Cette note m’a été inspirée par un extrait d’un entretien accordé par le romancier Alain Julien Rudefoucauld à Télérama(n° 3245), dont les pages culturelles sont toujours aussi nourrissantes, mais qui est de plus en plus entaché d’anglicismes, ce qui est un autre débat.
Rudefoucauld quitte l’Algérie à 12 ans en 1962 :
« L’arrivée de sa famille à Toulouse, protégée de la foule et des insultes par une haie de militaires. L’accueil de la prof de maths, au lycée de Toulouse : « Vous venez d’Algérie ? Eh bien, retournez-y ! » Et la mise en quarantaine qu’il subit immédiatement de la part de ses camarades de classe. La violence, alors, qui s’empare de lui, les conseils de discipline, le bac raté. »
J’ai deux ans de plus que cet écrivain. Comme je suis né dans un coron du Pas-de-Calais, mon vécu, heureusement pour moi, sera complètement différent. En 1962, je suis en classe de 3ème dans un grand lycée lillois. Le recrutement est petit et moyen-bourgeois. En début d’année, la grande majorité des élèves de ma classe est pour l’indépendance de l’Algérie. Quelques semaines après la rentrée, nous accueillons un camarade pied noir. Fils de commissaire de police. Extrêmement sympathique. Il a été indéniablement traumatisé par un départ brusqué de son pays natal et a beaucoup de mal à s’habituer aux brouillards automnaux du nord de la France. Il surmonte son mal être par l’humour. On l’adopte sans peine. On sympathise avec lui. Au point qu’en fin d’année nous ne sommes plus que deux, dans la classe, à être en faveur de l’Algérie algérienne tandis que tous les autres ont adopté la cause de l’OAS. Mes parents sont à fond pour l’Algérie algérienne. Bien qu’étant viscéralement de gauche, ils y ont quelques mérites : pendant la guerre, mon père eut comme prof d’anglais Guy Mollet qui fut pour lui une sorte de père spirituel, pendant que ma mère, de son côté, faisait du théâtre avec le futur président du Conseil (link).
Trois ans plus tard, dans un lycée amiénois, j’ai deux très bon copains, tous deux internes comme moi. Le premier est pied noir, aussi sympathique que le fils du flic lillois. Tout le monde l’aime et comprend sa douleur. Il nous explique fréquemment pourquoi il se sent algérien et rien d’autre. Des années plus tard, il retournera vivre pour toujours dans son pays natal. L’autre camarade est un fils de harki. Quand il nous arrive, il parle français comme une vache espagnole. Forcément, on se moque de son accent « bicot ». Du coin de l’œil, il nous fait comprendre qu’il va travailler et nous surprendre. Lors de l’élection présidentielle de 1965, je lui demande s’il soutient Tixier-Vigancour, le mentor d’extrême droite de Le Pen. Nullement, me dit-il. Il sait que la page est irrémédiablement tournée. Pendant les événements de 68, il militera au sein du PSU. Il suivra les cours de la fac de droit, aura le ministre socialiste Jean-Pierre Cot comme prof et finira lui-même prof de fac.
E la nave va, comme disait fellini.