des films importés selon des canaux privés. La crème intellectuelle de l’époque le rejoignit : Bertrand Russel, Aldous Huxley, John Maynard Keynes, George Bernard Shaw, Roger Fry. Le B.B.F.C. ne pouvait s’opposer légalement à la projection de films auxquels il n’avait pas accordé de certificat d’exploitation. Cependant, dès que ces films étaient vus par un nombre conséquent de spectateurs, il intervenait. C’est ainsi que Metropolis de Fritz Lang (1926) fut largement amputé, que Le Cabinet du Dr Cagliari de Robert Wiene (dans lequel un charlatan commet une série de meurtres atroces) fut retenu un bon moment au motif que, selon les censeurs, les scènes d’asile perturberaient les spectateurs ayant des parents en hôpital psychiatrique. En 1931, M (M le maudit) de Fritz Lang fut censuré au point d’en devenir quasiment incompréhensible.

 

. L’entre-deux-guerres

Entre les deux guerres, le B.B.F.C. fut placé sous l’autorité de personnalités caricaturales. Le principal examinateur, J. C. Hanna, était un ancien colonel de l’armée des Indes, titulaire de la Croix de Guerre française et ancien combattant des troupes britanniques en Irlande. Il avait pour principale collaboratrice Miss N. Shortt, fille de Sir Edward Shortt, président du B.B.F.C. depuis 1929. Ces deux censeurs ne firent jamais taire leur subjectivité, ce qui ne les empêcha pas de laisser passer des films d’outre-Atlantique avec des scènes très osées car ils savaient que l’industrie cinématographique britannique était largement dépendante de Hollywood.[vii] Ils interdirent la projection de la version française de l’Opéra de quat’ sous parce qu’il montrait des mendiants interrompant le couronnement d’une reine anglaise. Ils censurèrent en 1927 La Coquille et le clergyman de Germaine Dulac (sur un scénario d’Antonin Artaud) pour la raison que, de leur propre aveu, ils ne comprenaient strictement rien à cette présentation psychanalytique des frustrations sexuelles. Ils s’avérèrent d’ardents défenseurs de l’honneur de l’Empire Britannique. En 1932, The Bitter Tea of General Yen de Frank Capra, mettant en scène les amours d’une missionnaire blanche et d’un général chinois, fut projeté en Grande-Bretagne mais interdit dans l’Empire. G. B. Shaw fut le seul à leur tenir tête. En 1938, il réusit à les faire plier (fort symboliquement) en refusant que soit coupée la célèbre expression d’Eliza dans son scénario tiré de Pygmalion : « Not bloody likely » (vachement pas probable).

Jusqu’en 1940, face à la menace nazie, le B.B.F.C. éprouva quelques difficultés à reconnaître dans le Reich un ennemi réel et à envisager qu’une guerre sans précédant se préparait. Après l’accession au pouvoir de Hitler, le B.B.F.C. refusa de certifier des films pouvant déplaire à Berlin ou au peuple allemand. En 1928, alors que le sentiment anti-allemand était très fort dans la population anglaise, le B.B.F.C. censura, à la demande de Berlin, Dawn, un film racontant l’exécution par les Allemands d’une infirmière anglaise accusée d’espionnage pendant la Première Guerre mondiale. Le B.B.F.C. visionna les films britanniques anti-allemands tournés après 1933 dans l’optique de la politique d’apaisement des Conservateurs. Il censura A German Tragedy et City without Jews, deux œuvres abordant le sort dramatique réservé aux Juifs en Allemagne. C’est probablement parce que l’Allemagne n’est jamais nommée dans Les trente-neuf marches ou Une femme disparaît que le Colonel Hanna et Miss Shortt ne censurèrent pas Alfred Hitchcock. En juillet 1939, Pastor Hall, qui raconte l’histoire vraie d’un pasteur torturé à Dachau pour son opposition politique, n’obtint pas le certificat d’agrément.

 

. La censure en temps de guerre

Avec le déclenchement des hostilités, la censure passa sous l’autorité du ministère de l’Information (Ministry of Informationou MOI) nouvellement créé. Le MOI donna systématiquement raison au B.B.F.C. contre les autorités locales lorsque ces dernières se montraient plus libérale que le Board. Les choix de la censure reflétèrent le “ fighting spirit ” du gouvernement d’Union Nationale dirigé par Winston Churchill. Les autorités encouragèrent la distribution de Pastor Hall. Love on the Dole, d’après le célèbre roman de Walter Greenwood sur les ravages de la crise économique dans les milieux populaires, reçut son certificat d’exploitation, après avoir été censuré avant-guerre. Or il offrait deux scènes très dérangeantes pour l’époque : une action violente d’ouvriers contre des policiers à la matraque légère et une jeune femme quittant sa famille totalement démunie pour se mettre au service d’un proxénète.

 

. Un après-guerre frileux

Après guerre, le B.B.F.C. et les autorités locales reprirent le contrôle de la censure, de par la Loi sur le Cinéma de 1952 (Cinematograph Act). Le Président de l’organisme, Lord Tyrell, avait plus de quatre-vingts ans, l’examinateur en chef, le colonel Hanna était son cadet d’un an ou deux, et le secrétaire du Board allait abandonner ses fonctions en 1948 après trente-six ans d’exercice. Hannah perdit la vue dix ans avant la fin de son mandat ![viii] L’accès au pouvoir, pour la première fois dans l’histoire de la Grande-Bretagne, d’un gouvernement travailliste majoritaire dont l’un des mots d’ordre était “ Plus Jamais Ça ” incita le B.B.F.C. à prendre en compte l’engagement sociopolitique de nombreux cinéastes. Avec l’avènement en 1951 d’une majorité conservatrice non réactionnaire dans la mesure où elle ne remettait pas en cause les acquis principaux de ses prédécesseurs, le consensus domina et, à une ou deux exceptions près, le B.B.F.C. ne censura plus de films sur des bases uniquement politiques. Cela dit, de 1948 à 1957, le Conseil rejeta cinquante films, soit six par an en moyenne.[ix] Durant cette période de redressement national et de mieux-être économique, des expressions radicalement contestataires allaient surgir dans le théâtre, le roman et le cinéma.[x] Le B.B.F.C. réagit frileusement à ce bouillonnement en montrant une très grande vigilance face au cinéma à vocation sociale. Le cuirassé Potemkine demeura interdit tandis que le Board mutilait sévèrement quelques films désormais classiques : Le diable au corps de Claude Autant-Lara en 1946, Brighton Rock de John Boulting en 1947 (d’après Graham Greene), Riz amerde Giuseppe De Santis en 1948, Los Olvivados de Luis Buñuel en 1950,  Le Salaire de la peurd’Henri-Georges Clouzot en 1953, Sensode Lucchino Visconti en 1954 (rebaptisé par les censeurs The Wanton Duchess, la duchesse impudique), The Wild One de László Benedek en 1954 (L’équipée sauvage, avec Marlon Brando). En 1955, de longs passages de Rebel without a Causede Nicholas Ray avaient été censurés, en particulier ceux qui mettaient en cause l’autorité parentale.

 

. L’ère Trevelyan

De 1958 à 1971, le B.B.F.C. fut dominé par la personnalité de John Trevelyan. Guère plus libéral que ses prédécesseurs (il refusa une moyenne de douze films par an), il élabora cependant une politique cohérente de censure cinématographique. Il se fit de la sorte respecter de la profession en la respectant, et sans renier ses principes et ses goûts personnels.[xi] Il défendit vigoureusement des films anglais posant des problèmes brûlants (comme The Young and the Guilty en 1958, tableau des frustrations sexuelles des jeunes), mais il élagua énergiquement la même année Les amantsde Louis Malle. Sur des bases étroitement politiques, il interdit deux documentaires est-allemands prouvant que d’anciens criminels de guerre nazis occupaient de hautes fonctions dans l’appareil d’État ouest-allemand.

Dans quel climat social, politique et culturel évolua alors le B.B.F.C. ? Il est indéniable que ce que l’on appellera par la suite les Swinging Sixties marqua une avancée considérable en matière de libéralisation des mœurs. Le retour au pouvoir des Travaillistes aidant, plusieurs lois firent de la Grande-Bretagne l'un des pays du continent européen les moins contraignants pour l'individu. Furent alors libéralisées les lois sur l'avortement, le divorce, la contraception, l'homosexualité, tandis que la peine de mort était abolie. Fait remarquable, la plupart de ces lois furent discutées à l'initiative des parlementaires (qui, dans plusieurs domaines, étaient en avance sur le pays réel) et non du gouvernement.[xii] Le cinéma avait précédemment joué son rôle d'éveil des consciences, en particulier par le biais de l’ouverture de nombreux ciné-clubs permettant la projection de films non certifiés par le B.B.F.C.. Ainsi en 1956, Yield to the Night, avec Diana Dors, avait mis en scène l'histoire vraie de la condamnation à mort d'une femme d'origine populaire ayant tué son amant d'origine bourgeoise. En 1961, Dirk Bogarde avait incarné un personnage homosexuel dans Victim. L'année précédente, deux films avaient narré la vie d'Oscar Wilde (Oscar Wilde et The Trials of Oscar Wilde). Rappelons qu'il avait fallu attendre 1958 pour qu'il ne soit plus illégal d'aborder le sujet de l'homosexualité au théâtre, à condition que les personnages jouent un rôle réel dans l'intrigue et qu'ils ne s'embrassent ni ne s'étreignent sur scène. En 1969, Ken Russell pourrait filmer deux hommes luttant nus dans son adaptation du roman de D.H. Lawrence Women in Love. En 1966, le problème de l'avortement était clairement posé dans Alfie (“ Alfie le dragueur ”, le premier grand rôle de Michael Caine), mettant en scène un prolétaire coureur de jupons, alors qu'auparavant le simple mot “ avortement ” était interdit au cinéma et dans les œuvres de fiction télévisuelles. En 1967, le B.B.F.C. accepta le mot “ bugger ” (bougre, pédé) dans les films (l'année précédente, le fameux critique de théâtre Kenneth Tynan avait utilisé le mot “ fuck ” dans un débat télévisé en direct[xiii]), et en 1968, on voyait pour la première fois une jeune femme nue de face dans le film If de Lindsay Anderson. On peut par ailleurs constater qu'en ces années les pouvoirs publics (magistrats, conseils municipaux, police), mais aussi les groupes de pression, les Églises se mobilisèrent beaucoup moins contre les bandes dessinées pornographiques, les clubs de strip-tease ou les sex shops. De fortes réactions à la libéralisation purent néanmoins se développer. Ainsi en 1964 des militants lancèrent une “ Campagne pour une Télé Propre ” en créant une Association Nationale de Téléspectateurs. La B.B.C., qui avait été tant critiquée comme pilier de l'Establishment se voyait traitée de pourvoyeuse d'obscénités.[xiv] Et on n'oubliera pas que l'Affaire Profumo date de 1963, avec, à la clé, le suicide, pendant son procès, du Docteur Stephen Ward, un riche praticien homosexuel londonien, accusé – à juste titre – d'avoir présenté Christine Keeler, call girl de haut vol et maîtresse d'un diplomate soviétique, au ministre de la Guerre conservateur John Profumo.[xv]

Lorsque John Trevelyan rédigea ses mémoires de censeur en 1973, il choisit pour épigramme cette phrase défensive et réaliste : « Les temps changent et il faut changer avec eux. »[xvi] Grâce à cette analyse il se dédouanait, peut-être à bon compte, d'une gestion ouverte mais ferme de la censure officieuse dont il avait la charge. La liberté de création allait néanmoins connaître bien des embûches.

En mars 1954, un ancien cadreur de David Lean, Ronald Neame, lut le livre à succès de Michael Croft Spare the Rod.[xvii] Dans ce roman, Croft s'appuyait sur son expérience d'enseignant pour raconter l'histoire d’un jeune professeur idéaliste nommé dans un collège difficile qui refuse d'employer des méthodes répressives à l'encontre d’adolescents défavorisés très turbulents. Le B.B.F.C. envisagea un certificat “ A ” après quelques coupures. Le Président de la Rank, alors la compagnie de cinéma la plus importante outre-Manche, trouva le scénario “ monstrueux ”, ne soutint pas ses créateurs et proposa des modifications qui dénaturaient le film. Le projet tomba à l'eau. Un projet remanié échoua en 1956. Une troisième mouture fut soumise au B.B.F.C. en 1960. Audrey Field, la principale examinatrice du B.B.F.C., observa alors que le hooliganisme offrait un visage moins « méchant et plus enfantin ».  Et, de manière très significative, elle fit une lecture purement réaliste du film, mélangeant faits et fiction, un peu comme si le cinéma ne pouvait avoir de portée que cognitive : « Plusieurs des filles de la classe de Sanders sont devenues de vilaines petites créatures. Notre pays est sur une mauvaise pente, et ce scénario est indéniablement une peinture réaliste de la situation. »[xviii]

Un deuxième exemple, plus édifiant encore, serait celui de Room at the Top. Ce film, annonciateur du Free Cinema[xix], était l'adaptation fidèle du roman éponyme de John Braine, publié en 1957, l'un des plus gros succès de l'époque. L'histoire raconte la démarche totalement cynique de Joe Lampton, jeune homme ambitieux à qui son passé de prolétaire fait horreur. Pour se faire une place au soleil, il décide de commettre quelques actions assez douteuses – comme épouser la fille du patron tenant la ville sous sa coupe, après avoir fait une croix sur une passion torride qu'il venait de vivre avec une femme plus âgée que lui, Alice Aisgill[xx]. Room at the Top était une œuvre à prétention sociale, mettant clairement en scène la lutte des classes. Les producteurs du film, John et James Woolf, choisirent de ne présenter leur œuvre au B.B.F.C. qu'une fois le film tourné. Les censeurs émirent alors de très sérieuses réserves. Ils exigèrent ainsi que le mot “ lust ” (désir charnel) soit remplacé par “ time ” dans la phrase “ Don't waste your lust  – ce qui, vu le contexte, ne voulait plus dire grand chose – et que le mot “ bitch ” (chienne, salope) soit remplacé par “ witch ” (sorcière). Par ailleurs, Alice Aisgill mourant à la fin du film dans un accident de voiture – épisode raconté et non montré –, les censeurs ne purent tolérer qu'on dise de la femme qu'elle avait été « scalpée ». L'équipe du film accepta ces injonctions, regrettant que le B.B.F.C. n'ait pas rétribué ses louables efforts, comme en témoigne une lettre de John Woolf à John Trevelyan :

 

J'aimerais que l'épisode de la mort d'Alice ne fût pas trop édulcoré. Dramatiquement parlant, cet épisode est terriblement important et je pensais que le fait qu'Alice périsse violemment serait perçu par les censeurs comme une fin morale. Comme je vous l'ai déjà dit, nous avions dans un premier temps imaginé filmer la scène, puis nous avons changé d'avis, estimant alors que de faire raconter l'épisode par d'autres personnages ne poserait aucun problème de censure.[xxi]

 

Moralement parlant, la scène qui posa le plus sérieux problème fut celle où le héros Joe Lampton, et Mavis, une de ses conquêtes, viennent de faire l'amour. Ce moment post-coïtal était parfaitement intolérable pour la censure.[xxii] La scène dut être rejouée afin d'édulcorer la forte connotation sexuelle. Le film fut programmé avec un certificat “ X ”, ce que la production utilisa dans sa campagne promotionnelle :  Une histoire sauvage de désir et d'ambition ”.

La pièce de John Osborne Look Back in Anger (1956), œuvre phare des années cinquante, connut un très grand succès en Grande-Bretagne et aux États-Unis. La compagnie Warner prépara une version cinématographique avec Richard Burton – déjà vedette de premier plan outre-Manche. Le scénario fut soumis au B.B.F.C. qui estima que le projet méritait un “ A ” pour l'histoire et un “ X ” pour la grossièreté du langage.[xxiii] Audrey Field s'offusqua des allusions à l'avortement de l'héroïne et, comme cela avait été le cas pour Room at the Top, elle n'apprécia pas que Jimmy pût éprouver du plaisir à la simple évocation de ses relations sexuelles. Elle critiqua par ailleurs le discours sadique de Jimmy souhaitant voir sa femme ramper par terre, la figure dans la boue. Un autre membre du Conseil analysa, quant à lui, le scénario d'un point de vue strictement réaliste en se demandant comment une jeune fille éduquée et raisonnable avait pu tomber amoureuse d'un type aussi « minable ».[xxiv] Le B.B.F.C. demanda expressément aux scénaristes de supprimer le juron “ Christ ” (à l'époque réellement plus blasphématoire qu'aujourd'hui) et de chercher des synonymes pour les mots “ salope ”, “ vierge ” et “ bâtard ”. Il demande enfin que les allusions à l'avortement ne puissent pas être comprises par les enfants.

Le film de Karel Reisz Saturday Night and Sunday Morning (sorti en octobre 1960) était adapté du roman éponyme d'Alan Sillitoe, publié en 1958, à l'époque, la troisième vente du siècle après L'amant de Lady Chatterley et Peyton Place. Il présentait la société anglaise comme coupée en deux, sans fraternisation possible entre les patrons et les ouvriers. Une nouvelle fois, le B.B.F.C. se montra sourcilleux face à un essai d'avortement par un bain bouillant et une bonne rasade de gin. Un épisode cocasse opposa les censeurs aux créateurs à propos du mot “ bugger ”. Sillitoe souhaitait que l'acteur prononçât le mot “ bogger ” comme on l'entend à Nottingham, mais le B.B.F.C. exigea qu'on entende “ beggar ” (mendiant), malgré l'incohérence de la suggestion.

A Taste of Honey, film lui aussi adapté d'une pièce célèbre, posa des problèmes non négligeables aux censeurs. Tony Richardson s'attaquait en 1962 à l'adaptation de la pièce de Shelagh Delaney, dramaturge de dix-huit ans. La pièce et le film s'en prenaient à un nombre impressionnant de tabous. L'héroïne est la fille d'une prostituée “ indépendante ”, enceinte des œuvres d’un Antillais[xxv] dont elle s’est amourachée et qui l’a abandonnée une fois ses désirs assouvis. Elle se met alors en ménage avec un Anglais de souche, dont on s'aperçoit rapidement qu'il est homosexuel. Le film fut classé “ X ” après suppression des “ Christ ” et de quelques expressions du style “ avoir un Polichinelle dans le tiroir” ou “ avoir le ballon ”. Pour décapante qu'elle ait pu être, cette histoire était tout à fait en prise avec le réel quand on se souvient qu'à la fin des années cinquante, une enquête menée par la British Medical Associationavait, par exemple, révélé qu'une jeune mariée sur quatre âgée de moins de vingt et un ans était enceinte au moment du mariage et qu'un enfant sur six était conçu en dehors des liens du mariage.[xxvi]

Depuis, la censure s’est considérablement assouplie. On citera malgré tout une bavure aussi célèbre qu’incompréhensible. Dans le film Psycho (Psychose) d’Alfred Hitchcock en 1960, la scène du meurtre dans une douche de chambre d’hôtel du principal personnage féminin est d’autant plus saisissante qu’on entend de manière très réaliste le poignard s’enfoncer dans le corps de la jeune femme. Le B.B.F.C. demanda que les quatorze coups originels soient réduits à trois (il y en a huit dans la version française doublée), la séquence durant vingt-deux secondes au lieu de quarante-cinq.

Le B.B.F.C. se montra par ailleurs beaucoup moins sévère face à l’homosexualité (masculine et féminine) ou à certaines formes de perversion. Il accepta  Belle de jour de Luis Buñuel (1967), Les Biches de Claude Chabrol (1968) et The Fox de Mark Rydell (1968), mais refusa The Killing of Sister George de Robert Aldrich (1968). La police saisit des copies de Flesh d’Andy Warhol (1968) mais le B.B.F.C. le certifia.

Durant les années soixante-dix, la politique des instances de censure s’avéra passablement ambiguë. En 1979, le rapport de la Commission Williams (Williams Report) mit un terme à une décennie où les tendances réactionnaires (pensons aux campagnes du Festival of Light[xxvii] ou de Mary Whitehouse) tentèrent de regagner le terrain perdu  par elles au cours des années soixante. Autant la Commission Williams accorda à la littérature le bénéfice de clergie en postulant qu’il était impossible de prévoir ce qui demain serait « possible, nécessaire ou désirable »,[xxviii] autant elle jeta la suspicion sur le cinéma qui, par ses techniques (gros plans montage, effets spéciaux, bandes sonores), pouvait produire sur les spectateurs des réactions dangereuses, comme aucun autre moyen de communication de masse. La télévision fournissant désormais des spectacles “ familiaux ” pour un public de masse, le cinéma dut fournir des œuvres toujours plus fortes et visant le public des adultes.

Le Board accepta (avec des coupures insignifiantes) des films aussi dérangeants que The Devils de Ken Russell (1970), inspiré du récit d’Aldous Huxley de 1952 The Devils of Loudun[xxix], A Clockwork Orangede Stanley Kubrick (Orange mécanique) en 1971, Last Tango in Paris (Le dernier tango à Paris) de Bernardo Bertolucci en 1972 (pour lequel le B.B.F.C. demanda simplement une coupure d’une dizaine de secondes), Le Portier de Nuitde Liliana Calvani et Emmanuelle de Just Jaeckin (1974). En 1976, la censure effaça la bande son lorsque, dans Taxi Driver de Martin Scorcese, Jodie Foster baisse la fermeture éclair du jeans de Robert de Niro. Le B.B.F.C. accepta des films réellement violents comme Soldier Blue de Ralph Nelson en 1970, une des descriptions les plus insupportables de la guerre, ou Straw Dogs (Les chiens de paille) de Sam Pekimpah en 1971, film qui montre la femme d’un écrivain violée par deux brutes épaisses, les deux hommes étant ensuite assassinés de manière atroce par le mari. En 1975, la censure ne trouva rien à redire à Salo de Pasolini (d’après Les 120 jours de Sodome de Sade), mais la police londonienne interdit toute représentation dans le quartier de Soho. En 1974, Les Valseuses de Bertrand Blier fut censuré, non pas parce que deux hommes se partagent les faveurs d’une seule femme, mais parce que la police laisse les deux héros masculins du film saccager un magasin. La même année, Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse, inspiré par les agissements d’un fermier du Middle-West), suggérant plus qu’il ne montrait, fut interdit pour son efficacité.

En 1978, la Loi sur la Protection des Enfants (The Protection of Children Act) interdit tout film mettant en scène un enfant de moins de seize ans ayant une relation sexuelle ou assistant à une relation sexuelle. Cette mesure entraîna d’importantes coupures dans Le Tambourde Volker Schlöndorff (1979), alors que ce film était présenté dans son intégralité partout ailleurs en Europe.

Le film de Nagisa Oshima L’empire des sens (1975) finit par obtenir un certificat universel en 1991 (après suppression de la scène où une femme tire sur le pénis d’un jeune enfant pour le stimuler), tandis que Maîtresse, film sadomasochiste de Barbet Schroeder (1976) était totalement censuré.

Les ligues de vertu ne parvinrent pas à faire interdire The Life of Brian (La vie de Brian) du Monty Python en 1979.

 

. L’autocensure

Depuis le début du siècle, l’autocensure s'est perpétuée. Aujourd'hui, les autorités locales ont toujours le droit d'interdire l'accès des salles aux enfants ou d'empêcher la projection de tel ou tel film. Elles le font généralement après l'avis du B.B.F.C. (les campagnes des ligues de vertu ou la presse dite “ populaire ” sont heureusement peu fréquentes). Cet organisme n'a toujours pas élaboré de code officiel de censure et il refuse très rarement le certificat d’agrément. Les catégories actuelles sont “ U ” pour tout public, “ PG ” (Parental Guidance, Accord parental), l'interdiction aux mineurs de moins de douze, quinze ou dix-huit ans, enfin “ Restricted 18 ” lorsque la permission n'est accordée qu'à des adultes fréquentant des établissements dont l'accès est privé ou restreint, comme les clubs. S’il y a si peu de films interdits, c’est parce que les instances professionnelles – en particulier les distributeurs de films vidéo – exercent un contrôle préalable drastique. Les films pornographiques, soft ou hard, ne demandent pas à être certifiés. Les films pour adolescents font l’objet de modifications pour ne pas être censurés. On remplace un “ Fuck ” par un “ Blimey ” (mince, alors !), comme dans Robin Hood : Prince of Thieves (1992) ou Crocodile Dundee. On supprime un long passage de Mrs Doubtfire avec Robin Williams (1993) parce qu’on imagine que l’ambiguïté sexuelle va trop loin. Mais on peut voir un pénis en érection dans Les amants du Pont-Neuf  de Leos Carax en 1992, film pour tout public. Une très grande liberté est par ailleurs donnée aux réalisateurs de films sexuels éducatifs. Ainsi, dans Orgasm Workout (1992), Kamasutra 2(1993), on trouve des scènes de pénétration, de fellation, de cunilingus, mais pas d’éjaculation.

Le B.B.F.C. est également très attentif aux scènes de violence : Platoon d’Oliver Stone (1986) fut interdit aux moins de 15 ans tandis que Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1987) était réservé aux personnes majeures. Reservoir Dogs de Quentin Tarentino (1992) fut interdit aux moins de 18 ans, et totalement censuré pour le marché de la vidéo. Rambo III[xxx], Lethal Weapon II (L’arme fatale II), Terminator II ou Cliffhanger ont fait l’objet de coupures assez importantes pour pouvoir être montrés aux jeunes de 15 ans. In the Line of Fire (Dans la ligne de mire), film de 1992 avec Clint Eastwood, fut légèrement “ adouci ” par la censure. Dans les années quatre-vingt-dix, la censure a remanié environ un film sur dix.

 

. La censure économique

Dans un pays capitaliste comme la Grande-Bretagne, on ne saurait sous-estimer la censure des puissances industrielles. Les films sont distribués par une poignées de compagnies britanniques (Rank, EMI) ou états-uniennes (Fox, Warner, Paramount). Ces grandes sociétés ont des intérêts dans les chaînes de télévision qui rentabilisent les investissements des Majors. Sous l’influence de Hollywood, les œuvres tendent de plus en plus à être conçues en termes de produits. En conséquence, ce qui sort de la norme en matière d’idées ou d’esthétique, ce qui risque de ne pas toucher une partie du public mondial  a peu de chance de franchir les innombrables barrages dans les grands studios. Dans un passé récent, on a vu des films à succès, couronnés par des oscars, avoir, dans un premier temps, toutes les peines du monde à sortir de leur boîte. Tess, production franco-britannique de Roman Polanski en 1979, basé sur l’un des romans les plus populaires de l’histoire de la littérature britannique, ne fut montrée sur les écrans anglais que parce qu’elle avait obtenu un fort succès outre-Atlantique. Il en alla de même pour Raging Bull de Martin Scorsese avec Robert De Niro en 1980 et The Stunt Man de Richard Rush avec Peter O’Toole la même année. La domination financière de Hollywood écrase et fausse la production et la distribution mondiale. Le public britannique ne peut avoir accès qu’à environ trois cents des quatre mille films tournés chaque année sur la planète. Les écrans anglais sont envahies de production étatsunienne alors que Hollywood ne produit que cinq pour cent du cinéma mondial, moins que l’Inde, le Japon, ou la France.

 

La période précédant les élections législatives de 1997 fut propice à un climat de défiance vis-à-vis des films montrant des scènes de violence ou de sexe. Le cas de pression le plus flagrant fut celui exercé contre Crash de David Cronenberg, cette année-là. Michael Howard, le ministre de l’Intérieur (conservateur) mena une véritable chasse aux sorcières contre ce film, relayée par plusieurs personnalités travaillistes. Virginia Bottomley, la Secrétaire du National Heritage, hurla avec les loups, demandant aux autorités locales d’interdire purement et simplement cette œuvre. Ce débat quasi hystérique au sujet d’un film qui, en France par exemple, ne suscita pas de problème particulier, montra qu’en période électorale les réflexes moraux prennent le pas sur les exigences de la liberté d’expression.

 

On peut se demander s'il peut exister de l’excès, par exemple dans la sexualité ou la violence, sans discours sur la sexualité ou la violence, et donc sans représentation. C'est la question que posait Pierre Bourdieu en tête de son étude de L’Éducation sentimentale : « Qu'est-ce en effet que ce discours qui parle du monde (social ou psychologique) comme s'il n'en parlait pas ; qui ne peut parler de ce monde que sous la condition qu'il n'en parle que comme s'il n'en parlait pas, c'est-à-dire dans une forme qui opère, pour l'auteur et le lecteur, une dénégation (au sens freudien de Verneinung) de ce qu'il exprime ? »[xxxi]. Freud comparait la censure aux “ passages caviardés ” des journaux. Censurer, c'est installer un “ blanc ” dont le rôle est de masquer les refoulements, ou au contraire  mais ce qui revient au même  la montée du désir. Souhaiter dire “ bugger ” dans un film revient à dialectiser un désir, à socialiser une parole, à formaliser un dire. Remplacer “ bugger ” par “ beggar ”, c'est vouloir évacuer la mise en forme du fantasme avant de censurer le moi et – dans le cas d'un art de masse – la morale collective.

Les créateurs ont été encouragés à se discipliner et les spectateurs invités à respecter les codes de bonne conduite institués dans un esprit consensuel. Le cinéma britannique (producteurs, créateurs, public) a  favorisé la recherche d'une voie moyenne, du bon goût, de ce qu'on nomme en anglais decency, avec une tendance à écarter l'excès, mais aussi l'ambigu, le symbolique, l'absurde, l'incohérent chaque fois qu'il y avait risque de défamiliarisation ou de difficulté pour le public à participer pleinement.[xxxii] Naturellement, des créateurs s'insurgèrent contre les limites de l'institution autocensurante censée refléter ou devancer les préférences des spectateurs, mais qui, volens nolens, défendait les piliers de l'ordre existant. On n'oubliera pas non plus la “ censure ” amicale des sociétés de production ou de distribution “ conseillant ” à tel ou tel créateur d'abandonner tel ou tel projet pour des raisons de rentabilité. Même si les artistes ont pu être frustrés par certaines décisions de l'organe de régulation, le cinéma britannique, pour cette période en particulier, n'a pas connu – ce qu'on dénomme outre-Manche, faute de mieux, par une expression française – de cause célèbreidentique à celle du film La Religieused'après Diderot.

 

QUELQUES FILMS CÉLÈBRES CENSURÉS

(d’après J.C. Robertson, The Hidden Cinema. British Film Censorship in Action, 1913-1975. Londres : Routledge, 1989.

 

A Daughter of the Gods

1916. Premier nu féminin de l’histoire du cinéma (nudité de l’héroïne féminine partiellement cachée par de longs cheveux). Film projeté dans plusieurs grandes villes anglaises mais pas à Londres.

 

The Betrayal of Lord Kitchener (Comment Lord Kitchener fut trahi)

En juin 1916, le ministre de la Guerre, Lord Kitchener, meurt dans l’explosion d’un bateau de guerre. Selon le film, l’explosion aurait été l’œuvre de services secrets allemands. En avril 1922, le B.B.F.C. rejeta le film et exerça des pressions sur la France et les États-Unis pour que le film ne soit pas projeté.

 

Nosferatu

Adaptation par Friedrich W. Murnau du roman Dracula.Sa censure en 1922 fut à l’origine de la création de la Film Society.

 

America

Film de D. W. Griffith en 1924. Raconte l’amour d’un membre de l’armée indépendantiste pour la fille d’un loyaliste en 1775. Le B.B.F.C. leva son interdiction après trois mois de discussion.

 

Battleship Potemkin (Le cuirassé Potemkine)

Hommage d’Eisenstein à la Révolution de 1917. Considéré par beaucoup comme le meilleur film du siècle. La sortie du film coïncida avec la Grève Générale de 1926. La Film Society montra le film dans des assemblées ouvrières. L’Union Soviétique étant l’alliée de la Grande-Bretagne durant la Seconde Guerre mondiale, le film fut programmé jusqu’en 1946. Pendant la Guerre Froide, le film fut à nouveau censuré. Après la mort de Staline en 1953, Potemkin fut certifié “ X ”.

 

King of the Kings (Le Roi des rois)

De Cecil B. de Mille en 1927. Le B.B.F.C. n’accepta pas Jésus-Christ à l’écran. Il fallut attendre 1961, avec une nouvelle version du film par Nicholas Ray, pour que le censeur lève son interdiction.

 

The Seashell and the Clergyman (La coquille et le clergyman).

Film de Germaine Dulac en 1927. Jugé trop surréaliste par la censure.

 

The Miracle Woman

De Frank Capra en 1921. Rejeté parce qu’il contenait des citations “ irrévérencieuses ” de textes religieux.

 

The Bitch (La Chienne)

Film de Jean Renoir (1931). Trop érotique pour le B.B.F.C..

 

The Beggar’s Opera (L’Opéra de quat’ sous)

Version française de Georg Pabst en 1930. Rejetée pour sa description du crime organisé.

 

Carrots (Poil de carotte)

Version de Julien Duvivier en 1932 d’après le roman de Jules Renard. Le B.B.F.C. n’accepta pas la tentative de suicide du jeune enfant.

 

Life Begins

Film culte de 1932. Une femme mariée enceinte est condamnée pour le meurtre d’un homme qui a tenté de la violer. Les médecins doivent choisir entre la vie de la mère et celle de l’enfant. Ils choisissent celle du bébé. Le B.B.F.C. leva son interdiction après trois années de combats d’organisations féministes.

 

Jew Süss (Le Juif Süss)

D’après le roman de Lion Feuchtwanger. Film anti-nazi dont l’histoire se passe au XVIIIème siècle. Le B.B.F.C. fut choqué par la violence. Interdiction levée en 1934 avec dix minutes de coupures.

 

The Last Turn (Le dernier tournant)

En mars 1939, le scénario de ce film français (avec Fernand Gravey et Michel Simon), inspiré du roman de James M. Cain Le Facteur sonne toujours deux fois, est soumis par précaution au B.B.F.C. Le film est censuré.

 

How Green Was my Valley (Qu’elle était verte ma vallée)

Film de John Ford de 1941. Le B.B.F.C. ne put accepter une grève interminable et une histoire d’amour entre la sœur du héros (mariée mais séparée) et un pasteur.

 

No Orchids for Miss Blandish (Pas d’Orchidées pour Miss Blandish)

Scénario tiré, en 1944, de la pièce à succès de J.H. Chase. Projet rejeté. Soumis de nouveau en 1948. Certifié “ A ” avec des coupures.

 

The Miracle (L’aurore)

Film de Roberto Rossellini en 1948. L’histoire d’une paysanne simple d’esprit qui voit Saint Joseph en la personne d’un bohémien malfaisant. Elle est violée, tombe enceinte et s’enfuit pour accoucher de son enfant. Censuré pour la représentation “ scandaleuse” de la nativité.

 

Keep an Eye on Amelia (Occupe-toi d’Amélie)

Film de Claude Autant-Lara de 1949 d’après Georges Feydeau, avec Danielle Darrieux et Jean Desailly. Raconte les tribulations d’une cocotte vers 1910. Censuré en 1950.

 

The Wild One (L’équipée sauvage)

Film de 1953 avec Marlon Brando. Refusé en 1954 et 1955 malgré des coupures. Accepté en 1967.

 

The Blackboard Jungle (Graine de violence)

Film de 1955 avec Glenn Ford et Sidney Poitiers. Refusé en 1955. Accepté après de nombreux changements.

 

The Man with the Golden Arm (L’Homme au bras d’or)

Film d’Otto Preminger en 1955 avec Frank Sinatra. Certifié “ X ”. La scène où le héros se fait une injection d’héroïne est coupée.

 

Trans-Europe Express

Film d’Alain Robbe-Grillet en 1966. Censuré en 1967 pour ses connotations sadiques.

 

A Clockwork Orange (Orange mécanique) Certifié “ X ” en 1971.

Last Tango in Paris (Dernier tango à Paris) Film de Bernardo Bertolucci en 1972. Certifié “ X ”.

 



 



[i]  Geoffrey Pearson. Hooligan : a History of Respectable Fears,  Londres, Macmillan, 1983.

[ii] Des catastrophes non naturelles ont fortement sensibilisé les esprits aux problèmes de sécurité : l’incendie du Bazar de la Charité à Paris en mai 1897 (cent vingt morts), la fin pour le moins inattendue du Titanic en 1912.

[iii] En France, le système de censure est moins pesant qu’en Grande-Bretagne, mais particulièrement compliqué. Voir Encyclopædia Universalis, article “ Droit du cinéma ”, tome 5, p. 855.

[iv] Lire P. O'Higgins, Censorship in Britain, Londres, 1972, et D. Tribe, Questions of Censorship, Londres, 1973.

[v] C’est en 1909 qu’on filma pour la première fois en France une exécution capitale.

[vi] Samuel fut un des rares ministres d’origine juive du début du siècle. Après avoir travaillé dans les services sociaux de l’East End de Londres, il fut promu au ministère de l’Intérieur où il conçut la législation permettant l’institution de tribunaux pour enfants et de maisons de redressement (Borstal).

[vii] Par exemple Le Roi des rois de Cecil B. de Mille (1927) qui met en scène Jésus-Christ, ou encore le Ben Hur de Fred Niblo (1925) qui montre des femmes fort peu habillées.

[viii] De 1948 à 1957, le B.B.F.C. fut dirigé par Arthur Watkins.

[ix] Voir James C. Robertson, The Hidden Cinema. British Film Censorship in Action, 1913-1975. Londres : Routledge, 1989.

[x] Sans parler de ce qu’on appellera quelques années plus tard la pop music. Voir Bernard Gensane, L’autre Angleterre, Paris : Bordas, 1971.

[xi] Son penchant pour les films japonais et suédois était connu. Il n’en censura jamais aucun.

[xii] La peine de mort fut abolie en 1965 pour une période d'essai de cinq ans, puis définitivement en 1969, assurément contre la majorité de l'opinion publique. L'Abortion Act fut voté en octobre 1967. Une loi de 1929 avait autorisé l'avortement lorsqu'il était accompli “ de bonne foi ” pour préserver la vie de la mère. La loi sur l'homosexualité (Sexual Offences Act), votée en juillet 1967, permettait des relations homosexuelles entre adultes majeurs consentants. Le Divorce Reform Act de 1969 introduisait, entre autres, la notion de consentement mutuel. Parallèlement, le Theatres Act de 1968 mettait fin au droit dont disposait le ministre de la Justice de censurer les pièces de théâtre.

[xiii] Le mot était venu naturellement dans la bouche de Tynan, non comme une grossièreté mais comme un élément d'une explication pédagogique sur la censure des relations sexuelles au théâtre.

[xiv] Mary Whitehouse. Cleaning up T.V. : from Protest to Participation. Londres, 1967.

[xv] Dans cette affaire, dont on tira des films de fiction, la presse, parfaitement au courant des tenants et des aboutissants, se censura pendant plusieurs semaines : aucun journaliste n'ayant naturellement tenu la chandelle, les preuves matérielles étaient impossible à apporter. “ Fleet Street ” avait pu cependant prendre sa revanche sur un scandale précédent : en 1962, des journalistes avaient été jetés en prison pour avoir refusé de révéler les sources qui les avaient amenés à écrire qu'un haut fonctionnaire, condamné à dix-huit ans de prison pour avoir vendu des secrets à l'URSS, avait eu une liaison avec un ministre de l'Amirauté. Le bruit avait couru que Lord Carrington, figure importante de la Chambre des Lords et futur ministre de Madame Thatcher, avait trempé dans cette affaire de mœurs et d’espionnage.

[xvi] What the Censor Saw. Londres, 1973.

[xvii] “ To spare the rod ”, c'est ne pas utiliser une baguette pour punir. “ Spare the rod and spoil the child ” est l'équivalent en français de “ Qui aime bien châtie bien ”.

[xviii] B.B.F.C. File on Spare the Rod : Reader's report, 25 novembre 1960.

[xix] Le Free Cinema naquit en 1956 lors de la publication du manifeste de Lindsay Anderson, son principal théoricien. Il acquit une réelle indépendance lorsque Tony Richardson et John Osborne fondèrent la société de production Woodfall Films, soutenue par le réseau de distribution British Lion.

[xx] Ce personnage était joué par Simone Signoret, qui décrocha avec ce rôle le premier Oscar attribué à un acteur français. Titre du film en français : Les chemins de la haute ville. Dans la perspective de s’attirer la bienveillance de la censure, le choix d’une actrice française, jouant le rôle d’une française, n’était pas neutre puisque Signoret incarnait un personnage “ sulfureux ” qui, dans le livre, était anglais. On retrouverait le même syndrome et la même prudence avec l’adaptation du roman de Lynn Reid Bank, The L-Shaped Room, l’actrice française Leslie Caron jouant le rôle d’une mère célibataire, anglaise dans le roman.

[xxi] Voir Arthur Marwick. “ Room at the Top : the Novel and the Film ” in Marwick (dir.), The Arts, Literature and Society, Londres, 1990.

[xxii] En 1960, la censure donna un “ A ” à The Entertainer (avec Laurence Olivier) car une scène suggérait que deux amants avaient fait l’amour sans réel plaisir.

[xxiii] B.B.F.C. File on Look Back in Anger : Readers’ Report, 28 août 1958.

[xxiv] B.B.F.C. File on Look Back in Anger : Readers’ Report, 29 août 1958.

[xxv] Quatre ans après les émeutes raciales de Notting Hill.

[xxvi] John Montgomery. The Fifties, Londres : Allen and Unwin, 1965.

[xxvii] Fondé au début des années soixante-dix, ce rassemblement évangélique prit ensuite le nom de Christian Action, Research and Education (CARE).

[xxviii] Bernard Williams. Obscenity and Film Censorship, (Cambridge : Cambridge U.P., 1981), p. 55.

[xxix]  Il s’agit de l’étude psychologique d’un groupe de religieuses (censément possédées par le diable) dans la France du XVIIème siècle. Le B.B.F.C. interdit cependant Shock Corridorde Samuel Fuller en 1963 car ce film suggérait que les hôpitaux psychiatriques rendaient vraiment malades ceux qui l’étaient à peine.

[xxx] Rambo I et Rambo II ne firent l’objet d’aucune coupure. Rambo III sortit quelques mois après qu’un certain Michael Ryan eut fusillé au hasard des dizaines de passants à Hungerford. Ajoutons que dans les années quatre-vingts, le B.B.F.C. fit une chasse obsessionnelle à une arme blanche pour le combat rapproché, le “ nunchaku ” (à l’origine un fléau pour battre le riz), popularisé dans les années soixante-dix par Bruce Lee.

[xxxi] Pierre Bourdieu. Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire. Paris, Le Seuil, 1992.

[xxxii] Un célèbre critique de cinéma des années 50, John Wilcox, résuma cette problématique dans un article au titre très ironique, “ The Small Knife ” : “ Le fait le plus frappant que l'on découvre lorsqu'on étudie la question de la censure filmique dans notre pays, c'est que, en dépit de notre dégoût traditionnel pour la censure, presque tout le monde qualifie la situation actuelle de raisonnable. Une telle coopération entre censeurs et censurés est difficile à concevoir dans tout autre pays. ” Sight and Sound, printemps 1956. Cité par Jacqueline Louviot, “ Sight and Sound et le cinéma britannique des années cinquante et soixante”, thèse de doctorat, Université de Strasbourg II, 1997.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 07:30

Par Jean Ortiz, pour Le Grand Soir

Etudiants.jpg

Il y a dans les universités beaucoup trop de tocards, d’étudiants bras cassés qui passent leur temps a aider MacDo, à renflouer les supermarchés, à jouer avec les enfants , à faire la plonge pour le plaisir de tremper les mains dans l’eau...et qui deviennent des "redoublards". Souvent fils de riches, ils attendent à l’université que le temps passe, s’essayant même parfois à tripler...Je veux parler ici de l’étudiant de base, pas de Jean S.. Ne personnalisons pas...Ces étudiants "cumulards" d’échecs et de handicaps coûtent cher au système.

Le gouvernement nationaliste catalan et le gouvernement Zapatero viennent de trouver la solution ; selon la presse de ce jour : augmenter les droits d’inscription des redoublants.

Actuellement un étudiant espagnol paie à peu près 15% du prix annuel (environ 6000 euros) de son année. S’il redouble, il devra payer 30% et s’il triple 100% des 6000 euros.

La mesure s’appliquerait à la rentrée 2013-2014.

Il fallait y penser. Cela relève du bon sens. Il y a des gisements de ressources qui dorment. Partant du principe qu’il y a plus de pauvres que de riches, faire payer les premiers permettrait de combler le " trou" des universités. Les "trous du C" qui envisagent ces mesures mériteraient que les étudiants espagnols leur bottent les fesses.

 

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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 07:30

Ci-dessous, de larges extraits d'un article de Jean-Jacques Chavigné sur un projet très dangereux de Sarkozy pour le peuple français :

Banquiers.jpg

Cette mesure est une attaque d’une extrême gravité contre le salariat (93 % de la population) mais n’aura aucune incidence sur les banques qui portent pourtant l’entière responsabilité de l’augmentation de la dette publique au cours des trois dernières années.

Qui peut imaginer un seul instant, en effet, que si les banques nous replongeaient dans la même galère qu’il y a trois ans, Sarkozy ne serait pas le premier à leur offrir les centaines de milliards d’euros dont elles auraient besoin pour financer leurs créances toxiques, garantir les dépôts de leurs clients et leur éviter la faillite ? Qui peut penser qu’il n’augmenterait pas aussitôt le déficit public pour satisfaire les besoins des banques ?

Le même argument qu’en 2008 nous serait alors resservi : « elles sont trop grandes pour faire faillite » ! Alors que, si elles n’étaient pas immédiatement nationalisées, elles pourraient immédiatement faire faillite et s’ensuivrait une crise économique catastrophique. On peut donc être certain que, dans un tel cas de figure, le Conseil constitutionnel s’assiérait sur l’amendement de Sarkozy et se retrancherait derrière des « circonstances exceptionnelles » pour les sauver sans les nationaliser.

Pourtant, ces « circonstances exceptionnelles » ne sont rien d’autre que le fruit de l’inaction du gouvernement Sarkozy et de son inépuisable complaisance envers les banques. Car rien, depuis 2008, n’a été fait pour interdire aux banques de spéculer avec les dépôts de leurs clients. Aucune séparation n’a été instaurée entre banques d’investissement et banques de dépôts. Des dizaines de milliards d’actifs toxiques plombent encore leurs bilans. Loin de revenir à des tailles plus modestes et donc moins dangereuses pour l’économie et la société, les établissements bancaires les plus importants ont profité des fonds mis à leur disposition par l’Etat pour racheter des établissements plus petits ou plus vulnérables. Elles sont encore plus « grandes » aujourd’hui qu’en 2008 et leurs faillites seraient donc encore plus dangereuses.

C’est uniquement contre le salariat qu’est dirigée cette modification de la Constitution.

Et cela à double titre.

D’abord en adossant directement à la Constitution le plan d’austérité destiné à rétablir l’équilibre budgétaire, un plan payé par les seuls salariés.

La dette publique sert, en effet, de bélier à Sarkozy et à son gouvernement pour imposer les « réformes » néolibérales qu’ils n’avaient pas encore pu nous infliger. Avec la retraite à 62 ans, les deux ans de travaux forcés qu’il essaie de nous imposer ne sont qu’un avant-goût de ce qu’il nous concocte. La privatisation de pans entiers de l’assurance-maladie, du secteur hospitalier, de la dépendance, des retraites est au menu de son plan d’austérité. La diminution des emplois publics, la destruction de l’Éducation nationale s’accentueront. Les collectivités locales pourront toujours moins financer les prestations sociales qu’il leur incombe de prendre en charge. Sans même parler de la TVA antisociale à laquelle Copé commence déjà à nous préparer.

Ensuite, en rendant très difficile, pour un gouvernement de gauche, la possibilité de faire une autre politique qu’une politique néolibérale. La dette publique actuelle a deux origines.

La première est la baisse des impôts des riches qui obligent l’État à emprunter aux rentiers et à leur verser des intérêts qui accroissent encore le montant de la dette publique.

La seconde est la crise économique (conséquence directe de la crise bancaire) qui s’est traduite par une augmentation des dépenses (financement du plan d’aide aux banques, primes à la casse pour préserver les profits de l’industrie automobile …) et par une diminution des recettes liées au recul de l’activité économique.

Cette dette publique est illégitime, elle n’a jamais profité à l’ensemble de la population, uniquement à ceux qui ont vu leurs impôts baisser, leurs rentes augmentées, leurs profits bancaires restaurés.

Mais une politique de gauche pourrait très bien prendre appui sur un déficit d’une tout autre nature : un déficit finançant l’investissement productif et l’augmentation du pouvoir d’achat. Ce déficit serait rapidement comblé par un surplus de croissance. Utilisé, non pour augmenter les dividendes des actionnaires, but ultime de la politique de Sarkozy, mais pour faire reculer le chômage, sauvegarder la Sécurité sociale, augmenter les salaires du secteur public, ce déficit serait parfaitement légitime. L’amendement voulu par Sarkozy l’interdirait et rendrait anticonstitutionnelle toute politique d’inspiration keynésienne.

Sarkozy ne pourrait imposer sa réforme qu’avec une partie des voix des élus de gauche. S’il arrivait à imposer son amendement, ce serait non seulement imposer de très sévères entraves à toute future politique de gauche mais ce serait, aussi, lui permettre de se remettre politiquement en selle, après le profond discrédit que lui a infligé la gigantesque mobilisation en défense de nos retraites.

Il aurait, en effet, une nouvelle fois réussi à diviser la gauche. Il en récolterait les fruits en 2012. A l’inverse, un camouflet infligé à Sarkozy accentuerait encore son discrédit et aiderait à une victoire de la gauche.

Le Parti Communiste a annoncé que ses élus ne voteraient pas l’amendement Sarkozy. La direction du Parti Socialiste semble s’orienter dans le même sens. Jean-Jacques Chavigné

source : http://www.democratie-socialisme.or...


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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 12:01

cold_case2.jpg

Sur un épisode de "Cold Case"

 

Je suis un fidèle de la série Cold Case, programmée depuis plusieurs années par Canal+ en VO et par France2 en VF. Je la regarde plutôt en anglais, un certain idiome philadelphien assaisonné d'un vocabulaire technique policier qui nécessite pour moi l'aide des sous-titres en français.

Cette série est intéressante à plus d'un titre. Outre qu'elle est très bien faite et fort bien jouée, elle repose sur le principe de la non-prescriptibilité des crimes dans l'État de Pennsylvanie. Un pépé de 90 ans peut se voir jeté au trou si, 70 ans plus tôt, il a commis un crime ou a été complice d'un crime. L'équipe policière de la série reprend, après la découverte d'un nouvel indice, une affaire qui n'avait pas trouvé de solution. Elle la résout et la classe.

Cela permet des reconstitutions, plutôt fidèles, d'époques antérieures (la musique joue alors un grand rôle) et d'apprécier des vies, des destins mis en perspective. Le plus souvent, nous sommes plongés dans des quartiers de Philadelphie assez peu riants. Les problèmes conjoncturels et structurels de la société étasunienne sont clairement évoqués lorsque le scénario l'exige.


Un récent épisode, assez banal, soulevait un fait de société intéressant. Un ado placé dans un foyer pour délinquants s'était mortellement blessé en glissant. Quelques années plus tard, un indice permettait tout naturellement de lancer l'équipe à la recherche d'un crime. Aux deux tiers de l'épisode, on découvrait que le foyer pour délinquants, placé sous l'autorité du ministère de la Justice, était en fait une institution privée. Les murs appartenaient à des actionnaires et le personnel était de statut privé. L'histoire avançait d'un coup lorsque l'équipe comprenait que le juge du coin n'était autre que le frère de la principale actionnaire d'une chaîne de foyers. Sa politique était donc d'emplir les foyers au maximum et de refuser toute libération conditionnelle.

Le héros malheureux de l'épisode aurait dû, normalement, recouvrer la liberté. Il avait en fait été tué accidentellement par le directeur du foyer qui  lui avait flanqué une rouste un peu appuyée, sans intention de donner la mort.

Par ailleurs, un officier supérieur de la police obligeait l'équipe, au nom de restructions budgétaires, à se délester d'un de ses membres, contraint de rejoindre un commissariat de banlieue.

Bien sûr, on retrouve dans cette série, comme dans tout le cinéma d'outre-Atlantique, la croyance dogmatique bien connue en la supériorité de l'individu sur le groupe. A Philadelphie comme ailleurs, des hommes intègres et efficaces finissent toujours par vaincre une machine corrompue actionnée par des incompétents. Mais l'imperfection du système n'est jamais problématisée.

Avec ses limites, cette série nous dit ce qu'est, depuis un bon moment déjà, la justice étatsunienne et ce que sera la justice dans la France de Sarkozy ou d'un de ses clones : une entreprise, au sens étymologique du terme, fonctionnant selon des critères de rentabilité indépendants des problèmes sociaux et sociétaux à résoudre.

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 16:58

argent.jpgDepuis quelque temps, le jargon universitaire, institutionnel est infesté par un certain nombre de sigles qui, comme les nouvelles dénominations des multinationales (Area, Véolia) masquent des réalités très prosaïques : ANR, RTRA, RTRS, PRES, AERES, IDEX, LABEX etc.

Quelques mots, aujourd’hui sur les IDEX des PRES.

Les PRES ont été rendus possibles par une loi de 2006. Il s’agissait de regrouper en pôles des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Non pour que les étudiants soient meilleurs ou que les enseignants soient mieux considérés, mais pour créer des entités plus « visibles », du point de vue des « classements internationaux », celui de Shanghai, pour ne pas le nommer.

C’était déjà bien mal parti, mais, la LRU aidant, les PRES se dirigent désormais vers des objectifs qui n’ont plus rien à voir avec l’université de la République, c’est-à-dire, une université où théoriquement au moins, le souci prioritaire est la meilleure formation possible pour le plus grand nombre possible.


 

Les universitaires de droite ou les ventres mous qui, lors de la lutte contre la LRU, n’ont rien trouvé à redire aux projets scélérats de Sarkozy et de Pécresse, commencent à s’affoler devant la tournure des événements. Il est malheureusement trop tard. La compétition à mort entre les établissements, entre les équipes, entre les personnes qui sont désormais réduites au statut de marchandise, était inscrite dans la LRU. Elle en était l’essence profonde. Tout comme la fin des pratiques démocratiques qui caractérisaient, même imparfaitement, la vie dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Un certain nombre de PRES se sont donc constitués, aucun PRES ne ressemblant à aucun autre. J’en donnerai quelques exemples plus bas. Ce qui les rassemble, c’est l’éviction des universitaires des décisions les concernant, le recours massif aux investissements non-étatiques, l’entrée du monde du capital dans la “ gouvernance ” des établissements publics, aux dépens des universités elles-mêmes.

Dans chaque PRES, il y aura des IDEX, c’est-à-dire des “ initiatives d’excellence ”. L’objectif officiel des “ initiatives d’excellence ” est d’évaluer, sélectionner et financer. Il ne faut pas voir dans le mot “ excellence ” la moindre dénotation ou connotation technique. Comme toujours avec la droite du CAC 40, nous sommes en pleine idéologie. Certains universitaires, certains étudiants seront plus “ meilleurs ” que les autres, non pour des raisons de QI ou de travail mais parce qu’ils bénéficieront des investissements les plus rentables. L’activité scientifique sera jugée en termes de rémunération et de pouvoir. Seront “ excellents ” ceux qui accepteront, intègreront et se feront les hérauts de cette vision inégalitaire des activités universitaires. Les choix de carrière ne seront plus déterminés par des objectifs scientifiques mais par l’obtention éventuelle de primes et autres bonus.

Le débat démocratique est en train de disparaître au sein d’institutions qui sont de moins en moins collégiales. Les élections ont et seront de pus en plus remplacées par des mécanismes de cooptation sous la férule de véritables oligarchies qui chercheront des appuis non auprès des universitaires mais des personnalités extérieures issues pour la plupart du monde de l’entreprise et de la finance.

Le débat scientifique est et sera remplacé par la croyance aveugle en la bibliométrie (« l’application des mathématiques et des méthodes statistiques aux livres, articles et autres moyens de communication »). On s’aperçoit dès à présent que ces indicateurs chiffrés font la part belle aux situations établies, à l’air du temps, à ce qui marche déjà.

Le CA de l’IDEX de Grenoble comptera 30 personnes dont trois universitaires.

Le CA de l’IDEX de Toulouse comptera 18 membres, zéro universitaire. Après avoir longuement hésité, la ville de Toulouse (dont le maire, socialiste, est un universitaire) a fini par s’associer à ce projet.

Saclay aura, non pas un CA, mais un “ Board of Directors ” (sic).

Le PRES de Bretagne-Ouest disposera d’un “ Advisory Committee ” (re-sic). Son CA comptera 25 personnes, dont deux enseignants-chercheurs.

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