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1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 06:06

 

 

Loïc Rochard. Sous la moustache, le rire. L’humour de Georges Brassens. Paris : Cherche Midi, 2020.

 

J’aime la manière dont Georges Brassens explique pourquoi il est devenu un créateur, qui n’est pas sans rappeler l’Orwell en pleine possession de ses moyens reconnaissant qu’il avait bâti une œuvre parce qu’enfant il aimait se raconter des histoires : « Mes chansons font partie d’une espèce de monde factice que j’ai dans le crâne depuis l’adolescence. Comme rien ne me plaisait, je me suis fait un guignol à moi. […] Si on trouve dans mes chansons l’ironie, la cocasserie, la dérision de soi-même, c’est pour atténuer un peu la rigueur d’une philosophie que d’aucuns trouvent certainement un peu sommaire, mais qui n’en est pas moins impitoyable pour notre temps. » Dire le monde avec ironie et bienveillance, colère et générosité.

 

Trouver un équilibre entre la conscience qu’on a, à juste titre, de sa personne et de son œuvre et, dans le même temps, être capable de déboulonner sa propre statue par l’humour et l’autodérision, en particulier dans ses propres textes, voire – ce qui n’est pas l’objet de cette étude – dans ses musiques. Ainsi, pour écrire celle du “ Bricoleur ” (où la femme pense caresser au lit le doux membre de son mari alors qu’elle tombe sur son vilebrequin), il fallait être capable de dire au public : « Écoutez-moi bien, car cette musique, je n’en écrirai plus jamais une identique. »

 

Alfonse Bonaffé, son professeur de français au collège, fut le premier à analyser la grandeur et la singularité de Brassens (dans la collection “ Poètes d’aujourd’hui, Seghers) : « Tous les défis et les sarcasmes et les gauloiseries de Brassens recouvrent un fond d’angoisse et de désarroi. Il s’évertue à mettre les salles en joie afin de mieux masquer qu’il est une âme en peine. […] Il a choisit de réagir à son angoisse par le rire ». L’important est que le monde du music hall, puis le grand public, l’acceptèrent tel qu’il était.

 

Comment être profond et vrai sans verser, selon ses mots, dans le « trivialisme systématique », comment recréer le merveilleux de l’enfance avec ses images « qui cachent des valeurs de contrebande » en idolâtrant la moquerie ?

 

D’abord en se moquant de soi-même, comme il l’a fait de manière sublime dans “ Marinette ” :

 

Quand j’ai couru chanter ma p’tite chanson pour Marinette,

La belle, la traîtresse était allée à l’Opéra.

 

La première fois que j’entendis cette chanson “ dans le poste ”, j’avais 8 ans. Jamais je n’aurais pu concevoir que le chanteur préféré de ma mère, institutrice de l’école laïque, ait pu écrire : 

 

Avec mon pot d’moutarde j’avais l’air d’un con, ma mère,

Avec mon pot d’moutarde j’avais l’air d’un con !

 

C’était l’époque de “ Cerisiers roses et pommiers blancs ”…

 

Qui, avant Brassens, avait su, avait osé opposer deux mondes culturels aussi étrangers l’un à l’autre que celui des « p’tites chansons » et celui de l’Opéra aux mains des belles et des traîtresses ? Dans son célèbre traité, Bergson avait expliqué qu’à la source du rire il y avait toujours un décalage. Brassens serait ce décalage à lui tout seul. Comme quand il se narre en amant pitoyable en renversant le cliché à deux sous du théâtre de boulevard :

 

J’ai beau demander grâce, invoquer la migraine,

Sur l’autel conjugal, implacable elle me traîne.

 

Ou quand il propose ces trouvailles stylistiques qui ont déjà franchi plusieurs générations : 

 

Chez l’épicer pas d’argent pas d’épices

Chez la belle Suzon, pas d’argent pas de cuisse

 

Á tous ces empêcheurs d’enterrer en rond

 

Le marchand nous reçut à bras fermés.

 

Brassens misogyne ? Ça lui est arrivé. Mais comme Brel, c’est bien souvent en amoureux qui « s’est fait tout p’tit » qu’il s’est offert sans armes à nos yeux :

 

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère,

Je suis derrière…

 

Pour Brassens, la femme n’est pas l’avenir de l’homme mais sa consolatrice éternelle et amusée jusque dans les situations les plus extrêmes :

 

Gloire à la bonne sœur qui par temps pas très chaud,

Dégela dans sa main le pénis du manchot !

 

Une de ses chansons les plus drôles restera “ Les funérailles d’antan ”. Brassens sut tenir à distance la mort grâce à d’innombrables trouvailles de forme et de fond : les morts bouffis d’orgueil, mourir plus haut que son cul, y’a un mort à la maison si le cœur vous en dit, on s’aperçut que le mort avait fait des petits.

 

Dors en paix, Georges, mais en clignant d’un œil. Tu donneras raison à Pagnol pour qui le rire est dans le Rieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Note de lecture n° 192
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29 octobre 2020 4 29 /10 /octobre /2020 05:56

 

 

Repentance

 

Le verbe « repentir » date de 1080. Il signifie ressentir le regret d’une faute ou subir les conséquences d’un acte (Le Robert).

 

Au XIIe siècle sont apparus deux substantifs très proches l’un de l’autre : la « repentance » (1112) et le «repentir » (1170). Le premier signifiant le regret de ses fautes, de ses péchés : « Le vice laisse comme un ulcère en la chair une repentance en l’âme qui toujours s’égratigne et s’ensanglante elle-même » (Montaigne). Le second impliquant un sentiment de douleur morale accompagné d’un désir d’expiation ou signifiant le regret d’une action : « Voici dix années bientôt qu’elle avait fait ce beau coup, et pas une heure ne s’était écoulé sans qu’elle en eût le repentir » (Zola). En art, le repentir est une correction apportée à un tableau en cours d’exécution. La racine de « repentir » est le latin poenitere qui signifie causer de la peine.

 

Aujourd’hui, on peut dire que repentance a effacé repentir. Il s’agit le plus souvent d’excuses officielles d’un gouvernement, d’un État. Á propos de l’esclavage (les anciennes puissances coloniales) ou de la pédophilie (le Vatican). Lorsque le pape se repent, l’ironie est d’autant plus dramatique que le repentir est clairement d’inspiration catholique. Dans la Genèse, on trouve que « l’Éternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » tandis que Jérémie avoue : « Je me repens du mal que j’avais pensé lui faire ».

 

Le mot avait disparu jusqu’à retrouver une nouvelle jeunesse au XXIe siècle. Il a profité de la mode actuelle des mots en “ ance ” comme « gouvernance », très vieux vocable tombé dans l’oubli avant d’être réactivé dans l’univers anglo-saxon en lieu et place de « gouvernement ». Les djeuns ont embrayé récemment en créant la « gênance ». La « gênance de la bravitude », je ne vous dis que ça !

 

Avec  la repentance, il y a quand même, malgré tout, de la mise à distance. On peut d’autant plus être dans la repentance à propos de l’esclavage que celui-ci a été aboli il y a deux siècles par les puissances esclavagistes elles-même. Quant au pape, il n’est pas personnellement coupable de pédophilie. Il se repent pour les autres.

 

 

Les mots chéris des médias et des politiques (27)
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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 06:04
Beaucoup sont passées dans la langue française.
 
Il y en a bien d’autres, mais celles-là, je les aime et les utilise, en mon for intérieur bien sûr.
 
Á tout seigneur, tout honneur :
 
Fuck
On le met à toutes les sauces. A l’origine, il s’agit de « faire l’amour », mais dans un registre ordurier, obscène. Il date du XVe siècle. Son origine est allemande (« ficken »). Une légende veut que fuck vienne de « Fornication under the consent of the king » (Fornication avec le consentement du roi », mais ce n’est qu’une légende. Les Canadiens ont franchisé le mot : « j’ai fucké cette histoire ». Comme le mot français «putain », son sémantisme s’est adoucit à mesure qu’il était utilisé par de plus en plus de gens, de plus en plus jeunes et de plus en plus âgés. Lorsque je me trouvais dans ma famille anglaise de la petite bourgeoisie au début des années soixante, jamais je n’aurais utilisé ce mot. On l’intercale désormais un peu partout : «Go the fuck to the baker’s » : (tu vas chez le boulanger, bordel). Aujourd’hui, c’est du petit lait, surtout dans le cinéma : il apparaît 569 fois dans Le Loup de Wall Street de Scorsese (3,3 fois par minute). « Fuck you » reste quand même une des insultes les plus violentes de la langue anglaise (va te faire foutre).
 
For fuck’s sake
Littéralement « par souci de la baise ». Par extension « putain de merde ».
 
Shut the fuck up
« Ferme ta putain de gueule ».
 
What the fuck
Renforce « what » : « C’est quoi, ce bordel ? ». Souvent réduit à « WTF ».
 
Ass (États-Unis) ou Arse (Grande-Bretagne)
« Ass » est d’abord « un âne », puis « le cul ». Et, par extension, « abruti », « crétin ». L’anglais des États-Unis nous a envahi de « assholes » (trous du cul »). Une expression plutôt ordurière qui, elle aussi, a tendance à s’atténuer.
 
Badass
Littéralement « mauvais cul ». Ce vocable qui est passé dans le français assez récemment, signifie « dur à cuire » ou « emmerdeur ».
 
Ass (arse)-licker
Sans problème un « lèche-cul ».
 
Fat ass
Toujours sans problème « gros cul ».
 
Bastard
Á l’origine « bâtard ». Au fil des jours, « salaud ». « Bloody bastard » : « sale con ». « Lucky bastard » : «gros veinard ». Plus fort que « bastard », le Britannique utilisera « scumbag » (« sac à merde »), donc «fumier ».
Á placer dans une conversation pour faire croire qu’on est savant : expliquer qu’un bâtard est un pain de 450 grammes entre la baguette et le pain d’un kilo. Et pour passer pour un immense philologue, dire que les Picards appellent ce pain un joko (« Ech joko ch'est un pain ed deus lives. »).
 
Bollocks
S’est également beaucoup atténué depuis que son sens est passé de « couilles » à « conneries », «mensonges».
 
« Shit »
« La merde » (allemand Scheiß). Est désormais utilisé en français dans la sens de « résine de cannabis». Les Anglais disent toujours « he had the shit this morning » (« il a eu la chiasse ce matin »). Á connaitre également : « I don’t care a shit » : « je n’en ai rien à foutre ». Mais le sens peut s’inverser : « This chocolate is the shit » : « ce chocolat est à tomber par terre ».
 
Bullshit
Vient des États-Unis. Littéralement « merde de taureau ». Affaiblissement du sens puisque le mot est presque exclusivement utilisé dans le sens de « connerie ». « To bullshit » signifie «raconter des conneries », « déconner ». « Cow dung » (bouse de vache) n'a pas connu la gloire.
 
Crap
Tout proche de « shit ». Pour l'anglais, « crap » signifie : « conneries », « daube », « saloperie ». Comme adjectif, il signifiera « merdique » et comme verbe « chier ».
 
Cunt
Le mot « cunt » est peut-être le mot le plus vulgaire de la langue anglaise, en tout cas 100 fois plus vulgaire que le français « con ». A tendance à s’atténuer. On l’entend couramment dans les séries grand public : «You’re a cunt », « tu es un vrai connard ». Á l’origine, il s’agit, comme en français, du sexe de la femme («la chatte ») puis, dans un mouvement naturel de la partie pour le tout, « une pétasse ».
 
Pussy
Beaucoup plus gentil que « cunt » (« What’s New, Pussy Cat ? », délicieux film de Clive Donner et merveilleuse chanson de Burt Bacharach créée par Tom Jones). Donc « le minou ». Pour un homme, « a pussy », c’est un type qui n’en a pas.
 
Twat
Entre « cunt » et « pussy », l’anglais dispose de « twat », « chatte » et, par extension, « idiot », «connard».
 
Dick
Diminutif de Richard (Dick Rivers, ah, ah !). Tout simplement « la bite ». Par extension « connard ». « A dickhead» est une tête de nœud ».
 
Cock
Á l’origine « un coq ». Par extension « la queue », puis « connard ». « Cocksucker » sera donc le « suceur de bites » ou « l’enculé ». « Knob », qui signifie la même chose, a tendance à s’effacer.
 
Goddam
Vient de « God » (Dieu) et « damn » (« satané »). On le traduira par « nom de Dieu », « bordel de Dieu ».
 
Hell
D’abord « l’enfer ». Souvent accouplé à « bloody », un enfer sanglant qu’on pourra traduire par « bordel de merde». Et puis on l’utilise à toutes les sauces : « a Hell of a lot of people » (« des tas de gens »), « to shoot like hell» (« crier comme un malade »), « Get the hell out of here ! » (« dégage ! »), « who the hell do you think you are ? » (« tu te prends pour qui ? »), « go to hell » (« va te faire foutre »), « to give somebody hell » (« passer un savon à quelqu’un »).
 
L’image contient peut-être : 1 personne, enfant, gros plan et plein air
 
 
 
 
 
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Slut
Très fréquent dans les séries télévisées : « chienne », « salope ».
 
Bitch
Un peu plus doux que « slut ». Á l’origine, la femelle du chien. « Son of a bitch », « fils de pute », est assez violent.
 
Whore
Quasi littéraire. Très ancien vocable qui vient du vieil-allemand. « Putain », « prostituée ».
 
Tramp
D’abord « un clochard ». Par extension « une femme qui traîne partout », « une traînée », une « Marie-couche-toi-là ».
 
Hooker
Une « whore » aux États-Unis.
 
Fag
Signifie à la fois « une clope » et « un pédé ». On dit aussi « faggot », à ne pas confondre avec « fagot », le fagot. Savoureuse allitération avec « fag hag », « une fille à pédés ».
 
Motherfucker
Très populaire. Littéralement « baiseur de mères ». Par extension « fils de pute ».
 
Turd
Littéralement « étron ». Par extension « grosse merde ».
 
Wanker
Mot qui date des années 1940 : « masturbateur ». Un « branleur », « une branleuse », « un glandeur ». On dit aussi « tosser ».
 
Pain in the ass (arse)
Popularisé par les séries étasuniennes. Littéralement « une douleur dans le cul ». Donc « un emmerdeur », «un type gonflant », « un casse-bonbons ».
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27 octobre 2020 2 27 /10 /octobre /2020 06:08

 

 

Les people.

 

Je crois que c’est Philippe Bouvard qui est involontairement responsable d cet emprunt ridicule. Il y a bien longtemps, il tenait une rubrique dans Paris Match qu’il avait intitulé “ Les Gens ”. Il ne s’agissait bien sûr pas du garçon boucher ou de la couturière du coin mais du “ Tout-Paris ”, de tous ces parasites dont il faisait la chronique. De manière un peu vacharde, en trouvant toujours le bon équilibre entre la perfidie pardonnée et la démagogie subtile.

 

Je ne sais plus qui transforma, il y a quelques trois décennies, ces “ gens ” en “ people ”. Pas Bouvard qui ne parla jamais un mot d’anglais.

 

Á noter – néocolonialisme quand tu nous tiens – qu’il existe à Dakar une chaîne francophone intitulée Dakar People TV, qui n’a pour l’instant pas cassé trois pattes à un canard.

 

En anglais, “ people ” n’est pas a priori laudatif. “ People ”, c’est “ les gens ”. C’est un mot pluriel au singulier : « There are lots of people around ». Sauf lorsqu’on singularise des peuples : « there are dozens of peoples in Indonesia » (il y a des douzaines de peuples en Indonésie), « The peoples of the East » (les Orientaux).

 

Lorsque Lady Diana (« the Princess of the people ») est morte, il y eut de par le monde une émotion gigantesque. Ça dura ce que ça dura malgré les efforts de la presse people mais un an plus tard il n’en restait quasiment rien. La raison, me semble-t-il, est que cette personne n’était qu’une image, à la rigueur une icône. Qu’en tant que princesse, elle n’avait rien créé. En tant que personne, elle valait toutes les personnes, ni plus ni moins. Mais en tant que « people » elle n’était que du vent. Comme tous les « people ». Le «people » est le produit de notre imaginaire, une construction qui a peu à voir avec la réalité.

 

Dans la presse « people », la tactique pour nous les offrir sur un plateau est que, plus ils sont connus, plus ils souffrent, donc plus ils nous ressemblent et plus nous pouvons nous assimiler à eux.

 

Le mot « people » est un substantif et aussi un qualificatif : « il y avait une ambiance très « people ». » Le «people » est devenu un fait de société avec la « peoplelisation ».

 

Les mots chéris des médias et des politiques (26)
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21 octobre 2020 3 21 /10 /octobre /2020 05:08

 

 

Les lecteurs de ce blog savent que je ne suis pas du genre conservateur. Sauf lorsqu’il s’agit de conserver ce qui est bon. Non à l’obsolescence programmée, non à la transformation du château de Versailles en style art-déco !

 

George Orwell est donc entré dans La Pléiade. Sous l’autorité de Philippe Jaworski, un grand traducteur, apprécié et respecté dans l’anglistique française. Mais en cette occasion, peut-être parce qu’il a voulu trop bien faire, celui-ci s’est parfois fourvoyé.

 

1984 a été traduit une première fois en français en 1950 par une institutrice et traductrice martiniquaise, Amélie Audiberti, l’épouse du dramaturge Jacques Audiberti. Elle forgea plusieurs néologismes qui, de par son intuition, sont passés dans la langue française. Le plus connu étant “ novlangue ” (newspeak) qu’elle utilisera logiquement au féminin contre d’autres utilisateurs qui masculiniseront le mot langue. Le terme de novlangue est largement sorti du petit monde des spécialistes d’Orwell. Chacun a une idée de ce qu’il recouvre, donne un sens à ce terme, même sans avoir lu 1984. Dans l’actualité récente, l’utilisation de ce vocable a reçu de vrais coups de fouet. Grâce, en particulier, à Donald Trump, ou au président de la République française, à sa manière un peu perverse. Ainsi les conseillers de Trump, qui voient des foules devant leur héros alors qu’il y a trois pelés et un tondus, ont admis l’existence de “ faits alternatifs ” lorsqu’ils décrivent un monde parallèle. Quant au banquier éborgneur,  son mensonge est consubstantiel à, nourri par, sa structuration du “ en même temps ”. Je doute que le “ néoparle ” de Jaworski, ou encore le “néoparler ” de la traduction de Josée Kamoun de 1918 (que je n’ai pas lue mais qui est très critiquée) s’imposent face à la trouvaille originale.

 

 

Le coup de génie d’Audiberti sera de garder “ Big Brother ” sans, surtout, le traduire en “ Grand Frère ”, ce que feront – ce qui était leur droit le plus strict – les traducteurs allemands ou espagnols. Jaworski a adopté une position rigide : « Je suis traducteur, donc je traduit ». Fort bien, mais on ne traduit pas toujours. Ou alors on traduit “ UNESCO ” ou “ Pravda ”. Il ne sert à rien de tenter de forger “ Grand Frère” alors que des dizaines de millions de francophones comprennent et utilisent “ Big Brother ”. Et j’ajouterai que le monde de 1984 étant un monde décalé où les horloges sonnent 13 heures, il est bien plus terrifiant – pour ne pas dire terrorisant – pour un francophone d’utiliser “ Big Brother ” que “ Grand Frère” qui fait sympa et protecteur.

 

 

Deux linguistes toulousaines, Anne Le Draoulec et Marie-Paule Perry-Woodley, ont repéré, dans le droit fil du point Godwin, un point Orwell, qu’elles ont défini ainsi : « Plus une discussion sur la langue dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant la novlangue ou George Orwell s’approche de 1 ».

 

Quant à Amélie Audibert, elle mourra à 89 ans, dans la plus grande discrétion, après avoir traduit Asimov, Elizabeth Bowen, John Wyndham et de nombreux autres. Elle n’aura reçu aucune reconnaissance de son très bon travail autour de Nineteen Eighty-Four.

 

Retraduire 1984
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16 octobre 2020 5 16 /10 /octobre /2020 05:08

 

 

 

Il y en a bien d’autres, mais celles-là, je les aime et les utilise, dans mon for intérieur bien sûr.

 

Á tout seigneur, tout honneur :

 

Fuck

 

On le met à toutes les sauces. A l’origine, il s’agit de « faire l’amour », mais dans un registre ordurier, obscène. Il date du XVe siècle. Son origine est allemande (« ficken »). Une légende veut que fuck vienne de « Fornication under the consent of the king » (Fornication avec le consentement du roi », mais ce n’est qu’une légende.  Les Canadiens ont franchisé le mot : « j’ai fucké cette histoire ». Comme le mot français «putain », son sémantisme s’est adoucit à mesure qu’il était utilisé par de plus en plus de gens, de plus en plus jeunes et de plus en plus âgés. Lorsque je me trouvais dans ma famille anglaise de la petite bourgeoisie au début des années soixante, jamais je n’aurais utilisé ce mot. On l’intercale désormais un peu partout : «Go the fuck to the baker’s » : (tu vas chez le boulanger, bordel). Aujourd’hui, c’est du petit lait, surtout dans le cinéma : il apparaît 569 fois dans Le Loup de Wall Street de Scorsese (3,3 fois par minute). « Fuck you » reste quand même une des insultes les plus violentes de la langue anglaise (va te faire foutre).

 

 

For fuck’s sake

Littéralement « par souci de la baise ». Par extension « putain de merde ».

 

 

Shut the fuck up

« Ferme ta putain de gueule ».

 

 

What the fuck

Renforce « what » : « C’est quoi, ce bordel ? ». Souvent réduit à « WTF ».

 

 

 

Ass (États-Unis) ou Arse (Grande-Bretagne)

« Ass » est d’abord « un âne », puis « le cul ». Et, par extension, « abruti », « crétin ». L’anglais des États-Unis nous a envahi de « assholes » (trous du cul »). Une expression plutôt ordurière qui, elle aussi, a tendance à s’atténuer.

 

 

 

Badass

Littéralement « mauvais cul ». Ce vocable qui est passé dans le français assez récemment, signifie « dur à cuire » ou « emmerdeur ».

 

 

Ass (arse)-licker

Sans problème un « lèche-cul ».

 

 

Fat ass

Toujours sans problème « gros cul ».

 

 

 

Bastard

Á l’origine « bâtard ». Au fil des jours, « salaud ». « Bloody bastard » : « sale con ». « Lucky bastard » : «gros veinard ». Plus fort que « bastard », le Britannique utilisera « scumbag » (« sac à merde »), donc «fumier ».

 

Á placer dans une conversation pour faire croire qu’on est savant : expliquer qu’un bâtard est un pain de 450 grammes entre la baguette et le pain d’un kilo. Et pour passer pour un immense philologue, dire que les Picards appellent ce pain un joko (« Ech joko ch'est un pain ed deus lives. »).

 

 

 

Bollocks

S’est également beaucoup atténué depuis que son sens est passé de « couilles » à « conneries », «mensonges».

 

 

 

« Shit »

« La merde » (allemand Scheiß). Est désormais utilisé en français dans la sens de « résine de cannabis». Les Anglais disent toujours « he had the shit this morning » (« il a eu la chiasse ce matin »). Á connaitre également : « I don’t care a shit » : « je n’en ai rien à foutre ». Mais le sens peut s’inverser : « This chocolate is the shit » : « ce chocolat est à tomber par terre ».

 

 

Bullshit

Vient des États-Unis. Littéralement « merde de taureau ». Affaiblissement du sens puisque le mot est presque exclusivement utilisé dans le sens de « connerie ». « To bullshit » signifie «raconter des conneries », « déconner ». « Cow dung » (bouse de vache) n'a pas connu la gloire.

 

 

 

 

 

Crap

Tout proche de « shit ». Pour l'anglais, « crap » signifie : « conneries », « daube », « saloperie ». Comme adjectif, il signifiera « merdique » et comme verbe « chier ».

 

 

 

Cunt

Le mot « cunt » est peut-être le mot le plus vulgaire de la langue anglaise, en tout cas 100 fois plus vulgaire que le français « con ». A tendance à s’atténuer. On l’entend couramment dans les séries grand public : «You’re a cunt », « tu es un vrai connard ». Á l’origine, il s’agit, comme en français, du sexe de la femme («la chatte ») puis, dans un mouvement naturel de partie pour le tout, « une pétasse ».

 

 

Pussy

Beaucoup plus gentil que « cunt » (« What’s New, Pussy Cat ? », délicieux film de Clive Donner et merveilleuse chanson de Burt Bacharach créée par Tom Jones). Donc « le minou ». Pour un homme, « a pussy », c’est un type qui n’en a pas.

 

 

Twat

Entre « cunt » et « pussy », l’anglais dispose de « twat », « chatte » et, par extension, « idiot », « connard ».

 

 

 

Dick

Diminutif de Richard (Dick Rivers, ah, ah !). Tout simplement « la bite ». Par extension « connard ». « A dickhead» est une tête de nœud ».

 

 

Cock

Á l’origine « un coq ». Par extension « la queue », puis « connard ». « Cocksucker » sera donc le « suceur de bites » ou « l’enculé ». « Knob », qui signifie la même chose, a tendance à s’effacer.

 

 

Goddam

Vient de « God » (Dieu) et « damn » (« satané »). On le traduira par « nom de Dieu », « bordel de Dieu ».

 

 

Hell

D’abord « l’enfer ». Souvent accouplé à « bloody », un enfer sanglant qu’on pourra traduire par « bordel de merde». Et puis on l’utilise à toutes les sauces : « a Hell of a lot of people » (« des tas de gens »), « to shoot like hell» (« crier comme un malade »), « Get the hell out of here ! » (« dégage ! »), « who the hell do you think you are ? » (« tu te prends pour qui ? »), « go to hell » (« va te faire foutre »), « to give somebody hell » (« passer un savon à quelqu’un »).

 

 

 

Slut

Très fréquent dans les séries télévisées : « chienne », « salope ».

 

 

Bitch

Un peu plus doux que « slut ». Á l’origine, la femelle du chien. « Son of a bitch », « fils de pute », est assez violent.

 

 

 

Whore

Quasi littéraire. Très ancien vocable qui vient du vieil-allemand. « Putain », « prostituée ».

 

 

Tramp

D’abord « un clochard ». Par extension « une femme qui traîne partout », « une traînée », une « Marie-couche-toi-là ».

 

 

 

Hooker

Une « whore » aux États-Unis.

 

 

Fag

Signifie à la fois « une clope » et « un pédé ». On dit aussi « faggot », à ne pas confondre avec « fagot », le fagot. Savoureuse allitération avec « fag hag », « une fille à pédés ».

 

 

Motherfucker

Très populaire. Littéralement « baiseur de mères ». Par extension « fils de pute ».

 

 

Turd

Littéralement « étron ». Par extension « grosse merde ».

 

 

Wanker

Mot qui date des années 1940 : « masturbateur ». Un « branleur », « une branleuse », « un glandeur ». On dit aussi « tosser ».

 

 

Pain in the ass (arse)

Popularisé par les séries étasuniennes. Littéralement « une douleur dans le cul ». Donc « un emmerdeur », «un type gonflant », « un casse-bonbons ».

 

Quelques insultes en anglo-étasunien
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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 05:10

 

 

Je reprends ici un article de RT qui répond à la question.

 

Le Premier ministre a profité de l'obtention du Nobel de chimie par la généticienne Emmanuelle Charpentier pour faire l'éloge de l'attractivité internationale de la recherche française. Cette dernière a pourtant financé ses travaux en Allemagne.

 

 

« Sincères et chaleureuses félicitations à Emmanuelle Charpentier. Pour ce prix Nobel, pour les travaux révolutionnaires qu’elle a conduits avec Jennifer Doudna mais aussi pour la recherche française dont on consacre, à nouveau, l’excellence et l’attractivité internationale» : c'est en ces termes que Jean Castex a, le 7 octobre, tenu à féliciter la généticienne française Emmanuelle Charpentier et son acolyte américaine, pour leurs travaux ayant permis de mettre au point une technique permettant d'éliminer et d'ajouter des fractions de matériel génétique, avec une extrême précision.

 

Un message dans lequel le chef du gouvernement n'hésite donc pas à lier un tel accomplissement aux efforts consacrés à la recherche scientifique française.

 

 

Toutefois, la formule de Jean Castex s'est rapidement heurtée au discours tenu dans la foulée par la lauréate en personne, plus nuancée que le chef du gouvernement quant au soutien dont bénéficient les chercheurs en France. 

«Je pense que la France aurait du mal à me donner les moyens que j'ai en Allemagne [...] Les circonstances m'ont amené à Berlin», a notamment déclaré Emmanuelle Charpentier. «La recherche scientifique a besoin d'être soutenue par le gouvernement, par tous les fonds publics et privés. Ca ne l'est pas assez dans le monde [et particulièrement] en France. [...] C'est pas en donnant de l'argent qui permet de payer un étudiant en thèse pour trois ans qu'on peut vraiment faire de la recherche solide», a encore insisté celle qui se définit comme «une scientifique mobile» ou encore «un électron libre». 

Ainsi que le rappelle l'AFP, la Française, installée en Allemagne, a trouvé en 2012 avec l'Américaine Jennifer Doudna, une technique d'édition du génome baptisée CRISPR-Cas9, comparée à des ciseaux moléculaires, apte à éliminer et à ajouter des fractions de matériel génétique avec une extrême précision. 

«Le mécanisme est facile d'emploi, peu coûteux, et permet aux scientifiques d'aller couper l'ADN exactement là où ils le veulent, pour par exemple créer ou corriger une mutation génétique et soigner des maladies rares», peut-on lire dans la revue Sciences et avenir. «Le but ultime [de cette technique] révolutionnaire est de corriger des maladies génétiques humaines», expliquait en 2016 Emmanuelle Charpentier, qui est désormais la troisième chercheuse française à obtenir le prix Nobel de chimie. 

Les ciseaux moléculaires posent cependant d'importantes questions éthiques sur de potentielles dérives eugénistes, comme l'avait souligné Emmanuelle Charpentier elle-même.

 

Un prix Nobel de chimie français qui n'exerce pas en France. Pourquoi ?
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1 octobre 2020 4 01 /10 /octobre /2020 05:09

Un peu technique mais à lire absolument au moment où le banquier éborgneur est en train de détruire le service public, dans l'enseignement supérieur comme partout ailleurs.

 

 

Chères et chers collègues,

 

Au sortir du confinement, nous vous avons proposé de répondre à une consultation en ligne sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche et ses perspectives d’avenir. En moyenne, un peu plus de 2500 personnes ont répondu à chaque question. Voici comme promis la synthèse des résultats. Le mail ci-dessous en donne un bilan général et vous trouverez ci-dessous une fiche de synthèse contenant les éléments chiffrés les plus significatifs.

 

L’enjeu d’une telle consultation est de savoir où “nous” en sommes, c’est-à-dire “où en est le Nous” de la communauté scientifique. Tout, dans la dynamique amorcée il y a une quinzaine d’années, concourt à briser la collégialité et à faire diverger les intérêts. La rhétorique de la “co-construction”, le système d’allocation des moyens, les dispositifs de précarisation subjective et objective, entretiennent notre atomisation. Le sondage en porte la trace : la défiance vis-à-vis des représentants élus, y compris des instances collégiales, est spectaculaire ; les intercesseurs traditionnels comme les sociétés savantes ne sont plus considérés par les répondants comme des acteurs ayant pris la mesure des problèmes majeurs auxquels nos métiers font face ; la majorité des répondants, eux-mêmes titulaires à 75%, reconnaissent aux titulaires une part de responsabilité dans le développement de la précarisation. Ces résultats sont le signe d’une prise de conscience individuelle qu’il s’agit maintenant d’articuler collectivement : nous constatons en nous-mêmes combien la mécanique de dépossession nous englue dans des positions professionnelles et éthiques divergentes et contradictoires, empêchant l’affirmation d’un dessein qui dépasserait les clivages entre corps de métier, statuts, entre disciplines et établissements. Redisons-le ici : cette fragmentation n’est pas un à-côté de ces réformes, mais elle en est le cœur. Reconnaître cette situation douloureuse fait donc partie du diagnostic à poser pour savoir quoi construire.

 

Il est d’autant plus intéressant de voir que plusieurs propositions recueillent des taux d’assentiment supérieurs à 90 voire à 95% et agglomèrent des groupes dont les réponses divergent sur d’autres sujets. Sans surprise, un tel rassemblement s’opère sur la question des recrutements sur des postes pérennes, sur celle des moyens budgétaires en général et sur le rejet de la LPPR. Notons que la concentration d’une éventuelle hausse des moyens financiers sur l’ANR, qui induirait un surcroît de précarisation, fait l’objet d’un rejet tout aussi massif que la LPPR elle-même. Le consensus est également écrasant pour affirmer que la précarisation n’est aucunement neutre du point de vue de la démarche scientifique collective et en obère la qualité, un constat diamétralement opposé au point de vue du ministère et de la direction du CNRS. Il en va de même pour affirmer la centralité de l’élection, le cas échéant panachée avec des modes de désignation autre que la nomination, dans la composition des instances supervisant les normes de probation savante. 

 

Ces premières convergences sont autant de bornes sur lesquelles la dynamique d’atomisation vient buter : tout en étant conscients de la déconstruction effective de l’intérêt commun dans les réformes, nous réaffirmons notre volonté de rester une communauté solidaire dont les pratiques sont fondées sur l’égalité statutaire, sur le règlement démocratique du dissensus, sur l’exigence de rigueur, la patience et l’écoute. L’élaboration d’une méthode de répartition des moyens, non bureaucratique et scientifiquement fondée, prenant en compte les spécificités disciplinaires, en constitue l’illustration concrète. Nous voulons l’autonomie avec les conditions matérielles qu’elle présuppose. Mais dans le même temps, nous réfutons le sophisme qui voudrait que l’autonomie savante soit l’irresponsabilité, car c’est dans les mêmes proportions que les répondants déclarent vouloir repenser leurs pratiques pour tenir compte de la crise écologique et climatique, qui impose un nouveau fonctionnement savant, plus lent, plus raisonné, plus intègre, plus lucide sur lui-même - en un mot, plus en phase avec l’idéal qui n’aurait jamais dû cesser d’être celui de la science.

 

Cette convergence de principes fournira la trame des réflexions que nous vous invitons à lancer sur vos lieux de travail et dans vos villes à partir de cet automne. Les journées “Refonder l’université et la recherche” du 25-26 septembre le coup d’envoi de cette réagrégation théorique d’un “Nous”.

 

Le collectif RogueESR

 

 

Synthèse du sondage

 

Les répondants

 

2500 personnes ont répondu au sondage ; 52% des répondants sont enseignants ou enseignants-chercheurs titulaires (dont trois présidents d’université ou d’établissement), et 24% sont chercheurs titulaires. 14% sont doctorants (contractuels, vacataires ou non-financés). Les personnels administratifs et techniques représentent 9% des répondants. Sur le plan disciplinaire, 42% des sondés exerçant une profession académique sont issus du domaines des Lettres, Langues et SHS, 19% des sciences biomédicales et 39% du groupe science, technologie, ingénierie et mathématiques. 44% se sont déclarés femme, 54% homme. 19% ont moins de 35 ans, 60% ont entre 36 et 55 ans, 21% ont 56 ans ou plus.

 

Situation sanitaire dans l’enseignement supérieur

 

Les premières questions du sondage demandaient une appréciation de la situation sanitaire du supérieur en période de déconfinement et en prévision de la rentrée. 70% des personnes interrogées ont fait part de leur pessimisme sur la rentrée, jugeant l’organisation d’une rentrée satisfaisante difficile voire impossible. La perspective du télétravail (“distanciel”) est jugée négativement par 57% des répondants, et seulement 13% expriment une opinion positive sur cette éventualité. 80% des répondants jugent que l’enseignement et l’évaluation à distance répondent à d’autres finalités que l’enseignement et l’évaluation “en présentiel”. Enfin, 85% jugent impossible ou difficile d’organiser une rentrée respectueuse des normes sanitaires requises sans recrutements supplémentaires, non-prévus par le ministère.

 

Bilan des politiques menées depuis 15 ans

 

Le bilan scientifique tiré de la vague de réformes amorcées il y a une quinzaine d’années dans toute l’OCDE confirme leur échec aux yeux des scientifiques : il ne sont qu’un tiers à considérer que la qualité des publications scientifiques a augmenté, dans le monde et en France (34% et 35%) ; une courte majorité absolue parle de stagnation voire de régression. Ce sentiment de stagnation et de régression est plus marqué concernant la France (54%) que concernant le reste du monde (50%).

 

Sans surprise, un grand consensus se dégage sur la question des moyens : neuf répondants sur dix jugent les moyens alloués à la recherche et à l’université insuffisants ou très insuffisants (89% pour la recherche, 91% pour l’université). Mais le consensus est tout aussi marqué sur la question du mode de management promu par les réformes, jugé négatif par 94% des répondants pour la recherche et 89% pour l’université. Dans ce contexte où 80% des répondants se déclarent suffisamment bien, voire très bien, informés sur le contenu de la Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), le volet managérial et statutaire de la LPPR est expressément rejeté à 81%.

 

Emploi et précarité

 

Trois questions visaient à estimer l’ampleur de la précarisation des professions scientifiques, par corps de métiers (enseignants et/ou chercheurs, personnels administratifs, personnels techniques). Au final, ces questions ont surtout permis de prendre la mesure de l’invisibilisation de cette question, avec à chaque fois plus de 30% des répondants se déclarant incapables d’estimer l’ampleur de la précarité sur leur lieu de travail - un constat qui souligne l’urgence de bilans sociaux sincères à tous les échelons, et d’une communication sur ce sujet. Cette invisibilisation de la précarité n’empêche pas 64% des répondants d’affirmer que les cursus universitaires ne seraient pas viables sans les enseignants précaires ; ils sont 70% à penser que des tâches vitales au fonctionnement de l’ESR reposent sur des personnels non-titulaires 85% des répondants pensent que la précarité d’une partie des personnels affecte la production scientifique de l’ensemble ; et 40% déclarent avoir vu des recherches dans leur unité affectées par le turn-over des précaires. En conséquence, ils sont plus de 90% à rejeter les termes avancés par le ministère dans ses négociations avec certains intercesseurs syndicaux et avec les sociétés savantes (augmentation du budget de l’ANR en échange d’un soutien au volet RH de la LPPR). Enfin, seuls 6% des répondants jugent que le ministère a été à la hauteur des difficultés rencontrées par les précaires durant le confinement.

 

Concernant la prise en compte de ces difficultés par les représentants de la communauté, si les deux tiers des répondants pensent que les syndicats ont suffisamment pris la mesure du problème, un tiers seulement considère qu’il en va de même des sociétés savantes, et moins d’un quart des répondants considère que les instances élues des universités et organismes ont perçu l’importance de ce sujet.

 

Concernant la responsabilité de cette situation, 96% des répondants attribuent une responsabilité forte à écrasante au ministère, mais également 75% aux directions des universités et organismes de recherche et aux agences de pilotage. A l’inverse, 85% jugent que les précaires n’ont aucune responsabilité ou une responsabilité minime dans leur situation, tandis qu’ils ne sont que 9% à dédouaner de la même les personnels titulaires du sort fait aux précaires (rappelons que 76% des répondants sont eux-mêmes titulaires).

 

Bureaucratie ou démocratie

 

Le sondage confirme l’état très inquiétant de la démocratie universitaire et scientifique : 83% des sondés se jugent insuffisamment associés aux décisions budgétaires de leur établissement d’exercice, et 60% ne sont pas associés du tout. 60% des sondés sont insuffisamment associés aux décisions pédagogiques à l’université, et 67% aux décisions scientifiques.

 

Si le principe même de l’existence d’une instance d’évaluation comme le HCERES est critiqué par la moitié des répondants, contre un quart qui le juge positif, son mode de composition actuel, sans élection, ne satisfait que 2,4% des répondants. Les deux tiers des participants (65%) défendent soit l’élection intégrale, soit le panachage entre élection et tirage au sort.

 

Nous avons également demandé aux répondants d’estimer le nombre d’évaluations qu’ils devaient rendre chaque année pour ces instances, ce qui a fait apparaître un gouffre entre les 2,4% de répondants rendant 10 évaluations ou plus, avec un pic à 60, et le reste de la communauté, à commencer par les 55% de répondants pour qui la réponse est aucune.

 

Plus de 90% des répondants attribuent au ministère une responsabilité forte à écrasante dans cette situation, à parité avec les directions des universités et des organismes de recherche, tandis qu’ils ne sont “que” 86% à mettre en cause les agences et le HCERES. A noter également que 37% des répondants considèrent que les personnels scientifiques titulaires occupant des fonction de pilotage ont une responsabilité dans cette évolution.

 

Répartition des moyens

 

L’estimation des coûts de production d’un article scientifique, hors salaires, témoigne de la possibilité de répartir rationnellement les moyens de sorte que tous les chercheurs puissent travailler, en évitant la chronophagie, la bureaucratie et le conformisme inhérents aux appels à projets. Ainsi, les répondants reconnaissent une gradation des besoins depuis les lettres et sciences humaines (quelques milliers d’€) jusqu’aux sciences du vivant (centaine de milliers d’euros €), selon une croissance qui suit la part de travail d’expérimentation nécessitant du matériel coûteux. Le nombre de signataires moyens suit la même progression entre disciplines. La variabilité des réponses témoigne de ce qu’une distribution strictement déterminée par le champ disciplinaire demeure, possiblement, légèrement sous-optimale. Cependant, elle constitue une première approximation qui permettrait de répartir efficacement l’essentiel des moyens.

 

Publications

 

Le diagnostic sévère porté sur l’évolution qualitative des publications trouve son corollaire dans le fait que la moitié des répondants (50%) avoue publier épisodiquement ou régulièrement des travaux inaboutis. 14% déclarent aussi l’avoir fait “une fois”. Plus des deux tiers (68%) disent ne pas avoir le temps de suivre l’état de la recherche dans leur domaine.

 

Concernant le financement des publications, près des deux tiers des répondants (64%) n’ont jamais fait payer de frais à leur institution pour publier un article dans une revue. Concernant les revues en Open Access, ils sont 53% à n’avoir jamais payé pour être publié, sur 85% de répondants ayant déjà publié en Open Access. Ce modèle de prédation reste donc largement extérieur aux pratiques scientifiques en France. Il est d’ailleurs jugé négativement par 89% des répondants. 

 

A contrario, 57% des répondants se sont déjà procuré des publications sur des sites de piratage et 63% souhaiteraient que les associations savantes reprennent le contrôle des publications, quitte à en supporter les coûts (ils ne sont que 6% à s’y opposer).

 

Les métiers scientifiques et la crise écologique

 

La dernière série de questions visait à sonder la communauté scientifique sur la prise en compte de la crise écologique dans la formulation des priorités d’une politique scientifique.

 

Il en ressort que 84% des répondants pensent que la crise écologique et climatique doit entraîner une modifications des pratiques scientifiques ; 76% pensent que les pratiques actuelles induisent des déplacements trop nombreux et 81% estiment que la réduction de l’empreinte carbone des activités scientifiques doit devenir une priorité dans l’établissement des politiques universitaires et de recherche. 

 

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RogueESR est un collectif de membres de la communauté académique. Il rassemble celles et ceux qui font vivre ses institutions au quotidien, et qui souhaitent défendre un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvert à toutes et tous.

 

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Résultats de la consultation sur l'état et l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche
Résultats de la consultation sur l'état et l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche
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22 septembre 2020 2 22 /09 /septembre /2020 05:24

 

 

André Gardies. Blanche, châtelaine du Gévaudan. TDO Éditions, 2020.

 

Comme je le disais il y a peu à la personne qui est la plus proche d’André Gardies, il est une crème d’homme qui aime les gens. La quête de l’humain, de l’humanité chez Gardies, a ceci de touchant que, bien que franchement ancrée dans le passé, elle n’a rien de bisounours car elle est attentive aux fêlures, aux décalages, aux attentes, aux frustrations qui structurent nos vies présentes et futures.

 

Un jeune écrivain qui n’est pas le plus recensé de France obtient un statut d’auteur en résidence dans un château de la Lozère qu’il a connu de loin lorsqu’il était enfant. Il réalise  ainsi une double fantasme : il est payé pour écrire et il devient en quelque sorte le personnage principal de son propre récit dans un lieu romanesque.

 

Comme souvent, tout est décalé chez Gardies. On roule en 2 CV, les employées de maison sont des “servantes ” (qui disent “ que Monsieur m’excuse ”) et on va aux champignons. Mais le récit va tourner autour de la relation très originale qui s’établit non sans peine entre le romancier trentenaire et la sémillante comtesse quinquagénaire. Ils deviendront amants (pardon : ielles deviendront amant.e.s ; pas d’affolement, André n’a pas succombé aux horreurs de l’écriture inclusive !) après des hésitations, des tensions, des retours au vouvoiement, des prises de distance. La comtesse s’appelle Blanche Maufroid. On ne saurait attendre trop d’ardeur débridée, de feu ravageur, chez une personne dont le nom suggère une étendue de neige hostile. Quant à Paul Fréval, c’est une autre que la comtesse qui jouira en fin de récit de son frais vallon.

 

 

En Lozère, la vie de la comtesse a retrouvé du sens avec le combat – sûrement d’arrière-garde – qu’elle mène contre les éoliennes. J’ai regretté que l’auteur n’exploite pas davantage ce filon car cela lui aurait permis de donner plus de relief aux personnages secondaires, aux acteurs de la vraie vie. Cela dit, le procès est instruit : “ Elle m’a démontré que le réseau hydrographique, les sources, les nappes phréatiques, seraient bouleversés. Que les tourbières s’assècheraient. Que les microclimats en seraient modifiés. Et puis encore la pollution sonore, les ondes néfastes, le danger que représentent les éoliennes abandonnées ou en panne avec leurs énormes pales qui pourraient se détacher. Et le pire, a-t-elle martelé, sous prétexte d’écologie, c’est la recherche du profit qui commande. ” J'ajoute qu'une éolienne c'est 15 000 tonnes de béton et de ferraille qu'on sera incapable de déterrer et de démanteler.

 

Cette analyse, Gardies la place dans un journal intime que tient le romancier tout au long du récit. Je dirai que, autant André s’était remarquablement acquitté de récits seconds dans d’autres livres, autant cette fois-ci il ne m’a pas convaincu. D’abord, ce journal est rédigé dans un style académique quasi parfait. Plus pur encore que celui du Journal de Claudel ! Si ce journal avait été intégré dans le récit premier, celui-ci aurait gagné en vérisimilitude, en dynamique. Ou alors il fallait pousser la logique jusqu’au bout et donner aussi la parole à la comtesse car c’est bien elle le personnage principal de ce roman dont elle est la colonne vertébrale. Ce n’est pas Paul Fréval à l’idiosyncrasie somme toute plus classique.

 

J’ai toujours énormément aimé le style d’André Gardies, un humaniste qui met son style au service de son prochain, en l’observant du dedans et du dehors et en lui donnant toujours raison ou ses raisons : “ Depuis deux ou trois hivers, Blanche Maufroid se sent gagnée par l’accablement des jours monotones et sombres comme si l’énergie qu’avait forgé et entretenu sa vie parisienne s’étiolait. ” Ou encore : “ Il sait qu’il faut laisser aux mots le temps de prendre forme, de monter, de franchir le mur du silence. C’est si fragile une douleur qui tente de se formuler, si craintive aussi quand elle sent le moindre danger et – comme la tortue –  rentre sa tête à l’abri de la carapace. ”

 

 

Pour ceux qui ne connaissent pas André Gardies de visu (ou de auditu), je leur conseille d’écouter cet entretien récent à la radio FM Plus (https://www.radiofmplus.org/arret-aux-pages-gardies/).

 

Blanche, châtelaine du Gévaudan, est le 11ème roman d’André Gardies. En 18 ans.

Note de lecture 190
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18 septembre 2020 5 18 /09 /septembre /2020 05:09

 

Il fallait bien que le Scrabble fût lui aussi touché par le politiquement correct. Selon Le Monde, l’Association étasunienne des joueurs de Scrabble envisage d’interdire 225 mots racistes ou sexistes lors de ses compétitions.

 

C’est Cesar del Solar, programmateur informatique et champion de Scrabble, qui a suggéré que l’on ne tienne plus compte des “ N words ” (comme “ nigger ”), suggestion reprise par John Chew, le président des scrabbleurs étasuniens : « « On nous dit, quand on entre pour la première fois dans un club de Scrabble, que les mots n’ont pas de signification sur un plateau de Scrabble. La plupart des gens l’acceptent sans problème. Mais d’autres n’acceptent pas que le “N word” soit traité comme s’il n’avait aucune signification. Ces gens finissent par ne plus faire partie de notre communauté, et c’est un problème fondamental que nous devons régler. Quand des gens meurent dans les rues dans un contexte de tensions raciales et que ce mot [N word] a encore tant de pouvoir, il faut se dire que nous jouons à un simple jeu et que nous devons faire ce que nous pouvons pour aider, à notre façon. » 

 

Hasbro, la société qui possède les droits du Scrabble en Amérique du Nord (10 milliards de dollars de capitalisation en 2020), a d’ores et déjà apporté son soutien à l’initiative. Hasbro avait déjà supprimé des termes antisémites dans les années 1990. Et d’autres termes comme « blow job » (fellation), « mindfuck » (fausse piste, dans une œuvre de fiction, par exemple Les Diaboliques). La société envisage également de supprimer – rien à voir avec la négritude – « Baldie » (tondu), « lesbo » (gouine), « fatso » (gros lard), « Bohunk » (qui vient d’Europe centrale, Bohémien), « Haole » (Hawaïen), « Culchie » (Irlandais). Mais également « Jesuit » (sic), « papis » (sic), « graybeard » (vieux mec), « jailbait » (Lolita avec qui il est illégal d’avoir des relations sexuelles). Ces mots d’usage courant figurent dans les dictionnaires depuis des dizaines d’années.

 

 

L’ancien champion du monde de Scrabble Wellington Jighere, premier Africain à s’être imposé dans cette discipline, n’a pas emboité le pas : « C’est juste un mot. Le simple fait de le jouer sur un plateau de Scrabble ne veut pas dire que le joueur entend être offensant ».

 

Nous sommes dans 1984, avec cette idée totalitaire et désespérément crétine qu’en supprimant un mot on supprime le référent, qu’en supprimant un mot utilisé par des racistes (« nigger ») on supprime le racisme – ou, à la rigueur, on lutte contre ce comportement.

 

Dans le Scrabble “ français ”, il est interdit, en compétition, d’utiliser les mots « chinetoque » ou « négro » mais pas « salope », « ritale » ou « enculé ».

 

 

Scrabble et politiquement correct
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