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21 mai 2015 4 21 /05 /mai /2015 05:17

 

Dans Meursault, contre enquête, Kamel Daoud donne corps au destin de « L’Arabe » assassiné par le héros de L’étranger. Soixante-dix ans après le faits, Haroun, le frère de la victime, construit une histoire à Moussa, mort sur une plage où le soleil cognait trop fort.

 

Construit en points et contre-points, en miroirs et en faux-semblants, ce roman à l’écriture parfaitement maîtrisée nous parle d’identité (s).

 

A propos de son livre, Daoud dit ceci : « Sans l'avoir lu, de nombreuses personnes ont pensé que c'était une attaque de L’Étranger, mais moi je n'étais pas dans cet esprit-là. Je ne suis pas un ancien moudjahid. [...] Je me suis emparé de L’Étranger parce que Camus est un homme qui interroge le monde. J'ai voulu m'inscrire dans cette continuation. [...] J'ai surtout voulu rendre un puissant hommage à La Chute, tant j'aime ce livre. »

 

Daoud, qui réside en Algérie, a fait l’objet d’une fatwa qui le condamne à mort parce qu’il a choisi d’écrire en français, la langue arabe étant, selon lui, « piégée par le sacré ». Le texte de la fatwa salafiste menace en ces termes : «« Il a mis le Coran en doute ainsi que l'islam sacré ; il a blessé les musulmans dans leur dignité et a fait des louanges à l'Occident et aux sionistes. Il s'est attaqué à la langue arabe [...]. Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son livre, les musulmans et leurs pays. ».

 

Un extrait du roman :

 

Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C’est comme la négritude qui n’existe que par le regard du Blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. Eux étaient « les étrangers », les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l’épreuve, mais dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l’autre, c’était certain. C’est pourquoi on ne leur répondait pas, on se taisait en leur présence et on attendait, adossé au mur. Ton écrivain meurtrier s’est trompé, mon frère et son compagnon n’avaient pas du tout l’intention de les tuer, lui ou son barbeau. Ils attendaient seulement. Qu’ils partent tous, lui le maquereau et les milliers d’autres. On le savait tous, et ce dès la première enfance, on n’avait même pas besoin d’en parler, on savait qu’ils finiraient par partir. Quand il nous arrivait de passer dans un quartier européen, nous nous amusions même à désigner les maisons en nous les partageant comme un butin de guerre : « Celle-là est à moi, je l’ai touchée le premier ! », lançait l’un de nous, déclenchant des cris de surenchère. A cinq ans ! déjà, tu te rends compte ? Comme si on avait eu l’intuition de ce qui se passerait à l’Indépendance, avec les armes en moins. »

 

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18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 08:06

Dans son blog de Mediapart, Thierry de Larochelambert réfléchit sur les notions de marxisme, religions et laïcité :

 

Le dogme, la pression idéologique et morale, le négationnisme anti-scientifique et la dictature par essence des religions « révélées » sont fondamentalement, par nature, opposées à la liberté de pensée, au libre-arbitre, à la connaissance scientifique (sauf à induire une forme de schizophrénie: la « Révélation » n’a aucun sens physique; « Dieu » n’est pas une hypothèse scientifique ni une explication du monde, de l’univers, des univers; le galimatias des textes et versets prétendument « sacrés », écrit par des humains pour imposer aux humains des pseudo-« vérités » et « lois divines » est contraire à l’élaboration critique de la pensée et de l’émergence de l’auto-gouvernement démocratique): ils constituent l’oppression religieuse.

 

Dans Res Publica, Catherine Kintzler dénonce la « liberté pédagogique » telle qu’elle est conçue et appliquée par le pouvoir solférinien :

 

La notion de liberté pédagogique du professeur ne concerne pas les programmes, c’est-à-dire les contenus, mais seulement les méthodes. En France, seule l’instruction est obligatoire (il faut donc des programmes nationaux s’imposant à toutes les écoles tant publiques que privées et au préceptorat). En revanche les méthodes d’enseignement sont libres, dans le cadre du droit commun et du code de l’éducation : jusqu’à nouvel ordre, il n’y a pas de pédagogie officielle. Or c’est exactement le contraire qu’explique Denis Paget, membre du Conseil supérieur des programmes, au sujet de ce projet de programme d’histoire, et avec une pointe d’agacement perceptible dans la voix :

« Il faut savoir ce qu’on veut, on nous dit tout le temps que les programmes sont trop lourds. Donc le choix qui a été fait c’est qu’il y ait des points de passage obligés et puis des questions au choix. Alors évidemment on ne traitera pas toutes les questions, c’est le professeur qui choisit en fonction de l’intérêt des élèves, de la logique même de son cours, de traiter une question plutôt qu’une autre, ce qui permet de dégager beaucoup plus de temps pour enseigner l’histoire de façon plus active et intelligente et notamment en travaillant des études de documents. »

 

 

Il arrive à Catherine Deneuve de s’éloigner du quartier de Saint-Sulpice à Paris. Il y a quelques mois, elle s’est rendue à Dunkerque. Comme la plupart des médias français, le quotidien belge Le Soir a rapporté le jugement de la star sur la ville la plus septentrionale de France : « Dunkerque est d’une tristesse. Il n’y a vraiment que l’alcool et les cigarettes qui marchent ». La fille de Maurice Dorléac, qui fut frappé d’indignité à la Libération pour avoir participé à 76 émissions sur Radio Paris, savait-elle que le carnaval de Dunkerque est incontestablement l’événement populaire le plus festif de France ?

 

La Nouvelle République nous dit que les couples choisissent à deux leur maison mais c'est Madame qui balaie ! Beaucoup d’hommes en couple gardent résolument leurs distances avec les tâches ménagères: 91% avouent ne pas repasser, 60% ne pas faire le ménage ni la vaisselle (48%), 50% ne pas toucher aux fourneaux et 36% ignorer les courses, selon cette étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.

En revanche, 93% des femmes en couple font le ménage, 93% la cuisine, 85% les courses quotidiennes, 83% la vaisselle et 73% le repassage. Les mères passent également deux fois et demie plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants.

 

 

Le Point nous apprend que La Cour des comptes épingle les dépenses de Rachida Dati. Les sommes indues vont devoir être remboursés à l'État par le comptable de l'époque qui avait eu le malheur de parapher la note.

La Cour des comptes a également épinglé près de 180 000 euros de contrats passés avec la société de conseil de Pierre Giacometti. Ce proche conseiller de Nicolas Sarkozy avait bénéficié de plusieurs contrats de communication passés avec des ministères du gouvernement Fillon. Des marchés de plusieurs centaines de milliers d'euros déjà dénoncés par la Cour des comptes dans un précédent rapport, pour avoir été signés "en dehors de toute publicité et mise en concurrence".

Revue de Presse (128)
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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 05:08

Je me demande bien pourquoi, dans ce centre de culture physique – pardon ce "fitness centre", ou mieux encore ce "fitness center", sur 26 informations, 14 sont, malgré tout, rédigées en français.

Méprisons la langue française (38)

 

Puisqu'on est dans le sport, saviez-vous que les footballeures de Lyon sont les meilleures de France ? Les meilleures, et les vainqueures !

Méprisons la langue française (38)

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Une petite dernière pour la route : à Strasbourg, les autolibs s'appellent Yea. Ça doit être de l'alsacien.

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 05:41

La réponse de Bernard Maris :

Pourquoi est-on passé du social au sociétal ?
Pourquoi est-on passé du social au sociétal ?
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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 05:41

Un numéro consacré à « la terre en partage ».

 

Dans son éditorial, Paul Ariès rappelle que les milieux populaires sont en fait plus écolos que les classes aisées, le bilan carbone des premiers étant meilleurs que celui des seconds. Il y a parfois chez les Verts de la condescendance vis-à-vis des pauvres, comme quand François Goulley de Rugy propose de rendre le vote obligatoire et d’infliger une « petite amende » à ceux qui ne voteraient pas. Une « petite amende » pour les salauds de pauvres !

 

 

« Qu’est-ce qu’un espace écologique », demande Sylvain Angerand des Amis de la terre ? En quoi la notion d’espace écologique peut-elle nous aider à construire des transitions vers des sociétés soutenables ?

 

 

Mohammed Taleb se prononce « contre le pillage des symboles et pour une éco-spiritualité solidaire ». Il analyse les propositions d’Edward Said sur une exploration fine des dimensions culturelles et idéologiques des rapports de pouvoir qui s’exercent du monde occidental vis-à-vis des peuples de l’« Orient ».

 

 

Pour Thierry Brugvin, il est urgent de repenser notre environnement urbain. Il ne s’agit pas de créer des villes inhumaines, flanquées d’immenses immeubles collés les uns aux autres. Comme dans certaines cités de banlieu devenues invivables, car leurs habitants étouffent coincés entre des murs grisaillant en béton armé, telles des prisons ouvertes.

 

 

Pour Jean-Marc Sérékian, la sortie du nucléaire, c’est aujourd’hui ou jamais. 
Cela peut paraître dérisoire voire puéril de réaffirmer aujourd’hui l’urgence de la sortie du nucléaire en France. En automne dernier le couperet de l’arbitraire était déjà tombé. Le mardi 14 octobre 2014, l’Assemblée nationale avait adopté, en première lecture, le projet de loi relatif à la « transition énergétique pour la croissance verte ». Le statu quo nucléaire se retrouvait ainsi confirmé, promu et « bunkérisé » par la loi, comme indispensable dans le mix énergétique national. Cette urgence est pourtant la principale leçon de Fukushima : la sortie du nucléaire c’est aujourd’hui ou jamais … Même si la classe politique a tranché en labélisant le blocus nucléaire par son intégration dans la « transition énergétique pour la croissance verte », il n’est pas inutile de revenir sur les leçons irrévocables de la catastrophe japonaise. Trois vieux réacteurs déclarés « bon pour le service » au-delà de 40 ans entraient en fusion à la suite d’un séisme et d’un tsunami, le 11 mars 2011. Les implications anthropologiques de ce drame ont été immédiatement comprises en Allemagne. Comment comprendre qu’elles ne le furent pas en France ?

 

Les Zindigné(e)s n° 24

 

Jacques Testard fait l’éloge de « l’humanitude ». Nous savons tous ce qu’est l’humanitude, avant même que nous connaissions un mot pour la nommer. Nous la devinions à l’occasion de quelque expérience, rare dans la vie quotidienne, des moments inoubliables partagés avec des gens qui étaient souvent des inconnus, moments graves et exaltants où l’on échange, s’écoute et imagine un autre monde. Par exemple lors d’une grande grève, ou d’une manifestation massive. Pour les seniors il faut évoquer les mouvements mythiques comme mai 68, Lip ou le Larzac, mais les plus jeunes ont pu participer à la marche enthousiaste du Parti de gauche en mai 2013 ou fréquenter les implantations des Indignés, des Zadistes ou Alternatiba. Parfois, c’est dans un cercle de discussion improvisé que la chose arrive : soudain s’impose le sentiment d’appartenance à la communauté humaine, non pas de façon formelle comme le dit l’état-civil mais par la chair et par l’esprit, parce que la chaleur des autres nous gagne et nous aide à réfléchir ensemble au monde que nous voulons. Et ce monde n’est plus celui d’un groupe particulier explorant ses intérêts étroits, il se veut partagé avec les absents, avec les étrangers, avec les générations à venir, un monde fait pour le bien de l’humanité entière, le contraire du monde néo libéral ! C’est que la magie a opéré dans ce groupe hétérogène pour ramener chacun au plus petit commun dénominateur : l’appartenance à l’espèce Homo sapiens, à ses rêves et ses difficultés, et alors sont mis en circulation tous les neurones, tous les savoirs imbibés du vécu de chacun. Pour en arriver là, il fallait que deux qualités humaines, ordinairement étrangères l’une à l’autre, se manifestent simultanément : l’intelligence collective et l’empathie. C’est ce mélange chaud et puissant que je nomme humanitude. L’humanitude n’est pas une qualité individuelle, elle ne jaillit pas d’un mouvement solitaire mais par l’émulation qui naît au sein d’un groupe en effervescence intellectuelle, morale et affective, elle est l’expression du meilleur de l’humanité et de l’intelligence partagées.

 

Vandana Shiva et Lionel Astruc discutent sur le concept de « désobéissance créatrice ». A ce sujet, la personnalité de Vandana Shiva mériterait d’être mieux connue : « Emblème mondial de la révolution écologique et chef de file du mouvement altermondialiste, Vandana Shiva a basé son travail sur la pédagogie par l’exemple. Partie seule à pied sur les chemins de l’Inde à la fin des années 1980, en quête de semences menacées par l’industrie, elle en est revenue à la tête d’un cortège de 500 000 manifestants – paysans et activistes – et d’un réseau de 120 banques de graines. Ses initiatives ont pollinisé les cinq continents et ses procès contre les multinationales lui ont valu de nombreuses récompenses, dont le prix Nobel alternatif. Drapée de son éternel sari de coton artisanal, elle exhorte chacun de nous à devenir ce “petit rien” qui inversera la tendance.

 

Docteur en physique quantique et en philosophie, elle porte bien le nom du dieu Shiva, aussi connu pour son caractère combatif que pour sa capacité à protéger la vie. Son histoire est marquée par un engagement corps et âme, dans un pays où sévit une intense guerre des matières premières.

 

Pourquoi un grand changement de paradigme interviendra-t-il dès les prochaines années ? Quel rôle devons-nous jouer ? En quoi l’abondance pour les uns et la pénurie pour les autres procèdent-elles d’une même perte de souveraineté alimentaire pour tous ? Qu’est-ce que l’écoféminisme et en quoi représente-t-il une opportunité majeure, tout autant pour les femmes que pour les hommes et la planète ?

 

Cette série d’entretiens aborde alternativement les grands enjeux actuels et le parcours épique de cette héritière de Gandhi. »

 

 

Vincent Devictor (auteur de Nature en crise) se demande comment défendre efficacement la biodiversité. La Terre est entrée dans la sixième grande phase d’extinction des espèces. La biodiversité n’est pas simplement la diversité du vivant mais la diversité du vivant « en crise ».

 

Pour François Gèze (ancien responsable des éditions La découverte), l’édition française peut nous renseigner sur l’état de la vraie gauche. Et on peut se demander si le succès de livre très marqués à droite (Zemmour) signe une irrémédiable glissade du corps social français vers le pire.

 

Laurent Paillard analyse Opération Correa, un film de Pierre Carles antidote à la théorie du complot. Une version courte du film peut être visionnée sur le site de cp productions.

L’article est suivi d’une interview de Carles par Paillard.

 

 

En matière de productivisme, Mathieu Agostini en connaît un rayon. Il s’intéresse ici aux productivistes du PS au pouvoir. Pour Hollande, la transition énergétique passe par moins de trains et plus de cars !

 

 

YannFiévet évoque les « cartons d’Europa City » : Les lecteurs distraits des publi-reportages plus ou moins bien maquillés que diffusent de plus en plus abondamment les médias les moins regardants commencent à être familiers du nouveau mastodonte baptisé Europa City. Ici, nous supposerons que le lecteur ne se contente pas de promotion mercantile ou de gonflette publicitaire pour leur préférer une présentation critique des « grands projets structurants » dont on ne sait jamais vraiment ce qu’ils structurent. En l’occurrence, il s’agirait de construire, au mieux en 2020, dans le « Triangle de Gonesse », coincé entre les aéroports du Bourget et de Roissy-Charles-De-Gaulle, un complexe mêlant activités commerciales et activités de loisirs. Dans la partie la plus modeste du Val d’Oise et aux confins du département le plus pauvre de France, la Seine-Saint-Denis, ce « machin » à deux têtes offrirait la myriade des plus grandes « enseignes du commerce de luxe européen », des hôtels de grande capacité destinés à retenir les visiteurs instables par définition, des salles de spectacles et de sport surdimensionnées, une piste de ski d’intérieur permettant de cultiver l’exotisme qu‘il ne serait donc plus nécessaire d’aller chercher au loin. Il paraît même que ce projet, déclaré d’envergure nationale en son temps par Nicolas Sarkozy soi-même, préfigurerait « la ville de demain ». Bref, nous sommes préparés, sur papier glacé pour le moment, à toutes les outrances.

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 08:56

Une revue de presse exceptionnelle, consacrée à un seul article, celui de Renaud Dély dans l’OBS sur le népotisme des grands amis du peuple, cette famille où l’on préfère sa fille à ses cousines et ses cousines à ses voisines, mais où l’on finira peut-être par préférer les Aïcha aux Marine ! À trois reprises, selon Dély, le père a scandaleusement aidé sa fille, contre tout principe moral, ce qui explique assurément son ire actuelle.

 

2011 : le coup de pouce anti-Gollnisch

 

Il remonte à la compétition interne préalable au congrès de Tours de janvier 2011. Après avoir fait miroiter sa succession pendant des années au député européen Bruno Gollnisch, en lui attribuant le statut de "dauphin", le fondateur du Front national lâche son fidèle second dans la dernière ligne droite. "Le destin des dauphins, c’est parfois de s’échouer", assène Le Pen. Et Gollnisch échoue dans les grandes largeurs… Lors du vote des militants frontistes, il ne recueille qu’à peine un tiers des voix face à Marine Le Pen. Tout au long de la campagne interne, celle-ci s’est appuyée sur le soutien de son père, s’est réclamée de lui, de son héritage, et de son "œuvre", dont elle était alors parfaitement et entièrement solidaire.

 

En 1997, Marine Le Pen fut humiliée par les militants, sauvée par son père

 

Lors du 10e congrès du FN réuni à Strasbourg, Bruno Mégret est plébiscité par la base et les cadres du mouvement. Il arrive nettement en tête lors de l'élection des cent membres du comité central. Les mégrétistes trustent 15 des 20 premières places au comité central. Marine Le Pen est battue ! La benjamine des filles du chef, âgée de 30 ans à l'époque, ne figure pas parmi les 100 premiers cadres du mouvement créé et dirigé par son père ! Pour Jean-Marie Le Pen, l'affront est terrible. Pour sa fille, Marine, c’est une véritable humiliation.

 

C’est le moment que choisit le fondateur du FN pour voler à son secours. A peine le dépouillement de ce scrutin interne terminé, il convoque un comité central extraordinaire du parti. On le croise alors dans les couloirs du palais des Congrès de Strasbourg, rouge écarlate, fulminant à haute voix contre le "félon" (déjà…) Mégret. Aussi sec, il annonce qu'il repêche une vingtaine de candidats pour les nommer au comité central sa fille. Battue dans les urnes, elle est donc nommée par son père. Ce jour-là, il lui sauve tout bonnement la vie… politique.

 

 

En 1998, Marine Le Pen fut embauchée par le parti pour 30.000 francs par mois

 

Avant de lui mettre le pied à l’étrier politique, puis de lui offrir les rênes du parti, Jean-Marie Le Pen s’est servi du FN pour subvenir aux besoins de sa fille. En janvier 1998, alors que Marine Le Pen est une jeune avocate en mal de dossiers, et donc de revenus, son père la fait embaucher comme responsable du service juridique du parti, un poste qui jusque là n’existait pas. Marine Le Pen émarge à 30.000 francs (soit 4.500 euros) bruts par mois pour un deux-tiers de temps.

 

Cette nouvelle marque de clanisme irrite le numéro deux du parti, Bruno Mégret, d’autant que Marine Le Pen passe le plus clair de son temps à éplucher les dépenses des mégrétistes pour mieux leur couper les vivres. A la même période, Le Pen pousse la bienveillance familiale jusqu’à prendre soin de son gendre, Franck Chauffroy, époux de Marine. Il impose au FN de recourir à sa société pour louer 7 500 chaises au tarif de 1 280 000 francs (195 000 euros) pour la fête des Bleu-Blanc-Rouge du parti d’extrême droite. Puis, l'entreprise ayant fait faillite avant de remplir son contrat, Le Pen renonce à lui réclamer les arrhes déjà versées. Avant de devenir son boulet électoral, Le Pen fut donc bel et bien le bienfaiteur de sa fille. Et il est probable qu’en prétendant rompre avec l’héritage politique de son père, Marine Le Pen ait d’abord tiré un trait sur celui, sonnant et trébuchant, qu’il a placé à l’ombre de quelques coffres discrets du côté du lac Léman.

 

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10 mai 2015 7 10 /05 /mai /2015 05:05

Mariane (Régis Soubrouillard) a publié un long entretien avec le sociologue Jacques Le Goff sur la politique de Vallaud-Belkacem et de ses prédécesseurs.

 

En 2013, j'avais été sidéré de la manière dont on enseignait désormais l'histoire dans nos écoles primaires.

 

Plusieurs pas ont encore été franchis. Extraits.

 

 

Marianne : La réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem n'en finit pas de susciter la polémique. Les cours de latin, de grec et les classes bilangues vont être supprimés. Dans les nouveaux programmes d'histoire, la chronologie est abandonnée, l'enseignement de l'islam devient obligatoire tandis que le christianisme médiéval et les Lumières sont optionnelles. Que vous inspirent ces réformes très critiquées parmi les professeurs, dans les milieux intellectuels, mais qui semblent également suscitées la méfiance chez les parents ?

 

Jean-Pierre Le Goff* : Je suis pour la défense de ces langues car l’héritage grec et romain est essentiel à la connaissance de notre civilisation européenne, il en va de même pour l’héritage chrétien et les Lumières. En histoire, l’effacement de la chronologie au profit des thèmes relève d’une démarche semblable : l’inscription dans une temporalité historique, dans un temps long, s’efface au profit d’approches thématiques et transversales à plusieurs entrées qui rabattent tout sur le même plan. Le récit historique global tend à s’effacer au profit de récits pluriels et discontinus. La thématique de la « transversalité » et de la « pluridisciplinarité », alors que les connaissances de base des jeunes élèves font souvent défaut, me paraît une aberration. Elle ne peut que renforcer la confusion et la superficialité ambiantes. Tout cela ne date pas d’aujourd’hui, mais cette réforme du collège m’apparaît comme une sorte de paroxysme d’un processus de déculturation dont on a encore du mal à prendre la mesure.

 

C’est-à-dire ? 
Le mouvement que je décrivais dans La Barbarie douce est en train d’aboutir. Cette réforme du collège s’inscrit dans un processus de déconstruction de l’école républicaine et signe sa mise à mort avec le développement du pédagogisme et de la psychologisation dans l’enseignement qui s’est institutionnalisée depuis les années 1980 où il fallait déjà « mettre l’élève au centre » et « apprendre à apprendre ».

 

 

Une des clés pour comprendre ce qui se passe depuis trente ans réside dans le croisement entre une culture post-soixante-huitarde abâtardie et une « modernisation » qui consiste à adapter l’école à la mondialisation. D’où ce mélange curieux de thèmes soixante-huitards d’origine libertaire avec un langage managérial et ses multiples méthodologies et boîtes à outils. Cette sous-culture s’est développée et s’est reproduite par le biais de multiples stages de formation avec sa nouvelle langue de bois ou plus précisément « de caoutchouc » ; elle a envahi l’école comme l’ensemble des sphères d’activité. Impossible désormais d’échapper à l’« évaluation des compétences » au « contrat d’objectif », au « contrat partagé » au « parcours personnalisé »... L’« autonomie », la « responsabilité », le « savoir-être » sont devenus des leitmotivs d’un nouveau modèle de bon comportement, auxquels s’ajoutent désormais la « citoyenneté », le « vivre-ensemble », la « chasse aux stéréotypes », le « développement durable » et une kyrielle de bons sentiments qui couvrent les pratiques les plus diverses et servent d’argument d’autorité dans les débats. C’est le règne de la confusion et de l’inculture qui s’affirme comme tel au plus haut sommet de l’État.

 

Cela vous étonne-t-il de voir la gauche achever ce processus ?
 La gauche a joué depuis les années 1980, il faut le dire, un rôle d’avant-garde dans la déstructuration culturelle. N’ayant plus de projet ni de vision de l’avenir, elle a surfé sur les évolutions problématiques de la société et du monde, tout en affirmant qu’elle n’avait pas changé. Une partie des parents d’élèves et des syndicats, avec le ministère, a appuyé et suivi ce mouvement avec l’idée du « droit à la réussite pour tous » qui remplace l’effort et le mérite, la nouvelle pédagogie tenant lieu d’« outil-miracle ». 
On a reporté sur l’école un ensemble de problèmes que les politiques et la société se sont montrés incapables de résoudre : emploi, socialisation, lutte contre les incivilités et les violences…  Il existe encore de beaux restes ici ou là qui dépendent de la façon dont des responsables et des enseignants conçoivent leur mission et leur métier. Mais le modèle d’ensemble de l’école républicaine est en train de partir en morceaux.

 

La ministre de l’Education justifie régulièrement sa réforme par la nécessité de développer chez les enfants les « compétences du monde actuel ». Vous n’êtes pas sensible à ce type d'arguments ?
Au nom d’« ouverture » et de « modernité », on entend tout simplement adapter l’école à la « mondialisation » actuelle, c’est-à-dire à un monde des plus chaotiques et à une période critique de notre histoire.

 

Désormais, le souci est que les élèves ne « s’ennuient pas à l’école » et les nouvelles technologies de l’information et de la communication exercent une véritable fascination, au détriment des fondamentaux que sont l’écriture, la lecture et le calcul. On met à bas les missions fondamentales de l’école républicaine que sont l’enseignement d’un contenu structuré de connaissances, le recul réflexif, la formation de l’autonomie de jugement qui renvoient à une certaine conception de l’homme et du citoyen et qui sont essentiels pour faire face aux nouveaux défis du présent. On est en train de préparer des générations de bavards, capables de parler superficiellement de beaucoup de choses, tout en n’étant plus structurés de l’intérieur par une culture humaniste qu’on a mis en morceaux et que l'on a recomposée en compétences étroitement adaptatives. Les études que j’ai menées sur le management montrent, au contraire, que la différence en matière d’excellence dans ce domaine renvoie précisément à une éducation première structurante et à une solide culture générale. C’est sur cette base que l’acquisition de compétences directement opérationnelles et d’outils peut ensuite se faire et produire des effets. On fait tout l’inverse. On « fétichise » les méthodologies et les « boîtes à outils » les plus divers et on dénature la culture générale.

 

 

 

* Jean-Pierre Le Goff est sociologue, auteur notamment de La Barbarie douce et de Mai 68. L’héritage impossible (La Découverte). Dernier ouvrage paru La fin du village. Une histoire française (Gallimard).  

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8 mai 2015 5 08 /05 /mai /2015 06:42

Photo prise à Arras le 1er mai 2015.

Qui a abattu le nazisme ?
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6 mai 2015 3 06 /05 /mai /2015 05:37

Je propose ici une riche réflexion de Thibault Le Texier sur notre avenir immédiat en tant qu'appartenant à l'humanité numérique :

 

 

 

Deux milliards de personnes sont aujourd’hui connectées à internet. D’ici quelques années, la majeure partie de l’humanité vivra enveloppée dans un flux constant d’informations. Les différents éléments de notre quotidien sont en train de devenir smart (les voitures, les frigos, les compteurs électriques, les lunettes, les montres, etc.), et nos organes ne tarderont pas à être eux aussi branchés uns à uns sur le réseau global.

Ce monde numérique, où nous construisons une part croissante de notre existence, est façonné par à peine plus d’un millier de scientifiques et d’ingénieurs en informatique, dont la plupart œuvrent dans la Silicon Valley. Ils sont à l’origine, entre autres, du langage HTML, de l’ordinateur personnel, du iPhone, des principaux logiciels que nous utilisons chaque jour et des sites internet les plus visités au monde.

Depuis trente-cinq ans, Jaron Lanier est l’un d’entre eux, même s’il ne leur ressemble pas. D’un côté, il est le père du concept de « réalité virtuelle », il a été le colocataire du fondateur du mouvement pour le logiciel libre, Richard Stallman, et il est membre du très influent Global Business Network. D’un autre côté, il n’est partisan ni de l’open source, ni de la gratuité de l’information, ni du web 2.0 ; il n’est pas en admiration devant les progrès de l’intelligence artificielle ; il ne lit pas avidement boingboing.net ou le magazine Wired (bien qu’il lui arrive d’écrire dans le second) ; et surtout, il exècre la doxa qui anime cette petite communauté et qui est en train de devenir, à ses yeux, le sens commun des sociétés numériques.

Cette idéologie repose tout entière sur un axiome : la vie est un système d’information. Selon cette perspective, une galaxie, l’océan, un être humain, une pensée ou une émotions sont des assemblages d’informations, des sortes de bases de données qu’un algorithme doit pouvoir rendre intelligibles et manipulables. Par un étrange retournement, en même temps que les ingénieurs qu’égratigne Lanier réduisent les individus à un rôle d’émetteurs d’informations et de calculateurs, ils font des informations de véritables personnes douées de vie et de conscience. La liberté dont ils parlent sans cesse s’applique à ces informations, et non aux individus dont elles maillent les existences. Tel est le cœur de la critique que Lanier adresse à la Silicon Valley.

 

Pour lui, internet est devenu le principal instrument de réduction de l’humain à des bits mesurables et organisables. Alors qu’il offrait il y a vingt ans le spectacle d’une grande anarchie extrovertie, le web est aujourd’hui constitué de troupeaux anonymes et standardisés conduits par de grands groupes commerciaux, tels que Facebook, Google, Yahoo et Amazon (Lanier oublie généralement de citer son employeur actuel, Microsoft), ainsi qu’une poignée d’associations comme Wikimedia et Mozilla.

Cette transformation du web en une série d’oligopoles produit, selon lui, quatre effets regrettables : la standardisation des contenus numériques et des comportements, laquelle s’accompagne d’un considérable appauvrissement culturel ; l’éloge des masses anonymes au détriment des individus singuliers ; le rabougrissement de l’économie et l’érosion des classes moyennes occidentales ; l’appauvrissement de notre conception même de l’humanité.

La standardisation des outils numériques et de leurs utilisateurs

Comme toute technique, l’informatique réifie des idées générales dans des dispositifs rigides et résilients. Chaque nouveau logiciel et chaque nouvel ordinateur ou périphérique ne peut ainsi fonctionner que s’il est ajusté à un écosystème informatique qui évolue relativement lentement. C’est la raison pour laquelle, selon Lanier, la singularité technologique est une faribole.

Les capacités computationnelles des machines (hardware) peuvent bien doubler à peu près tous les deux ans (loi de Moore), les logiciels et les algorithmes (softwares) ne suivent pas – sans parler des institutions et des habitudes culturelles, dont Lanier ne parle malheureusement pas. Loin de représenter des merveilles de technologie et d’intelligence, la plupart des logiciels, des sites internet et des applications numériques sont à ses yeux des bricolages mal assurés. Au lieu d’accélérer au rythme des améliorations du hardware, le développement des softwares tendrait même à ralentir, car qui dit puissance de calcul démultipliée dit davantage de risques d’erreurs, la moindre imperfection étant amplifiée exponentiellement (il n’en parle pas, mais on peut penser aux flash crashes).

Les ordinateurs les plus puissants du monde ont beau réaliser plusieurs millions de milliards de calculs par seconde, ils ne sont pas plus « intelligents » que leurs géniteurs, et restent encore beaucoup moins imaginatifs. Lanier rappelle à cet égard que Garry Kasparov n’a pas été vaincu par une machine mais par une équipe de scientifiques capables, au terme de douze années de travail acharné, de traduire en langage algorithmique les éléments les plus objectifs de la pratique des échecs. Comme le résume le joueur d’échec russe, « Deep Blue n’était intelligent qu’au sens où votre réveil électronique est intelligent ».

En nous demandant de traiter les programmes avec lesquels nous interagissons comme des individus, leurs architectes somment en réalité les individus de se comporter comme des programmes. Un moyen très sûr de résoudre le test de Turing – qui consiste à deviner entre deux interlocuteurs cachés lequel est un ordinateur et lequel est un humain –, c’est d’abaisser l’humain au niveau de l’ordinateur, au lieu d’essayer d’élever l’ordinateur au niveau de l’humain. Et pourtant, nous met en garde Lanier, une machine n’est pas une personne, pas plus qu’une personne n’est une machine. Si les machines remplacent le travail qualifié, ce n’est pas parce qu’elles deviennent aussi intelligentes et sensibles que des humains. C’est simplement qu’on estime que ce qu’elles perdent en humanité, elles le gagnent en efficacité. Autrement dit, si nous pouvons assimiler une machine intelligente à un être humain, ce n’est qu’au prix d’un appauvrissement de notre conception de l’humanité.

Pour Lanier, nos activités numériques sont de plus en plus dirigées vers des algorithmes plutôt que vers des humains. Il est probable que des algorithmes prennent en charge la fabrication d’une part croissante des contenus numériques. Les internautes sont ainsi chaque jour davantage incités à se conformer à la logique des ordinateurs. L’expression de soi et la communication avec autrui dépendent de plus en plus de l’adhérence à des standards déterminés par des logiciels. Typiquement, Facebook offre à ses usagers d’exprimer leur individualité en remplissant des formulaires standardisés. Et tant pis pour tout ce qui ne rentre pas dans les cases ou reste intraduisible en termes numériques.

Une telle standardisation des contenus entraîne, selon Lanier, un considérable appauvrissement culturel. À ses yeux, la culture actuelle est en panne, comme condamnée au remixage sans fin des musiques, des émissions de télé et des films des années 1970-1990. On peut certes lui accorder qu’Internet, en rendant facilement accessible des montagnes de films et de musiques, a grandement favorisé la culture du remix et du mash up. Mais Lanier fait preuve d’une certaine mauvaise foi. Internet reposant sur la numérisation du réel, quoi de plus normal que la culture numérique fasse de la culture non numérique sa principale matière première, au moins dans un premier temps ? Il pourrait en revanche s’intéresser à la manière dont l’immense influence de la Silicon Valley sur le web favorise encore davantage l’hégémonie mondiale de la culture américaine.

La sagesse aveugle des foules

Le principe des sites web 2.0, comme Wikipedia, Twitter ou Facebook, c’est que leurs contenus sont produits par leurs usagers. Pour Lanier, le problème du web 2.0, c’est que l’individu y disparaît derrière la foule, et l’auteur derrière une masse informe de contributeurs anonymes. Wikipédia est à ses yeux exemplaire de cette fusion des points de vue singuliers en une vulgate impersonnelle qui se veut d’autant plus vraie qu’elle paraît moins subjective. Le web 2.0 promouvrait ainsi non pas l’intelligence individuelle et l’émancipation personnelle mais l’instinct grégaire, la mentalité de clan et le rejet des opinions contradictoires.

Il est clair, pour Lanier, que la célébration de la sagesse des foules cache en vérité l’apologie de la puissance des machines et du big data, cet ensemble de données si vaste qu’il requiert des méthodes inédites de stockage, d’organisation et de traitement. La foule représente aux yeux des ingénieurs du web 2.0 l’information libérée de ses émetteurs individuels. La masse aux effets si bénéfiques qu’ils révèrent, c’est celle des données. Pour Lanier, au contraire, l’information n’est qu’un produit. Elle n’émane pas des machines qui la moulinent et la distribuent en pièces détachées. Elle a un producteur, et celui-ci est encore souvent un être humain.

Il note à cet égard la conception paradoxale des foules défendues par les grandes entreprises numériques. D’un côté, la foule représente cette force émancipatrice qu’il faut laisser absolument libre. De l’autre, elle se réduit à une collection d’individus dont il faut modeler les moindres conduites au moyen d’incitations permanentes. Alors que les principaux sites internet se vantent d’une totale neutralité auprès de leurs usagers, ils font valoir à leurs véritables clients (les grands groupes leur achetant des données et des espaces de publicité) qu’ils connaissent et manipulent leurs usagers mieux que quiconque.

Lanier aurait pu ajouter à cet égard que les algorithmes utilisés par les principaux sites internet ne se contentent pas de classer leurs usagers selon des régularités statistiques, mais qu’ils influent sur ces usagers de manière à confirmer ces régularités. Ce faisant, ils tendent à créer une réalité qui correspond à leurs standards, quand bien même ces standards ne reposent que sur des réalités quantifiables. Par exemple, plus l’algorithme utilisé par un site de rencontre favorise la formation de certains types de couples et plus ces types de couples ont de probabilité de se multiplier. L’algorithme crée ainsi une réalité conforme à ses présupposés et à ses catégories statistiques (ou plutôt, aux présupposés de ses concepteurs et aux catégories statistiques utilisées par le site).

En somme, au lieu de créer de la nouveauté, les sites internet qui agrègent la majorité des internautes de la planète génèrent des conformités à la chaîne. Et ces conformités se renforcent à mesure qu’elles suscitent l’adhésion, par la simple force du nombre. C’est sans doute quand la logique des foules rejoint ainsi la standardisation performative que ses effets sur le réel sont les plus manifestes – et les plus dommageables. Lanier ne fait, hélas, qu’effleurer cette idée.

Le progrès technologique contre la croissance économique

Quand les économistes parlent du marché du travail, ils tendent soit à sous-estimer le progrès technologique, soit à voir dans les technologies numériques une nouvelle révolution industrielle génératrice de nouveaux emplois.

Au contraire, souligne Lanier, « Internet a détruit plus d’emplois qu’il en a créés. » Certes, les activités de collecte, de stockage, de traitement et de distribution de l’information ne visent plus seulement à faciliter l’échange de biens et de services, mais deviennent elles-mêmes des services de première importance représentant un secteur économique à part entière. Cela ne compense pas pour autant les effets délétères du web sur le marché du travail.

Son dernier ouvrage, presque entièrement consacré à cette question, montre que la numérisation est en train de créer un monde où ce ne sont pas seulement les musiciens, les journalistes et les photographes qui seront au chômage, mais les conducteurs de taxis et de camions, les ouvriers, les employés de bureau, les traducteurs, les juristes, les vendeurs ou encore les enseignants et les médecins. « Une fois que les voitures et les camions seront conduits par des logiciels et non par des humains, que des imprimantes 3D fabriqueront comme par magie des biens hier manufacturés en usine, que de lourds équipements automatiques rechercheront et collecteront les ressources naturelles, et que des robots-infirmières prendront en charge les aspects matériels du soin des personnes âgées », c’est toute la classe moyenne qui se trouvera prolétarisée, tandis que les grands fournisseurs d’accès, les possesseurs des principaux serveurs et les fabricants de robots ou d’imprimantes 3D accumuleront une part croissante des richesses restantes.

 

Cet avenir funeste est en germe dans quatre phénomènes que Lanier tend à entremêler : la napsterisation de l’économie, l’automatisation, l’auto-entrepreneuriat, et le travail en ligne non rémunéré.

En tant que musicien professionnel, Lanier a assisté à la destruction de l’industrie musicale par Napster : une fois devenue consommable gratuitement et reproductible à l’identique à l’infini, la musique a perdu de sa valeur. Et c’est toute la production de musique qui a été démonétisée, mettant en chômage la plus grande part d’une classe moyenne de producteurs de musique, de musiciens et de vendeurs. La crainte de Lanier, c’est que les autres secteurs d’activités où l’on peut encore espérer échanger un bien ou un service contre de l’argent soient ainsi « napsterisés » et que la taille de l’économie s’en trouve toujours davantage réduite.

L’automatisation est, aux yeux de Lanier, la seconde menace qui pèse sur l’emploi. Des économistes comme Keynes et Leontief ont observé que la mécanisation de la production tendait à y réduire la part du travail humain. Mais jusqu’à récemment, la plupart des entreprises qui faisaient des profits et qui investissaient dans des équipements avaient tendance à embaucher. C’est de moins en moins le cas. Les machines ne sont plus seulement de gros calculateurs supplémentés de gros bras. Elles maîtrisent de plus en plus la locomotion, la dextérité, la coordination, le langage articulé, la réflexion et la perception. Ces nouvelles capacités leur ouvrent le champ de l’économie des services et des professions libérales. Ce qui est numérisé pouvant être pris en charge par une machine intelligente, il est à prévoir qu’un monde de plus en plus numérisé soit de plus en plus administré par de telles machines.

La diffusion de l’auto-entrepreneuriat peut également conduire à l’augmentation du chômage. Il s’agit là d’un phénomène distinct de la napsterisation. Par exemple, même si elle est in fine génératrice de licenciements dans le secteur de l’hôtellerie, l’entreprise Airbnb ne démonétise pas le service sur lequel elle repose. Les hôtels sont de moins en moins remplis, mais les personnes en voyage ou en déplacement ne continuent pas moins de payer pour avoir un endroit où dormir. Ils paient simplement de plus en plus des particuliers, au détriment des hôteliers.

Par ailleurs, Lanier oublie que la réduction de la part du travail humain dans les services ne date pas d’internet. Elle peut être facilitée par l’essor des technologies numériques, mais elle obéit à une multitude d’autres facteurs, au premier rang desquels la délégation aux consommateurs de toujours davantage de tâches de production, d’organisation et de contrôle autrefois confiées à des salariés.

Il aurait également pu ajouter que la diffusion de l’auto-entrepreneuriat entraîne indubitablement l’affaiblissement du salariat. L’auto-entrepreneur est en effet soumis à un contrat de fourniture de prestation relevant du marché commercial et n’est plus, dans ce cadre, protégé par le droit du travail.

L’économie numérique repose enfin sur la concentration et l’exploitation de données personnelles (personal data economy). Les serveurs géants que sont Facebook, Google et Amazon sont devenus des sortes de raffineries transformant des flots gigantesques de données en profils individuels, en schémas de comportement et en incitations ciblées. Les profits de ces grands groupes cachent un gigantesque vide comptable. Ce qui fait la valeur des sites qu’ils possèdent, c’est le nombre et le dynamisme de leurs usagers, davantage que les technologies sur lesquelles ils reposent, le travail de leurs salariés ou leur capacité à générer des bénéfices. Et pourtant, de même que nous estimons pouvoir consommer toujours plus de contenus numériques sans avoir à les payer, nous ne nous attendons pas à être rémunérés pour les informations que nous générons quand nous commentons des vidéos, quand nous tweetons, quand nous achetons en ligne ou quand nous postons des messages sur Facebook. Voilà selon Lanier le cœur du problème : les producteurs bénévoles de contenus numériques sont exploités et heureux de l’être.

La solution qu’il propose, c’est de rémunérer les émetteurs d’information et pas uniquement les grands serveurs qui la distribuent. En d’autres termes, il faudrait monétiser les échanges d’information en ligne et rétribuer les internautes à proportion des contenus qu’ils génèrent. Pour ce faire, il imagine une nouvelle comptabilité des activités en ligne qui attribue chaque contenu à un auteur et le protège par copyright, chaque internaute devant payer pour y accéder. Le moindre clic donnerait ainsi lieu à un ou plusieurs « nanopaiements ». Il envisage également que chaque serveur rétribue ses usagers pour les informations qu’il récolte sur eux. Nous sommes en train de tout digitaliser, tout mesurer, tout comptabiliser et tout contrôler, résume Lanier. Il nous faudrait aussi tout rétribuer. Traduire chaque bit et chaque clic en coûts et en bénéfices. Après avoir avalé la télévision, le téléphone, les livres, la musique et les journaux, le web devrait donc avaler le capitalisme.

Le problème, oublie-t-il, c’est que la plupart des internautes produisent des contenus sur des sites qui ne leur appartiennent pas et principalement sous la forme de commentaires. Autrement dit, ils consomment souvent davantage qu’ils ne produisent, et ce qu’ils produisent a généralement moins de valeur que ce qu’ils consomment. Si l’on ajoute à cela le fait que les contenus générés par des algorithmes possédés par les grands serveurs vont se multiplier chaque jour davantage, il est très probable que les internautes, dans leur très grande majorité, gagneront peu et dépenseront plus qu’ils ne gagnent.

Par ailleurs, n’oublions pas que les principaux espaces d’expression numérique sont contrôlés par quelques grandes entreprises. À chaque fois qu’une transaction aura lieu entre deux individus, ces intermédiaires prélèveront leur écot. L’effet de masse jouera ici contre les individus isolés et en faveur des sites qui agrègent la plupart des contenus en ligne. Ce système risque fort de générer des revenus négligeables pour les premiers et colossaux pour les seconds – et il sera de toute façon difficile de convaincre les mastodontes du web sans leur promettre ce genre de bénéfices.

La solution proposée par Lanier pose bien d’autres problèmes et ignore des paramètres aussi fondamentaux que les écarts de richesse d’un pays à l’autre et l’institution de régulateurs indépendants chargés de la bonne marche du système. Mais Lanier a un mérite non négligeable : il met le problème sur la table et propose une ébauche de solution.

Réinstituer l’humain ?

Pour Lanier, « la question la plus importante en matière de technologies de l’information est la suivante : “Dans quelle mesure affectent-elles notre définition de ce qu’est une personne ?” » En l’occurrence, la technologie numérique semble nous transformer en profondeur à mesure qu’une partie croissante de notre culture et de notre environnement se trouve numérisée, que notre survie dépend toujours davantage de notre capacité à manipuler des informations par le biais de machines interconnectées, et que l’art, le droit, l’économie ou encore la politique sont reformulés selon les normes propres à la technologie. Qu’en sera-t-il demain, lorsqu’il deviendra difficile de ne pas accueillir des puces en tous genres dans son organisme ?

La diffusion croissante des technologies numériques, sous couvert de démultiplier nos capacités et nos champs d’action, tend à restreindre de plus en plus notre faculté de décision et notre domaine de responsabilité. Des logiciels nous conseillent ainsi quelles musiques écouter, quels films regarder, quoi manger et où, quoi porter et comment, etc. Seulement, comme nous l’avons vu, ces décisions sont essentiellement basées sur les aspects numérisés et quantifiables de nos existences. En passant l’expérience humaine au tamis de la numérisation, nous en excluons le non-codable, et de ce fait l’appauvrissons gravement. Tel est le dernier reproche que Lanier adresse au web tel qu’il a pris forme depuis une quinzaine d’années.

La technologie n’est qu’un outil au service de l’humain, rappelle-t-il à raison dans son premier ouvrage (de loin le meilleur des deux). Et gare à ceux de plus en plus nombreux qui glorifient les outils numériques comme s’ils constituaient des fins en eux-mêmes. Contrairement à une vue très répandue – entre autres par l’ancien directeur de Google Eric Schmidt –, la technologie n’est ni vertueuse ni corruptrice en elle-même. Elle ne rend ni meilleur ni pire moralement, culturellement ou intellectuellement. Elle tend simplement à rendre nos activités plus efficaces, que l’on gère un camp de réfugiés, que l’on cherche l’adresse d’une pizzeria ou que l’on prépare un attentat.

L’intronisation du principe d’efficacité en valeur cardinale des sociétés occidentales, en lieu et place des principes de justice, de dignité, d’égalité et de solidarité, est l’un des effets les plus saillants et les plus dommageables de ce fétichisme de la technique. Il est regrettable que Lanier ne prenne pas en compte cet aspect des transformations culturelles induites par le développement croissant des technologies numériques, car c’est là aussi que se joue l’avenir de l’humanité. Que faire des êtres humains qui coûtent plus qu’ils ne rapportent ? Si c’est une question de justice, de dignité, d’égalité et de solidarité, la réponse est évidente. Si c’est une simple question d’efficacité, la réponse est tout aussi évidente, mais ce n’est pas la même.

Lanier voit bien que l’ubiquité croissante des technologies numériques au sein des sociétés occidentales peut provoquer leur appauvrissement moral. Au sein des grandes entreprises du web, écrit-il ironiquement, « on trouve des salles remplies de docteurs en ingénierie diplômés du MIT. Ils ne sont pas en train de chercher des remèdes au cancer ou des sources d’eau potable dans les pays sous-développés. Non, ils développent des systèmes qui permettent à des adultes de s’échanger de petites images d’oursons et de dragons sur les réseaux sociaux. » Ce n’est certes pas grandiose, mais c’est toujours mieux, aurait pu préciser Lanier, que de développer l’arsenal militaire américain – tâche à laquelle ces ingénieurs auraient probablement consacré leur intelligence s’ils étaient nés cinquante ans plus tôt.

À cette situation, Lanier propose trois remèdes : rester critique, se méfier de l’hyperspécialisation et garder l’humain au centre du problème.

On peut légitimement trouver cela un peu court. Ainsi, n’est-ce pas la vie dans son ensemble qu’il faudrait sans cesse garder au centre du problème ? Ne faudrait-il pas mettre aussi au jour les agents et les intérêts terriblement puissants qui façonnent l’évolution technologique de l’humain, évolution qu’il est trop commode, et très inexact, d’expliquer uniquement par le jeu en apparence neutre de facteurs impersonnels et de règles objectives ?

On peut également répondre à Lanier que plus notre environnement est garni de technologies et plus il est humain, au sens où la part de ce qui n’a pas été pensé et créé ou modifié par des êtres humains s’y réduit toujours davantage. À mesure que les technologies sont développées et diffusées, le monde n’est donc pas de plus en plus déshumanisé, mais au contraire de plus en plus hominisé. Loin de représenter une grande rupture historique, Internet n’est en un sens qu’un outil de plus dans la panoplie que l’être humain se constitue depuis toujours pour contrôler son environnement.

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3 mai 2015 7 03 /05 /mai /2015 05:51

 

Comment échapper à la confusion politique, demande Serge Halimi ?

En prétendant que « Mme Le Pen parle comme un tract communiste des années 1970 », M. François Hollande a contribué au brouillage des repères politiques en France. La multiplication des alliances entre des Etats qu’a priori tout oppose rend également plus délicate la compréhension des relations internationales. Et l’information accélère sans cesse la cadence, ce qui accroît la confusion ambiante. Dans ce contexte chaotique, comment conjurer les replis identitaires et clarifier les enjeux ?

 

Plus de quatre ans après le début des révoltes arabes et les manifestations planétaires contre l’envol des inégalités – des « indignés » à Occupy Wall Street, l’absence de résultats immédiats et la perte de repères clairs découragent les ardeurs à transformer la société et le monde. Un désenchantement s’exprime : « Tout ça pour ça ? » De vieux partis se décomposent ou changent de nom. Des alliances insolites se multiplient, ce qui bouscule également les catégories politiques habituelles. La Russie dénonce les « fascistes de Kiev » mais accueille à Saint-Pétersbourg un rassemblement de l’extrême droite européenne ; la France alterne proclamations vertueuses sur la démocratie, la laïcité, et soutien redoublé à la monarchie saoudienne ; le Front national (FN) prétend se réjouir du triomphe électoral d’une gauche radicale et internationaliste à Athènes.

 

Rodney Benson fait le point sur quarante ans d’immigration dans les médias en France et aux Etats-Unis :

Emouvant quand il meurt dans un naufrage, inquiétant lorsqu’il perturbe l’ordre public, l’étranger dope toujours l’Audimat. En France comme aux Etats-Unis, le traitement de l’immigration se focalise de plus en plus sur les questions humanitaires et de sécurité, en épousant en général les exigences du calendrier politique.

par, mai 2015

« On a tendance à ne parler des immigrés que sous l’angle du fait divers ou du misérabilisme, à ne les voir que comme des agresseurs ou des victimes  », observait en 1988 Robert Solé, journaliste au Monde. Vingt-sept ans plus tard, la remarque n’a rien perdu de sa pertinence. Et sa validité dépasse largement les frontières françaises.

 

Renaud Lambert est à la recherche du prochain Syriza :

Dans le bras de fer qui l’oppose à Berlin, Athènes cherche des soutiens. L’élection de M. Alexis Tsipras a-t-elle profité à ses alliés potentiels ailleurs en Europe ?

Sur un point au moins, le nouveau premier ministre grec et ses interlocuteurs bruxellois s’accordent : la Grèce ressemble à un domino en équilibre précaire. Chez les seconds, la perspective de son basculement suscitait jusqu’à récemment des images de débâcle financière. Depuis la victoire de M. Alexis Tsipras aux élections de janvier, un autre scénario de contagion les alarme : la propagation de l’idée que l’austérité ne fonctionne pas. Soit précisément ce qu’espère Athènes.

 

… et cherche des points de convergence avec la situation en Irlande :

En Irlande, le parti nationaliste Sinn Féin (allié traditionnel de Syriza) pourrait profiter d’un paysage politique en décomposition lors des prochaines élections législatives. Mais la principale menace pour les politiques d’austérité a pris une forme plus inattendue : le rejet massif d’une taxe sur l’eau courante.

Le 24 juillet 2014, le quotidien britannique The Guardian s’interrogeait sur l’un des mystères de la crise européenne : « Pourquoi les Irlandais réagissent-ils aussi calmement (1). » Longtemps érigé en parangon de réussite libérale (2), Dublin dévisse lors de la débâcle financière : le déficit budgétaire atteint 32 % du produit intérieur brut (PIB) en 2010, du jamais vu. Mais la petite île émeraude conserve son statut de modèle. Non seulement le pays s’impose une cure d’austérité d’une violence rare, mais la population ne descend que rarement dans la rue. En avril 2009, le ministre des finances irlandais Brian Lenihan se félicite : « Nos partenaires en Europe sont impressionnés par notre capacité à endurer la douleur. En France, vous auriez eu des émeutes (3). »

 

Un dossier au joli titre : L’Allemagne, puissance sans désir

« La France serait contente que quelqu’un force le Parlement [à adopter des réformes], mais c’est difficile, c’est la démocratie. » Prononcées le 16 avril dernier par le ministre des finances allemand, M. Wolfgang Schäuble, ces paroles n’illustrent pas seulement le dédain des dirigeants européens pour la souveraineté populaire. Elles soulignent surtout la position de force inédite acquise en Europe par l’Allemagne, qui impose à ses voisins une culture économique centrée sur l’équilibre budgétaire. Mais ce culte conservateur voué au zéro — zéro déficit, zéro dette, zéro tolérance vis-à-vis d’Athènes — masque des fractures profondes à l’intérieur du pays : à propos de la monnaie unique et de l’immigration, de l’industrie militaire ou encore du rapport des femmes au travail. D’autres dissensions, enfin, lézardent la zone euro. Pour combien de temps ?

 

Valls et Macron se sont-ils couchés devant les sociétés d’autoroute (“ Gagnant-gagnant  ? ”)

Après un combat homérique mené au sabre en plastique et suivi d’une retraite en rase campagne, le premier ministre français Manuel Valls s’est félicité de l’accord trouvé avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), le 9 avril dernier. Une décision « gagnante-gagnante », selon le ministre de l’économie Emmanuel Macron.

Gagnants, les usagers et l’Etat le seraient en apparence. Les tarifs n’augmenteront pas en 2015. Les SCA verseront 500 millions d’euros pour améliorer les infrastructures dans les trois prochaines années et investiront 3,2 milliards d’euros dans le cadre d’un « plan de relance autoroutier », probablement urgent à la veille du sommet mondial de Paris sur le climat...

Gagnantes, les sept principales sociétés d’autoroutes le seront assurément. On ne touche pas à l’« équilibre » des contrats. En compensation de leur obole, elles voient leurs concessions prolongées d’au minimum deux ans, reçoivent en cadeau plusieurs tronçons et pourront intégralement répercuter l’augmentation suspendue des tarifs après 2016.

 

 

Kristin Ross étudie la genèse de la Commune de Paris : L’internationalisme au temps de la Commune :

De nombreux historiens ont analysé la Commune de Paris comme un soulèvement patriotique trouvant son origine immédiate dans la confiscation des canons de la Garde nationale en mars 1871. Mais les fondements intellectuels de cette insurrection semblent plus anciens : dès 1868, dans les clubs politiques et les réunions populaires de la capitale, des citoyens en appellent à la « République universelle ».

 

En avril 1871, au plus fort de la Commune de Paris, sept mille ouvriers londoniens organisèrent une manifestation de solidarité avec leurs camarades parisiens, marchant depuis ce que la presse bourgeoise britannique appelait « notre Belleville » – le quartier de Clerkenwell Green – jusqu’à Hyde Park, par un temps épouvantable. Accompagnés d’une fanfare, ils brandissaient des drapeaux ornés des slogans « Vive la Commune ! » et « Longue vie à la République universelle ! ».

 

Selon Akram Belkaïd, Washington est débordé par l’affrontement entre Riyad et Téhéran :

Après un mois de bombardements, la coalition menée par l’Arabie saoudite déclare privilégier une solution politique à la crise yéménite. Pour autant, tout à son bras de fer avec l’Iran, le royaume wahhabite n’écarte pas l’option d’une offensive terrestre contre la rébellion chiite houthiste. Cette perspective inquiète l’administration Obama, qui a du mal à maintenir la cohésion parmi ses alliés.

 

Shervin Ahmadi perçoit un accord qui ouvre le champ des possibles en Iran :

Avant tout, la conclusion d’un accord sur le programme nucléaire iranien représente une victoire pour Téhéran. Certes, le régime a dû reculer sur certains points auparavant présentés comme non négociables : le nombre de centrifugeuses et le taux d’enrichissement de l’uranium. Mais il obtient en échange le statut d’interlocuteur reconnu de l’Occident, en particulier des Etats-Unis. La République islamique voit ainsi se dessiner la perspective de nouvelles coopérations avec ses détracteurs d’hier, d’abord sur le plan économique puis, peut-être, à plus long terme, dans les domaines militaire et politique. Et cela même si rien n’est encore joué et si des divergences majeures subsistent quant à l’interprétation de l’accord de Lausanne, notamment en ce qui concerne le rythme auquel les sanctions seront levées.

 

L’État russe contrôle-t-il Gazprom (“ Gazprom, le Kremlin et le marché ”), se demande Catherine Locatelli ? :

La Commission européenne a enclenché une procédure d’abus de position dominante contre Gazprom. Généralement perçu comme une arme au service de l’influence politique russe, le géant gazier est aussi une entreprise qui évolue sur un marché de plus en plus concurrentiel. Pour des raisons autant économiques que géopolitiques, il cherche à diversifier sa clientèle.

 

Liés par l’histoire, Gazprom et l’Etat russe entretiennent des relations étroites, mais pas fusionnelles. L’entreprise est l’héritière directe du ministère soviétique de l’industrie du gaz, transformé en 1989 en un groupement économique d’Etat soumis au principe d’autonomie financière et de gestion. Son président, Viktor Tchernomyrdine, devient premier ministre en 1992. L’année suivante, il fait de Gazprom une société par actions et ouvre largement son capital. L’Etat reste néanmoins dominant avec 38 % des parts. Devenu président de la Fédération de Russie en 1999, M.Vladimir Poutine réaffirme le contrôle du gouvernement sur ce puissant instrument géopolitique. Il met un proche, M.Alexeï Miller, à la tête de la compagnie, dont l’Etat détient désormais 51 % des parts.

 

Ces dernières années, la dette africaine s’est « métamorphosée » (Sanou Mbaye ) :

La dette africaine mobilise beaucoup d’attention depuis des décennies, tant de la part des institutions financières internationales que des associations réclamant son annulation pure et simple. Si de nombreux Etats du continent se sont désendettés grâce à l’envol du cours mondial des matières premières, d’autres ont connu une évolution inverse et sont menacés par des fonds vautours.

 

Pour Barbara Landrevie, la Méditerranée est empoisonnée :

Au nom de la préservation de l’emploi, l’usine d’alumine des Bouches-du-Rhône a bénéficié d’un très long moratoire pour mettre fin aux rejets de boues rouges dans la Méditerranée. Vingt ans plus tard, la pollution perdure et l’emploi n’a jamais paru autant menacé, faute de solutions durables. Les documents que nous versons au dossier démontrent l’importance de l’enjeu sanitaire.

 

Arsenic, uranium 238, thorium 232, mercure, cadmium, titane, soude, plomb, chrome, vanadium, nickel : voilà quelques composants des « boues rouges » déversées chaque jour par centaines de tonnes dans la mer Méditerranée. Une canalisation construite en 1966 rejette ces déchets à sept kilomètres des côtes, au cœur d’un site remarquable par sa biodiversité, devenu en avril 2012 le parc national des Calanques. En un demi-siècle, près de trente millions de tonnes ont été répandues à deux cent cinquante mètres de profondeur. Elles dispersent leurs éléments toxiques du golfe de Fos à la rade de Toulon, s’ajoutant aux eaux polluées du Rhône.

 

Pour Dominique Hoppe, le tout-anglais coûte cher (“ Le coût du monolinguisme ”) :

Idée reçue : généraliser l’usage de l’anglais dans les organisations internationales permettrait de réaliser de conséquentes économies. L’étude des chiffres relativise cette assertion, qui repose sur une vision partielle et partiale. L’imposition d’une langue unique génère des injustices et des erreurs, alors que la diversité linguistique favorise l’exercice des droits et la vitalité démocratique.

 

Au sein des organisations internationales, la politique linguistique fait l’objet de débats intenses. Bien que les règles statutaires définissent des langues officielles et des langues de travail (six aux Nations unies. vingt-quatre dans l’Union européenne ), un monolinguisme de fait s’impose peu à peu. On évoque, presque sans complexes, une nouvelle langue de communication : l’English lingua franca (ELF). Longtemps présentée comme le résultat regrettable mais inévitable de contraintes budgétaires, cette évolution semble aujourd’hui assumée. Les cultures professionnelles des organisations internationales intègrent désormais la domination de l’anglais, et ses défenseurs affirment même qu’il s’est internationalisé : affranchi des pratiques et représentations des locuteurs natifs, il ne constituerait plus une menace pour la diversité linguistique ou l’équité.

 

Janette Habel explique en quoi « Cuba débat » :

L’annonce d’une visite officielle du président français à Cuba, le 11 mai 2015, a marqué une nouvelle étape du dégel entre La Havane et les puissances occidentales. Déjà, le chef d’Etat cubain Raúl Castro et son homologue américain Barack Obama avaient échangé une poignée de main historique lors du sommet des Amériques, en avril. Une accélération de l’histoire qui suscite quelques interrogations dans l’île...

 

Alexia Eychenne décrit le bagne des domestiques philippine et indonésiennes à Hongkong :

Chaque année, des milliers de domestiques philippines ou indonésiennes immigrées à Hongkong sont licenciées illégalement. Leur faute ? Etre tombées enceintes. Friand de leur force de travail, le territoire refuse qu’elles fondent une famille. Privées d’emploi, elles ont deux semaines pour plier bagage.

 

Gérard Mordillat observe de manière originale l’art contemporain (“ Voir ou avoir ?) :

Cadavres dans le formol, vidéos de filles nues roulées dans la boue : ces audaces très convenues, portées par la valeur financière que leur confèrent des effets de mode, dominent l’art contemporain. Plus discrètement, des peintres continuent, eux, d’affronter la toile pour produire les déflagrations esthétiques et sensorielles à même de nourrir l’œil, le cerveau et tout le corps du spectateur.

 

Lucie Geffroy  donne un exemple de « guérilla littéraire » :

Mettre en échec la logique médiatique, accompagner les luttes altermondialistes, échafauder de nouveaux grands récits pour remplacer les mythes « toxiques » du capitalisme contemporain : la démarche du collectif d’écrivains bolonais Wu Ming connaît un grand retentissement en Italie et au-delà.

 

Pour Mona Chollet , voici venu « le temps des claustrophiles » :

Aux Etats-Unis, M. Jay Shafer a connu la célébrité en 2007 quand l’émission télévisée d’Oprah Winfrey a popularisé son concept de tiny house (« maisonnette »). Il vivait alors au vert dans une habitation de neuf mètres carrés montée sur roues, bourrée d’idées ingénieuses, avec un toit à deux versants et un porche. Structure en bois clair, édredon blanc sur le lit en mezzanine : son design sobre conférait à son intérieur une rusticité élégante. Il avait même réussi à y caser une cheminée. En dix ans, entre son Iowa natal et la Californie, il a vécu dans trois tiny houses qu’il avait dessinées et construites lui-même. Après avoir cofondé en 2002 la Small House Society, il a lancé une entreprise de conception de maisons semblables à la sienne, dont les prix ne dépassent pas 30 000 dollars.

 

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