Barroso, Lagarde, Merkel et quelques autres acolytes (dont Mou Ier qui aimerait tant que des entreprises
françaises mettent la main sur les entreprises publiques de distribution d’eau !) sont en train de réaliser les rêves les plus fous de la finance internationale : dépecer l’économie
grecque pour la livrer, à bas coût, aux enchérisseurs privés les plus offrants.
En ce sens, la Grèce est un laboratoire car d’autres pays suivront. Dans ce pays, on peut aujourd’hui
s’acheter un port, une plage, un réseau ferroviaire, un stade de football pour une bouchée de pain. On peut surtout utiliser les services d’une classe ouvrière aux abois, au sein de laquelle les
smicards – privilégiés par rapport à beaucoup d’autres – perçoivent 580 euros brut par mois.
Je reproduis ici de larges extraits d’un article publié par Mediapart sous la signature d’Amélie
Poinssot.
Augmentation des tarifs et baisse de la qualité des services : pour les opposants à la
privatisation des compagnies de distribution d'eau de la métropole athénienne (EUDAP) et de Thessalonique, la deuxième ville du pays (EUATH), le constat est clair. « L'eau est un bien
public, ce n'est pas une marchandise », martèle Maria Kanellopoulou, membre du mouvement Save Greek Water. Cette musicienne fait partie des
fondateurs du mouvement, créé l'été dernier, pour s'opposer au chantier de privatisation des deux sociétés.
[…] Las, les acteurs du dossier passeront probablement outre. Ils ont le champ libre :
l'ensemble des privatisations a été confié en 2011 à une structure ad hoc, le Taiped – le Fonds de valorisation du patrimoine de l'État grec.
Cette structure mise en place sous la pression des créanciers du pays, la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI), est devenue de facto la
propriétaire d'un immense portefeuille qu'elle doit vendre petit à petit à des investisseurs. Objectif ? Éponger une partie de la dette de l'État en vendant des entreprises publiques
(cession complète ou prise de participation), des concessions pour l'exploitation de monopoles commerciaux ou de lots fonciers, et des propriétés immobilières.
Au total, plus d'une quarantaine de lots apparaissent aujourd'hui sur la liste des biens à vendre. Sauf que les
objectifs financiers du programme sont bien loin de combler la dette abyssale du pays (plus de 300 milliards d'euros aujourd'hui) : le Taiped table désormais sur 9,5 milliards d'euros de
ventes d'ici à 2015, contre les 19 milliards encore officiellement visés il y a quelques mois…, et alors que l'objectif initial était de 50 milliards, lorsque ce programme de privatisations a été
annoncé par les représentants de la Troïka en visite à Athènes, en février 2011.
Mais l'argent récolté est-il, au fond, vraiment le but ? Lorsque nous nous étions rendus au
Taiped en octobre dernier, il nous avait été expliqué que le but était « de transformer complètement l'économie grecque » :
« Peu importe, en fait, les sommes que l'on va tirer de ces ventes. Il ne s'agit pas tant de collecter de l'argent que de libéraliser l'économie. »
[…]
2013 devrait voir les privatisations s'accélérer. Tout d'abord, le new-yorkais NCH Capital a décroché en
janvier la concession pour l'exploitation de la côte de Kassiopi, sur l'île de Corfou. […]
On retrouve d'ailleurs ce même fonds parmi les candidats retenus pour la concession de la côte Afantou de
Rhodes, une superficie de 1,8 million de mètres carrés comprenant, entre autres, un golf 18 trous. Par ailleurs, l'ensemble foncier d'Elleniko, dans la banlieue sud-ouest de la capitale, est
entré dans sa dernière phase, le Taiped devant trancher prochainement entre un groupe indien, un grec, un britannique et un qatari. Il s'agit d'une vaste zone, regroupant notamment l'ancien
aéroport et d'anciennes installations olympiques, destinée à une exploitation immobilière et touristique de grand standing.
Investisseurs chinois, russes ou qataris
Ensuite, la vente de l'ensemble gazier DEPA/DESFA est elle aussi sur le point d'aboutir. Sans surprise, de gros
intérêts russes se sont manifestés : Gazprom ainsi que Negusneft, filiale de Sintez, ont passé avec succès la première étape de l'appel d'offres. Autres candidats retenus : la compagnie
nationale de pétrole d'Azerbaïdjan, ainsi que deux consortiums grecs. […]
Mais les locaux n'ont pas dit leur dernier mot : le maire de Corfou conteste la vente de la côte de
Kassiopi et a déposé un recours au Conseil d'État. La transaction s'est faite selon une nouvelle procédure, destinée à favoriser la vente de vastes terrains publics en regroupant des parcelles
sous la forme d'un tout. Or d'après le maire, plusieurs parcelles contenues dans le lot sont des zones forestières et/ou côtières, ce qui les rendrait, à ce titre, incessibles au regard de la
loi. […]
Il n'empêche, le processus continue et au-delà même du chantier des privatisations, on essaie d'attirer les
investissements tous azimuts, et les réunions se multiplient au plus haut niveau de l'État. Le premier ministre de droite, Antonis Samaras, a rencontré de nombreux chefs d'entreprise ces derniers
mois, en Grèce comme à l'étranger. En février, il a reçu un François Hollande fervent promoteur des intérêts français en Grèce ; un mois plus tôt il s'était rendu au Qatar, d'où avait été
annoncée la mise sur pied d'un fonds qatari d'investissements à destination des PME grecques...
[…]
Ces deux derniers mois, plusieurs appels d'offres ont par ailleurs été lancés coup sur
coup : la société de paris hippiques ODIE – pour laquelle la société française PMU a manifesté son intérêt d'après le quotidien Ta Nea (pro-gouvernement) ; l'exploitation d'une grande plage touristique et d'une zone hôtelière en Chalcidique, une des péninsules encore relativement préservées de la côte
nord-est du pays ; le vaste complexe luxueux en bord de mer Astir Palace Vouliagmenis et sa marina, dans l'une des zones les plus chères de la métropole athénienne ; et une série de 28
propriétés immobilières de l'État grec ainsi que six bâtiments à l'étranger, dont la représentation de la Grèce à Bruxelles.
Auprès du Taiped, une société de communication internationale officie depuis peu et ce
– cela ne manque pas de sel ! –, depuis Bruxelles : Hill+Knowlton Strategies, qui se vente de travailler avec les plus grandes marques mondiales et la moitié des entreprises
classées au Top 500 international du magazine Fortune… […].
La Grèce est-elle en train de devenir un eldorado pour les entrepreneurs ? Le premier ministre s'est
déclaré récemment favorable à un allègement fiscal des entreprises et à la mise en place d'un impôt à taux unique de 15 %. Rappelons que sous l'effet des mesures prises depuis trois ans, le
coût du travail s'est affaissé en Grèce : le coût annuel moyen d'un employé (salaire brut + cotisations patronales) était de 23 356 euros en 2012 (pour 47 951 euros en France)…
contre 27 336 euros deux ans plus tôt, d'après les données d'Eurostat. Avec un Smic désormais plafonné à 580 euros brut (512 pour les moins de 25 ans), des conventions collectives gelées,
l'échec des syndicats à contrer la remise en cause des acquis sociaux et un taux de chômage à 26 %, la Grèce apparaît comme une aubaine pour les investisseurs. Sans compter sa place de pays
carrefour, porte d'entrée vers les marchés des Balkans, et plus généralement, européens.
Le cigarettier Philip Morris a ainsi annoncé en février qu'il achèterait pendant trois ans la moitié de la
production de tabac du pays, le groupe néerlando-britannique Unilever (biens alimentaires et produits d'entretien), qu'il allait transférer une partie de sa production en Grèce et, clou de ces
derniers semaines : l'accord entre un poids lourd de l'informatique américain (Hewlett Packard), un géant maritime chinois (Cosco) et les autorités grecques, signé le 1er mars
dans les locaux de Cosco au port du Pirée. Les représentants des trois pays ont en effet inauguré une portion de voie ferrée reliant le port au réseau de chemin de fer national. Ça n'a l'air de
rien sur le papier. Mais cette plateforme de distribution permet une connexion directe entre le port de marchandises (dont la moitié a été cédée, en 2008, au chinois Cosco), le pourtour
méditerranéen et les marchés européens. Selon une loi votée quelques jours plus tôt, les entreprises étrangères, qui feront ainsi transiter leurs produits vers les marchés extérieurs comme
Hewlett-Packard, ne seront pas soumises à la TVA si la valeur de leurs marchandises dépasse 300 millions d'euros par an.
Source : link