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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 14:37

Roy Andries de Groot naquit à Londres en 1910, d’un père hollandais, artiste et d’une mère appartenant à la noblesse française. Il fut blessé aux yeux durant la Seconde Guerre mondiale et devint complètement aveugle au bout de 20 ans. Il n’en devint pas moins un très grand critique gastronomique aux États-Unis où il avait émigré en 1941 et acquis la nationalité en 1945.

 

Son livre L’Auberge de l’âtre en fleur (Recipes from the Auberge of the Flowering Hearth), inspiré de l’art de deux cuisinières françaises qui cuisinaient en fonction des saisons, devint un classique outre-Atlantique.

 

Le 16 septembre 1983, il se tira une balle dans la tête à son domicile de Greenwich Village.

 

(Tædium vitæ)

 

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51NXeNL6xKL._AA300_.jpg

 

 

Lorsque Pierre Bérégovoy se suicida, François de Grossouvre confia : « Le suicide est comparable au geste désespéré du rêveur pour rompre son cauchemar. Pour un homme d’État ou un homme public, c’est aussi un message codé. » Quoi de plus clair alors que le suicide par balle d’un 357 Magnum,  dans son bureau de l’Élysée, d’un proche de Mitterrand qui connaissait bien des secrets de la République mais qui était tombé en disgrâce.

 

Il venait de la droite pure et dure, avait même été membre du Service d’ordre légionnaire du collaborateur Darnand avant de rejoindre la résistance. Il avait fait fortune dans le sucre, avait aidé financièrement Giroud et JJSS lors de la fondation de L’Express. Il avait grenouillé au Sdece et avait été l’un des bailleurs de fonds de Mietterrand ans les années soixante.

 

Il fut le parrain de Mazarine Pingeot, dont il protégea l’existence.

 

Deux heures avant de se suicider, il devait se rendre pour le dîner chez un ancien premier ministre gabonais. Il fit envoyer à 18 heures un bouquet de fleurs à la maîtresse de maison avec un petit mot : « Je me réjouis d'être avec vous ce soir ».

 

L'enquête judiciaire, sans expertise balistique, conclut au suicide. Cela dit, le rapport d’autopsie stipulait que le corps présentait « une luxation avant de l'épaule gauche et une ecchymose à la face », alors que le corps de François de Grossouvre a été retrouvé assis dans son fauteuil.

 

Un mystère florentin de plus ?

 

(Impatienta doloris/jactatio).

 

F.de-G.jpeg

 

 

Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770) fut un extraordinaire violoniste.

 

Il devient en1729 symphoniste à l’opéra de Lyon. Par la suite, après être monté à Paris, il officiera dans de nombreux domaines de la musique.

En 1759, il entre au service du roi comme violoniste.

Alors qu'il se rend à Versailles, il se suicide de 14 coups de couteau. Louis-Claude Daquin (le compositeur du fameux “ Coucou ”) a écrit dans sa Lettre sur les hommes célèbres : « Lorsqu'on parle d'un homme plein de feu, de génie et de vivacité, il faut nommer M. Guillemain, Ordinaire de la Musique du Roi ; c'est peut-être le violiniste le plus rapide et le plus extraordinaire qui se puisse entendre. Sa main est pétillante, il n'y a point de difficultés qui puissent l'arrêter, et lui seul en fait naître dans ses savantes productions qui embarrassent quelquefois ses rivaux. Ce fameux artiste est parmi les grands Maîtres un des plus féconds et l'on convient que ses ouvrages sont remplis des beautés les plus piquantes ».

 

(Furor).

 

http://blog.annefuzeau.com/wp-content/uploads/2010/09/exemple11-300x227.jpg

 

 

 

Un mot sur Louis de Guiringaud (que Le Canard enchaîné appelait naturellement Guiringard). Ce diplomate de carrière fut nommé ministre des Affaires étrangères en août 1976 et à nouveau en mars 1977 et avril 1978. En octobre 1978, il tient des propos controversés en rejetant sur les chrétiens la responsabilité de la guerre du Liban et sur les milices chrétiennes la responsabilité de son aggravation.

Il se donna la mort le 15 avril 1982 à son domicile parisien d’un coup de fusil de chasse dans la poitrine. Il n’y eut pas foule d’officiels à son enterrement.

 

(Impatienta doloris).

 

http://www.election-politique.com/images/dirigeants/france_deguiringaud.jpg
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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 13:44

http://www.jabiru-blog.com/images%20Oct%2008/jo-mexico-1.jpg

 

Cette phrase – ou encore « J’espère une place sur la boîte » est désormais proférée régulièrement par les sportifs de haut niveau, les athlètes en particulier. J’ai cru que cela relevait d’une anglicanerie. Apparemment, non. Les Anglo-saxons ne sont pas responsables de tous nos maux.

 

Figurez-vous que la boîte, c’est le podium.

 

Qu’est-ce qu’un podium ? Le mot vient du grec podion, petit pied. Dans les amphithéâtres romains, le podium, situé à plusieurs mètres au-dessus de l’arène, accueillait les grands, ceux qui avaient droit aux places d’honneur. Le sens sportif est apparu en français au début du XXe siècle (monter sur le podium). En anglais, le mot a également le sens très particulier de patte arrière.

 

Aujourd’hui, les athlètes de haut niveau sont le plus souvent des jeunes à Bac + deux ou trois. Ils sont cultivés, ouverts sur le monde. Avilir à ce point la langue française est une douce crétinerie. Leur fantaisie langagière a été évidemment reprise par de grands journalistes, comme l’hystérico-cocardier Patrick Montel. Celui-là même qui ne parle que par clichés : « elle a réussi un départ canon », « il est fréquent » ( ?), « il est présent » ( ?).

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 05:39

http://3.bp.blogspot.com/-1LXReaxmTwQ/TrqWaQc8aUI/AAAAAAAACpE/CGT2fr-yeeI/s1600/filo.jpg« Les plaintes remontent à seize ans en arrière» (« the complaints were filed sixteen years back »). France Info, 26/6/12.

 

Nous sommes dans une anglicanerie au carré, voire au cube. « Les plaintes remontent à seize ans » aurait amplement suffi. Comment voulez-vous que des plaintes puissent remonter à seize ans dans l’avenir ? Il faudrait être un grand journaliste de France Info pour envisager une chose pareille.

 

Cette anglicanerie vient de l’anglais parlé ou d’un anglais écrit peu soutenu. On entend de plus en plus des phrases du style : « il a fait sa communion il y a cinq ans en arrière », la dernière fois que je me suis rendu au Portugal, c’était il y a cinq ans en arrière ».

 

Le passé ne s'exprime pas de la même manière en français et en anglais. C’est ce qui fait tout le charme de l’enseignement de la grammaire anglaise dans le premier cycle et au-delà. Je vous renvoie à vos manuels préférés. « Il y a cinq minutes » se dit en anglais « five minutes ago » (notez que le français utilise le présent pour parler d’un fait antérieur à l’énonciation, alors que le dioula, pour ne parler que de lui, utiliserait le passé, preuve que les universaux ne courent pas les rues). « Ago » vient de « agone » qui signifie « passé » (« gone by »). « Long ago » (« il y a longtemps ») se disait autrefois, de manière soutenue, « in time long gone ».

 

De nos jours, l’anglais un peu moins soutenu utilise (dans certains cas) « back » (en arrière) à la place de « ago ». « His father died five years back (ou ago) » = « son père est mort il y a cinq ans ». Mais alors que l’anglais choisit ou « back » ou « ago », le français contaminé accumule : « son père est mort il y a cinq ans en arrière ».

 

C’est pour cela que France Info est malade.

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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 05:41

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/73/André_Morizet_1921.jpgJuste. En tant qu’adverbe, ce mot a trois utilisations principales :


-       Avec exactitude : « il a vu juste »

-       Exactement, précisément : « juste ce qu’il faut »

-       En quantité à peine suffisante : « il a prévu un peu juste ».

 

Les neu-neux nous infligent désormais l’utilisation anglaise de ce mot : « It’s just impossible » donne « c’est juste impossible » ; « it’s just grand » donne « c’est juste grandiose ».

 

On entend régulièrement cette anglicanerie à Canal+, la télé branchée, mais aussi dans la bouche d’éminences, de droite comme de gauche. Morano en est juste friande, tout comme Duflot ou la si raffinée NKM.

 

En français de France, au lieu de dire « c’est juste idiot », on dirait normalement « c’est (tout) simplement idiot ». Le sémantisme de juste ne recouvre pas celui de simplement. Un calque peut éventuellement produire un enrichissement. Neuf fois sur dix, il produit un abâtardissement et un affaiblissement.


 

En photo : André Morizet, l'un des arrière-grand-pères de NKM, un des fondateurs du parti communiste français. Il pressent qu'une de ses descendantes ne sera pas tout à fait de son bord. Il a l'air juste pas gai.

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26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 05:38

http://www.mathewlynn.com.au/Home_%26_News_files/Pierre%20II%20(detail)%20iWeb.jpgSimon Leys. Le Studio de l’inutilité ; essais. Paris : Flammarion, 2012.

 

Choses promise, chose due (link) : voici donc ma note sur le dernier livre de Simon Leys.

 

Michaux, Chesterton, Conrad, le prince de Ligne, Victor Segalen, Simone Weil, Nabokov, Liu Xiaobo (le Nobel chinois condamné à onze ans de prison pour délit d’opinion qui ne put pas aller chercher son prix à Oslo), Madame Chiang Kai-Shek (Chante, caille tchèque, comme nous disions quand nous étions gosses en nous tenant les côtes). Ils figurent dans ce passionnant recueil d’essais du critique et ancien universitaire belge.

 

Un court passage m’a particulièrement interpellé car l’auteur y formule ce que je ressens depuis des années. Dans l’hommage qu’il rend à la belgitude d’Henri Michaux, il plaide pour la spontanéité en matière de création artistique et contre la « révisionnite » : « Hergé redessina tous les Tintin de la première partie de sa carrière, et, ce faisant, tua la verve et la saveur qui avaient animé le graphisme des planches originales. Plus une œuvre est originale et parfaite, plus elle est vulnérable et risque ultérieurement de subir les mauvais traitements de son géniteur. Une œuvre inspirée est, par définition, une œuvre qui a échappé à son auteur – le danger est donc qu’il veuille la rattraper et qu’il tente maladroitement de rétablir son contrôle sur elle. Nul artiste n’est à la hauteur de ce qu’il a fait de plus beau. » Quand Gilbert Bécaud réenregistre “ La corrida ” ou “ Le pianiste de Varsovie ”, ça ne marche pas (en tout cas, cela n’apporte rien sous le soleil) parce qu’il fait du Bécaud, parce qu’il nous inflige les maniérismes de Bécaud, parce qu’il sait ce qu’il fait. Quand Nina Simone (qui ne parlait pas français) reprend “ Ne me quitte pas ” de Brel, elle réinvente la chanson comme Brel en personne n’a pas été capable de le faire treize ans après sa version originale (même chose pour Ray Charles quand il recrée “ Yesterday ” des Beatles).

 

Le chapitre consacré au Cambodge des Khmers rouges est absolument extraordinaire. Il s’agit d’un compte rendu paru dans la revue Commentaire (la grande revue intellectuelle de droite française, certes) d’un livre de Francis Deron, connaisseur remarquable de l’extrême orient qui, sa vie durant, dénonça le totalitarisme dans cette région et la démission des élites occidentales face à la barbarie ordinaire (ah, Giscard qualifiant Mao de « phare de l’humanité » !). Un petit exemple de la lâcheté française : « Lorsque les Khmers rouges entrèrent à Phnom Penh, de nombreux cambodgiens se réfugièrent à l’ambassade de France. Mais les Khmers rouges vinrent bientôt exiger qu’on les leur livrent tous, à l’exception de ceux qui détenaient un passeport français. Et ils menacèrent le chargé d’affaires ; s’il refusait d’obtempérer à cet ordre, l’ambassade serait envahie et tous ses occupants arrêtés. Pour sauver au moins les quelques deux cents Français et autres étrangers qui avaient trouvé refuge à l’ambassade, le chargé d’affaires livra tous ses hôtes cambodgiens aux Khmers rouges – les envoyant ainsi à la mort. Décision atroce ; mais qu’aurait-il pu faire d’autres, et qui oserait le juger ? Toutefois, un journaliste français, pour sauver une Cambodgienne, suggéra d’épouser la jeune femme (qu’il ne connaissait pas) sur le champ. Le chargé d’affaires refusa de procéder à cette formalité car il savait que le journaliste était marié, et la loi prohibe la bigamie. »

 

Il y a un fort tropisme de droite chez Simon Leys. Bien sûr ses essais sont littéraires et, comme on dit, il ne fait pas de politique. Il entretient cependant depuis plusieurs années une correspondance avec Michel Déon, grand écrivain, mais Hussard d’extrême droite et célèbre évadé fiscal. Sans parler de sa (récente) fascination pour Jünger et de sa lointaine admiration pour Chardonne. Dans un autre registre, son portrait de la femme de l’ancien dictateur de Formose est assez complaisant : « séduisante, brillante, charmeuse, sociable, éloquente, polyglotte, cosmopolite », […] elle connut enfin ce qui semble avoir été une retraite sereine et contemplative, loin des tempêtes du siècle ». N’en jetez plus. Leys fut ébloui par sa rencontre avec cette dame assurément hors du commun. Une de mes vieilles amies étasuniennes garde un autre souvenir de sa propre rencontre avec l’épouse du dictateur formosan : un jour qu’elle déambulait dans un faubourg de la capitale, un fort cortège d’automobiles véhiculant Madame Chiang fonça vers l’endroit où elle se trouvait, sans se soucier des Chinois qui avaient le malheur de se trouver sur son passage. La voiture présidentielle heurta un pauvre bougre qui se retrouva sur le capot avant de tomber par terre. Madame Chiang fit arrêter son véhicule, cria que l’individu l’avait sali, et un soldat de l’escorte abattit instantanément l’homme d’une balle dans la tête.

 

Je voudrais terminer sur des pages qui m’ont profondément ému, celles du discours que Simon Leys prononça à l’université catholique de Louvain lorsqu’il reçut le titre de docteur honoris causa. Plus encore que les universitaires de mon âge, Leys appartient au monde perdu des dinosaures appartenant à la dernière génération pour laquelle l’université fut un espace de liberté. Raison pour laquelle il s’est retiré six ans avant terme d’une institution qui « s’éloignait de plus en plus du modèle auquel il avait consacré [son] existence ». Je souscris pleinement à sa définition de ce que doit être – et ne sera sans doute plus jamais – l’université : « L’université a pour objet la recherche désintéressée de la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences, l’extension et la communication du savoir pour lui-même, sans aucune considération utilitaire. » Les étudiants ne sauraient être des clients. L’université idéale, selon Leys, n’est autre que le Collège de France puisque les enseignements qu’il délivre ne mènent à aucune profession en particulier et ne font l’objet d’aucun diplôme. En d’autres termes explique Leys, l’université ne peut être utile que si, en apparence, elle est inutile. Mais de Canberra à Varsovie en passant par Paris, les étudiants sont devenus des autoentrepreneurs et les enseignants des PME à eux tout seul.

 

Là est la contradiction de Simon Leys : ses amis, ceux dont il se sent proches idéologiquement parlant, sont justement de brillants esprits qui, comme lui, tournent autour de Commentaire, revue fondée à la fin des années soixante-dix par Raymond Aron car il s’inquiétait de la « perspective de l’arrivée de la gauche socialiste et communiste au pouvoir. » Parmi ces têtes implacables, on trouve (ou l’on a trouvé) Podhoretz, Fukuyama, Giscard, Baverez, Chevrillon, Fumaroli, Vargas Llosa. Chacun à sa manière milite pour une université entreprise et pour l’entreprise gouvernant l’université.

 

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 10:54

http://www.linternaute.com/television/programme/dossier/nouvelle-star-les-phrases-chocs-du-jury/image/anglicisme-34932.jpgJ’ai failli intituler cette série « Anglicâneries », avec un accent circonflexe. Mais je n’ai pas voulu accabler les neu-neux.

 

Les plus anciens de mes lecteurs savent qu’il y a deux ans, j’ai beaucoup alimenté internet avec les problèmes de l’aliénation linguistique : link.

 

L’âge n’aidant pas, je fatigue un peu, alors je vais faire plus léger avec cette nouvelle série, et j’espère que mon lectorat enthousiaste m’aidera à l’alimenter. Je vais évoquer, à partir d’exemples précis, les circonstances où les Français parlent en anglais sans le savoir (ou en le sachant), et donc imposent des calques anglais à la langue de Molière. Si des lecteurs peuvent m’aider avec l’espagnol, l’allemand, l’italien etc., je suis preneur.

 

Penser dans une autre langue, c'est s'aliéner, se déculturer. Le bouquet (le peak, devrais-je dire) vient sûrement d'être atteint par cette université italienne qui a décidé que tous ses cours seraient dispensés en anglo-américain. Que des membres d'une telle élite, appartenant à une telle culture ait pu se lancer dans cette entreprise en dit long sur l'inféodation des compatriotes de Dante au Wall Street English.

 

Comme premier exemple : une anglicanerie sortie récemment dans le RER. Avant l’arrivée de tel ou tel train, des panneaux affichent désormais « Train de Saint-Germain-en-Laye à l’approche ». Le calque est bien sûr « Train approaching ».

 

Pour se persuader à quel point cette formulation est crétine, imaginons à Roissy : « Avion de Dakar à la descente » ou « Avion de New York à la montée ».

 

« Arrivée imminente » ne convenait naturellement pas aux esprits supérieurs de la SNCF.

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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 14:16

Le Grand Totor, who else ? Déjà l’un des héros d’une précédente série, bien sûr, link.

 

« S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ». Non, ce n’est pas d’Eddie Mitchell. C’est tiré d’“ Ultima Verba ” (Les Châtiments), douloureux poème de l’exil. Seize quatrains en alexandrins, des rimes croisées. Quel souffle ! Les Châtiments, dominés par la polémique et la satire. Face au coup d’État de Napoléon le Petit, face à la tyrannie, Hugo écrit et choisit l’exil. D’abord Bruxelles, puis les îles anglo-normandes. Sa haine pour Napoléon III est inextinguible. Le plus grand écrivain français va passer vingt ans hors de son pays. Pas dans les mêmes conditions que Déon ou Houellebecq.

 

C’est un texte en “ je ”, mais Hugo écrit aussi pour tous les autres proscrits : « Si l’on est plus que mille, eh bien j’en suis ! »

 

 

La conscience humaine est morte ; dans l’orgie,

Sur elle il s’accroupit ; ce cadavre lui plaît ;

Par moments, gai, vainqueur, la prunelle rougie,

Il se retourne et donne à la morte un soufflet.

 

La prostitution du juge est la ressource.

Les prêtres font frémir l’honnête homme éperdu ;

Dans le champ du potier ils déterrent la bourse ;

Sibour revend le Dieu que Judas a vendu.

 

Ils disent : – César règne, et le Dieu des armées

L’a fait son élu. Peuple, obéis, tu le dois ! –

Pendant qu’ils vont chantant, tenant leurs mains fermées,

On voit le sequin d’or qui passe entre leurs doigts.

 

Oh ! tant qu’on le verra trôner, ce gueux, ce prince,

Par le pape béni, monarque malandrin,

Dans une main le sceptre et dans l’autre la pince,

Charlemagne taillé par Satan dans Mandrin ;

 

Tant qu’il se vautrera, broyant dans ses mâchoires

Le serment, la vertu, l’honneur religieux,

Ivre, affreux, vomissant sa honte sur nos gloires ;

Tant qu’on verra cela sous le soleil des cieux ;

 

Quand même grandirait l'abjection publique

À ce point d'adorer l'exécrable trompeur ;

Quand même l'Angleterre et même l'Amérique

Diraient à l'exilé : –Va-t'en ! nous avons peur !

 

Quand même nous serions comme la feuille morte,

Quand, pour plaire à César, on nous renierait tous ;

Quand le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte,

Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;


 

Quand le désert, où Dieu contre l'homme proteste,

Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;

Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,

Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;

 

Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,

Calme, le deuil au coeur, dédaignant le troupeau,

Je vous embrasserai dans mon exil farouche,

Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !

 

Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;

Bannis, la République est là qui nous unit.

J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte ;

Je jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit!

 

Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,

La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !

Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,

Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.

 

Devant les trahisons et les têtes courbées,

Je croiserai les bras, indigné, mais serein.

Sombre fidélité pour les choses tombées,

Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !

 

Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,

O France ! France aimée et qu'on pleure toujours,

Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,

Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,

France ! hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.

Parmi les éprouvés je planterai ma tente :

Je resterai proscrit, voulant rester debout.

 

J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,

Sans chercher à savoir et sans considérer

Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,

Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.

 

Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis !

Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;

S'il en demeure dix, je serai le dixième ;

Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !

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20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 06:07

On passera rapidement sur les deux Goe-Goe nazis, Joseph et Hermann.

 

Goebbels fut très complexé par son infirmité. À l’âge de quatre ans, il est frappé par une ostéomyélite (pourrissement des os). Une opération échoue et il portera à vie un appareil orthopédique. Il sera extrêmement dépité d’être réformé alors que ses deux frères participeront à la guerre de 14-18.

 

 

Il fut un étudiant brillant en philologie (universités de Fribourg et de Heidelberg). Il obtient un doctorat en 1921 sous la direction d’un professeur juif. En 1923, il publie Michael, un roman d’inspiration autobiographique, qui est loin d’être mauvais.


 

Durant la montée en puissance du parti nazi, il veut des nationalisations à tout va, la suppression de la propriété privée, et il se prononce rapidement pour l’extermination du peuple juif.

 

Son Journal (29 volumes) est le témoignage les plus extraordinaire des arcanes du système nazi.

  

Goebbels parlait couramment le français. Il n’eut donc aucun mal pour converser avec Fernandel un peu avant la guerre :

 

http://images2.hiboox.com/images/0309/diapo03f41cb2c6470d9fdc33b7556631560c.jpg?27

 

Après la mort de Hitler et après avoir vainement tenté d’obtenir des pourparlers séparés avec les Soviétiques, il suicida ses enfants avec de la strychnine et se fit abattre en compagnie de sa femme par un SS.

 

 

Goering fut un grand aviateur de la Première Guerre mondiale mais un type profondément inculte, quoique très drôle. Il était béat devant Hitler au point, disait-il, de faire dans sa culotte chaque fois qu’il le rencontrait. 

 

Son parrain, qu’il admirait profondément, était juif, et son frère cadet ressemblait étrangement à ce parrain. Lors du putsch de la brasserie de 1923, il est sérieusement blessé et sauvé par le propriétaire de cette brasserie, qui était juif, lui aussi. Goering l’épargnera par la suite. Ses blessures l’amèneront à consommer de la morphine jusqu’à sa capture. Il deviendra un des plus grands pillards d’œuvres d’art de tous les temps. Comme commandant de l’armée de l’air, il fut nul et Hitler le releva de toutes ses fonctions.

 

En grand mégalo, il se suicidera « comme le grand Hannibal », après avoir été condamné à mort par le Tribunal de Nuremberg, .

 

http://i31.servimg.com/u/f31/11/02/60/18/goerin10.jpg

 

 

Nicolas Vassiliévitch Gogol est né en 1809 en Ukraine. Ses premières œuvres sont éreintées par la critique. Il va se cacher en Allemagne sans évoquer ses débuts littéraires. En 1831, il est présenté à Pouchkine qui l’encourage à persévérer. Un premier recueil de nouvelles fantatstiques et drôles, Les soirées du Hameau, rencontre un réel succès. Tout comme Le Journal d’un fou en 1835, ainsi que sa pièce Le Revizor. Il séjourne ensuite en France et en Italie.

 

Sur une idée de Pouchkine (dont la mort va l’ébranler profondément), il écrit Les âmes mortes, son chef-d’œuvre. Il devient de plus en plus mystique et réactionnaire. En 1852, refusant toute nourriture, il se laisse mourir. Il pesait trente kilos.

 

Gogol a eu une grande influence dans la littérature russe de la seconde moitié du xixe siècle, par exemple sur Dostoïevski qui aurait dit : « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol. » 

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2d/Gogol_karandash.jpg/220px-Gogol_karandash.jpg

 


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18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 14:17

Dans un ouvrage très intéressant sorti récemment et dont je rendrai compte incessamment sous peu (Le Studio de l’inutilité), Simon Leys consacre un chapitre à George Orwell (“ Orwell intime ”). Ce texte rédigé à l’occasion de la publication de divers ouvrages consacrés à Orwell outre-Manche n’a pas la puissance de son livre paru en 1984 : Orwell, ou l’horreur de la politique. Emprunté directement à Orwell lui-même (« the horror of politics »), ce titre signifiait qu’Orwell, né en 1903 et ayant connu sa maturité personnelle et politique dans les années trente, était effrayé par ce qu’était devenue la vie politique dans les pays totalitaires, mais aussi dans les pays démocratiques, chaque fois que des citoyens libres – des intellectuels ou des créateurs en particuliers – écoutaient les sirènes qui chantaient à Berlin, à Moscou ou à Madrid les louanges de tyrans bellicistes, de partis uniques, de systèmes dogmatiques.

 

Il faut dire que Simon Leys avait quelque autorité en la matière. Cet éminent sinologue avait publié en 1971 Les Habits neufs du président Mao où il montrait que les prétendues luttes idéologiques censées faire progresser l’humanité à pas de géant dans les années soixante en Chine n’étaient en fait que de sordides luttes pour le pouvoir qui réduisaient le pays à la misère noire, le tout accompagné par des massacres à échelle inhumaine. Leys prenait le contre-pied d’intellectuels européens dont beaucoup ne s'étaient jamais rendus en Chine et dont aucun ne connaissait le moindre mot de mandarin (Macchiochi, Ivens, Barthes, Sollers etc.), mais qui présentaient la « pensée Mao Tsé Toung » et la société chinoise comme des modèles indépassables.

 

Dans son chapitre consacré à Orwell, Leys écrit ceci :

 

« Contrairement à ce que divers commentateurs ont pu croire, le fait qu’Orwell ait adopté un pseudonyme fut un pur accident et n’entraîna pour lui aucune signification particulière ».

 

 Leys a la grande honnêteté de préciser que lui-même a cru à cette prétendue fable, et donc qu’il n’y croit plus.

 

La remarque de Leys vérifie ce que je crois depuis quarante ans : un chercheur ne cherche qu’une seule chose : lui-même. Qu’ils soit un spécialiste de trigonométrie, des peintres du quattrocento ou des anacoluthes.

 

Ici comme ailleurs, Leys ne nous parle que de lui, et il reporte sur Orwell (qui n’y peut mais) le problème qu’il a pu connaître par rapport à sa propre prise de pseudonyme.

 

On ne saurait se débarrasser d’une pichenette aussi désinvolte de l’un des actes les plus importants posés par Orwell au cours de sa vie. Comme j’ai tourné autour de ce problème pendant des années, je me permets de citer brièvement la thèse et le livre que j’ai consacrés à l’auteur de 1984 :

 

« Dans Dans la dèche (Down and Out in Paris and London) et dans les pages qui lui sont contemporaines, nous sommes en présence de trois strates d'Orwell : l'individu (Eric Blair), un narrateur (souvent «je») et l'auteur en devenir, producteur d'une œuvre, mais aussi d'une persona («George Orwell»). Cet auteur n'utilisera définitivement son pseudonyme que cinq ans après ses débuts en littérature.

 

Lorsqu'un écrivain use d'un nom de plume, il officialise la coupure que le discours littéraire établit entre l'instance productrice, sociale et l'instance énonciative. Signer d'un pseudonyme c'est constituer et poser à côté du «je» biogra­phique un sujet qui n'existe que par l'œuvre, que dans l'œuvre et que par l'institution littéraire. Donc aussi par les lec­teurs. De toutes les propriétés qui font qu'un individu s'assume, est défini comme écrivain, l'utilisation d'un pseudonyme permet d'isoler une seule d'entre elles, celle d'«écrire» sous l'identité d'un nom propre.

 

George Woodcock, ami d'Orwell pendant la guerre, fut un des tout premiers à tou­cher du doigt le délicat problème de création littéraire et de responsabilité auctorielle chez l'auteur de 1984. La thèse de Woodcock est qu'Orwell a «déguisé» Blair de diverses manières pour le métamorphoser en un personnage littéraire et lui faire vivre, avant de les ra­conter à sa manière, les aventures de son choix : Pour Woodcock, le «je» de Dans la dèche à Paris et à Londres et du Quai de Wigan n'est pas plus George Orwell que “Marcel” n'est Marcel Proust. C'est pourquoi, toujours selon Woodcock, il ne faut jamais prendre les pages autobiographiques d'Orwell pour argent comptant, Orwell ne se référant à ses propres expé­riences que pour défendre un point de vue moral, social ou politique. L'analyse de Woodcock est pénétrante mais appeler l'exemple de Proust à la rescousse ne me semble pas pertinent dans le cas d'Orwell. En premier lieu, Orwell ne peut prendre en charge Blair (puisque le second préexiste au premier), ne saurait exister sans lui, hors de lui, et que, dans le procès d'écriture, de création et d'affirmation de la personnalité littéraire, l'existence d'Orwell implique la disparition ou, tout au moins, l'effacement partiel ou total de Blair. En outre, Marcel est, pour reprendre l'expression de Gérard Genette, un « narrateur qui va écrire » « narrateur qui va écrire » ou encore qui finit par devenir écrivain. »

 

Avant de poursuivre, je mentionnerai une donnée qui n'a rien d'anecdotique : sur la tombe d'Orwell figure la mention 

Eric Blair

1903-1950

 

Dans cette tombe, on trouve en effet la dépouille d'Eric Blair, pas celle de George Orwell.

 

L’utilisation d’un pseudo n’est pas une marque de modestie : c’est une expansion de l’ego.

 

Qui dit pseudo dit clivage, dédoublement. Le pseudo d’Yves Montand était un hommage indirect à une expression que sa mère serinait. Le romancier Jacques Laurent signait ses livres alimentaires, ceux qui visaient au commercial, “ Cécil Saint-Laurent ” et ses livres “ sérieux ” Jacques Laurent. Quand Jean-Jacques Goldman écrivait pour Patricia Kaas ou Florent Pagny, il signait d’un pseudo. Mais il signait de son nom les textes qu’il chantait lui-même. Gilbert Bécaud prit comme pseudo le nom du compagnon de sa mère, qu’il considérait comme son vrai père ; et il fit de son deuxième prénom le premier.

 

Chacun de ces exemples montre que nous sommes dans le manque ou dans l’incomplétude. Il y a en permanence, chez tout individu, une béance à obturer, ce que les lacaniens appellent une fente. Nous nous ressentons comme finis et nous sommes imparfaits, aux sens de non achevés et de non parfaits. Cette imperfection peut être comblée par ce que Rimbaud appelait « l’autre » (quand j’écris, de mon nom ou d’un autre nom, « “ je ” est un autre »). Il y a alors désir d’une ou de plusieurs identifications successives. Attention, un chauffeur routier de 130 kilos qui signe “ Mirabelles ” n’est pas aliéné comme celui qui se prend pour Napoléon. Il y a simplement reconnaissance d’une part de lui-même (qui peut être alimentée par de l’humour au 17è degré) qui l’augmente en tant que sujet.

Méfions-nous des justifications a posteriori. Lorsque Patrick (ou Maurice, selon les sources) Benguigui disserte de manière un peu désinvolte sur son pseudo “ Bruel ” en demandant « Qui voudrait passer pour le fils de Jean Benguigui ? », il botte en touche. Quand Philippe Fragione explique qu’il comprit très tôt qu’il ne ferait pas carrière dans le rap avec son nom et son prénom, et qu’il prit donc le pseudo d’Akhenaton, il ne nous permet pas d’accéder à son vrai désir. Quand Björk Guðmundsdóttir nous dit que son patronyme était trop compliqué pour être gardé, elle nous cache quelque chose de très profond par rapport à son père (son patronyme signifie “ fille de Guðmunds ”). Le problème est-il de même nature pour Charles Aznavour lorsqu’il supprime le “ ian ” de son nom (“ fils de ” en arménien) ? Lorsque Marie-Hélène Gauthier choisit pour pseudo “ Mylène Farmer ”, ce n’est pas uniquement pour des raisons de commercialisation. Bernard Lavilliers s’appelle Oulion. Bon, d’accord, il y avait urgence, mais pourquoi “ Lavilliers ” (l’homme des villes ?) ? Lorsque Hervé Forneri choisit le nom de scène “Dick Rivers”, sait-il que cela peut signifier “ Rivières à Bites ”, en d’autres termes, l’appel du fantasme américain est-il plus fort que tout ? Et Chantal Goya, qui s’est époumonée pour quatre générations de bambins, qu’aurait-elle fait de son vrai nom Chantal de Guerre ? Cela dit, qu’a-t-elle à voir avec “Goya” ?

Pour approfondir mon questionnement, je citerai Victor Hugo et George Orwell. Que nous dit celui qui risqua réellement sa vie pour ses écrits ?

« Il vient une certaine heure dans la vie où, l’horizon s’agrandissant sans cesse, un homme se sent trop petit pour continuer à parler en son nom. Il crée alors, poète, philosophe ou penseur, une figure dans laquelle il se personnifie et s’incarne. C’est encore l’homme, mais ce n’est plus le moi. »

Hugo étant ce qu’il était, on comprend fort bien qu’il se soit senti « trop petit ». Orwell pose le même problème, mais en creux :

« On ne peut écrire quoi que ce soit de valable si on ne gomme pas sa propre personnalité ».

L’auteur de 1984 a dit et répété qu’il avait pris un pseudo pour protéger sa famille, pour lui témoigner des égards et pour atténuer ses rapports contradictoires avec la bourgeoisie. Certes, mais le choix du nom d’une petite rivière du Suffolk et d’un prénom à la fois royal et prolétaire n’explique pas tout car il ne fait que renvoyer à la biographie. Idem pour Hergé, le père de Tintin, qui descendait, peut-être par les croisées et non les croisés, d’un aristocrate belge.

Le domaine de la littérature offre de nombreux cas de figure. L’œuvre d’Honoré de Balzac pose un problème passionnant, quasiment énigmatique : on passe sans transition de livres médiocres, de productions commerciales (que Balzac qualifiait lui-même de « cochonnerie littéraire » et qu’il signa de pseudonymes pseudonymisants, “ Lord R’Hoone ”, par exemple) aux Chouans, chef-d’œuvre qui ne sera suivi exclusivement que de chefs-d’œuvre. Honoré Balzac s’aristocratisa en prenant un pseudo crédible au moment précis où il se mit à écrire de la grande littérature.

Nombre d’écrivains ont choisi de signer leurs œuvres d’un pseudonyme, parfois pour des raisons de sécurité : Jean Bruller avait adopté le nom de “ Vercors ” aux Éditions de Minuit (qu’il fonda en 1941) pendant la Seconde Guerre mondiale, tout comme François Mauriac qui publiait sous le nom de “ Forez ”. Les écrivains résistants prirent souvent des noms de région de France comme pseudonyme. Philippe Joyaux dit avoir signé d’un nom de plume (“ Sollers ”) pour préserver sa famille et marquer sa singularité par rapport aux siens. Parce qu’il était Conseiller d’État, Erik Arnoult devint “ Orsenna ” en écriture pour ne pas impliquer sa charge, mais aussi pour assumer une double personnalité. Après avoir utilisé des pseudos ridicules (“ Louis Alexandre Bombet ”, ou “ Anastase de Serpière ”) Henri Beyle, en haine de son père, signa “ Stendhal ” (du nom d’une ville allemande où il avait connu une folle passion). Ces écrivains échappaient clairement à l’état civil. À l’inverse de la comtesse de Ségur (née Rostopchine), fille de l’incendiaire de Moscou lors de l’entrée des troupes de Napoléon : en signant du nom de son mari volage, elle se donna une identité d’écrivain français, elle qui descendait de Genghis Khan.

Il est des pseudos qui n’en sont plus, s’ils l’ont jamais été. Ainsi “ Saint-John Perse ” pour le diplomate Alexis Léger. Il est des pseudos parfaits, tel celui d’“ Antoine Volodine ”, qui n’est pas plus russe que Simon Leys, dont on ne connaît ni le nom, ni le lieu et la date de naissance (il a également signé “ Elli Kronauer ”, “ Manuela Draeger ” et “ Lutz Bassmann ”).

Utiliser un pseudo est un geste esthétique qui crée de l’identité et du mystère. L’auteur nous livre un double qui n’est pas totalement lui-même. René Lodge Brabazon avait un état civil peu banal : un prénom français, alors qu’il n’avait aucune racine française, et un patronyme fleurant au plus haut point l’anglicité. Il ne mit jamais les pieds aux États-Unis, mais écrivit des polars inoubliables sous le nom de James Hadley Chase, un dictionnaire de slang étatsunien sur sa table de travail. Sans parler d’un des plus grands mystères – résolu – de la littérature française d’après-guerre : l’écrivain totalement inconnu “ Émile Ajar ” obtenant le Goncourt en 1975 alors qu’il l’avait déjà obtenu en 1956 sous le pseudonyme de Romain Gary. Le romancier avait fait un pied de nez extraordinaire au petit monde germano-pratin, à commencer par cette journaliste littéraire du Monde qui était allée interviewer “ Ajar ” (en fait, un neveu de l’écrivain) à Copenhague. Et pourtant, la clé du mystère crevait les yeux, Gary et Ajar signifiant respectivement en russe “ brûle ” et “ braise ”. Gary s’était peut-être inspiré de la mystification de Prosper Mérimée qui avait inventé la dramaturge espagnole “ Clara Gazul ” dont il avait écrit les neuf pièces de théâtre. “ Gazul ” et “ Ajar ” avaient une dimension ontologique évidente : ils étaient de grands écrivains, donc ils existaient.

De ce même point de vue ontologique, le cas de George Sand est également intéressant : elle prend un prénom masculin pour faire croire qu’elle est un homme (comme la grande romancière anglaise George Eliot ou comme Madeleine de Scudéry qui signe sous le nom de son frère Georges qui, lui, fait comme si de rien n’était), mais, surtout, elle s’affuble d’un patronyme roturier alors qu’elle est noble. Inversement, Isidore Ducasse (un nom qui fleure bon le pays ch'ti) se fera passer pour “ Le comte de Lautréamont ” (pseudo qu'il n'utilisera qu'une seule fois). Paul-Pierre Roux se sanctifiera sous le nom de “ Saint-Paul Roux ”. Pierre Louÿs (en fait Pierre Félix Louis) changera de sexe en se faisant passer pour une femme de l’antiquité grecque (“ Bilitis ”), tout comme Raymond Queneau qui s’inventera en la romancière irlandaise “ Sally Mara ”. Lesbienne, Lucy Schwob prendra un autre patronyme juif que le sien : “ Cahun ”, et un prénom bisexué : “ Claude”. Georges-Marie Huysmans laissera entendre qu’il est hollandais (“ Joris-Karl ”). Malade, le Suisse Frédéric-Louis Sauser voudra renaître tel un phénix (“ Blaise Cendras ”). Cet expert en mystifications fera croire à Pierre Lazareff, directeur de France-Soir, qu’il avait effectué un grand reportage (fort bien payé) à travers toute la Sibérie alors qu’il était resté dans sa chambre. Lazareff ayant flairé une possible arnaque, Cendras lui répliquera : « L’important n’est pas que j’y sois allé ou pas, l’important est que tu y aies cru. »

Esthétique, ontologique, le pseudo relève d’une démarche concrète qui suit une prise de conscience. Signer d’un pseudo revient à couper l’auteur, l’instance énonciative du producteur social. C’est poser devant le “ je ” biographique un sujet qui n’existe que par l’énoncé, que dans l’énoncé. Raison pour laquelle certains blogueurs, certains intervenants sur internet, sont amenés à utiliser divers pseudos à mesure qu’ils proposent des productions différentes. Rien ne dit, d’ailleurs, que l’on soit moins personnel lorsqu’on utilise un pseudo que quand on signe de son vrai nom : ce que Frédéric Dard signa “ San Antonio ” était tout aussi authentique que ce qu’il signa Frédéric Dard. Ce que permet le pseudo, c’est d’isoler l’acte d’écrire parmi toutes les propriétés qui font qu’un individu s’assume en tant que personne publique. Lorsque Jean Dupont signe “ Tartempion ”, il donne en fait à lire un “ il ” au second degré, un “ il ” retourné, un “presque moi”.

Le critique et théoricien Jean Starobinski disait que lorsqu’un auteur revêt un pseudo, nous nous sentons « défiés » car l’auteur se « refuse à nous » qui voulons savoir. Prendre un pseudo, c’est se créer une « identité imaginaire » (S. Hynes) à laquelle nous, récipiendaires, ne pouvons pas avoir totalement accès.

Le pseudo est un masque. Porter un masque (d’écriture ou non), c’est produire un repoussé que l’on affirme, que l’on martèle du dedans et qui nous aide à créer une persona qui n’est autre que l’enveloppe du discours. Julien Gracq disait que Céline (pseudo, prénom de sa grand-mère et de sa mère, hum-hum !) s’était « mis en marche derrière son clairon en vociférant ». Utiliser un pseudo, c’est se mettre en marche derrière son masque. Roland Barthes expliquait que le masque/pseudo n’avait rien d’original puisque tous les écrivains et écrivants s’affublaient d’un masque, ce qu’il appelait « les différentes pelures d’oignon ». Enlevez un masque chez un auteur et vous tomberez sur un autre masque.

Pourquoi ce problème à l’infini ?

Parce que, lorsque nous écrivons, nous mettons en branle au moins trois strates de nous-même. Il y a l’individu, disons « Jean Dupont », puis l’instance narrative (le “ Jean Dupont ” écrivant, distinct de l’individu : il est gai, mais écrit quelque chose de triste) et l’image que “Jean Dupont” veut donner de lui aux gens qui vont le lire. À l’intérieur de ces strates, il y a forcément des sous-strates, tout cela évoluant avec le vent, la pluie, le contexte, les rages de dents etc.

Prendre un pseudo, c’est aussi déplacer le lieu d’où l’on parle. C’est vouloir – sans y parvenir jamais totalement – effacer ou faire oublier ses goûts, ses conceptions, ses manières, son origine, son éducation. C’est le signe d’une volonté de transformation, plus importante que le jeu de cache-cache.

Pour les linguistes (voir Oswald Ducrot, Le dire et le dit), tout locuteur se dédouble en un locuteur en tant que tel (le locuteur considéré du seul point de vue de son activité énonciative) et un locuteur en tant qu’être au monde, en tant qu’un être du monde. Ces deux instances ne doivent pas se dissocier. L’utilisateur du pseudo souhaite donc, non seulement, que l’individu et le producteur ne fassent qu’un, mais aussi que l’énoncé et l’image de l’énonciateur se confondent.

Ça marche plus ou moins…

 

À tout seigneur tout honneur, nous terminerons avec Simon Leys. Lorsqu’il publia L’horreur de la politique, je résidais en Afrique de l’Ouest. J’eus alors le bonheur d’engager avec lui une brève correspondance à propos de son livre et d’Orwell. Leys signa ses lettres “ Pierre Ryckmans ”. Selon Wikipédia, Pierre Ryckmans choisit comme pseudo « Leys » en référence au personnage du roman de Victor Segalen, René Leys, publié en 1922 ; et comme prénom « Simon », référence au nom originel de l'apôtre Pierre. Or le personnage de René Leys, par son ambiguïté, n’a pu que nourrir un fantasme chez Rickmans : fils d’un épicier belge, il prétend avoir ses entrées au sein de la Cité interdite. Il n’est évidemment pas aussi proche du pouvoir qu’il le prétend. Fantasme, mais aussi brouillard. Dans son dernier ouvrage Le Studio de l’inutilité, Leys explique à propos de son pseudo que, lors de la publication des Habits neufs du président Mao, il lui fallut, « au pied levé et pour de triviales raisons bureaucratiques, le signer d’un pseudonyme. » Hum, hum ! Et il ajoute : « Eussé-je soupçonné alors que l’œuvre de Segalen allait justement connaître un prodigieux regain d’intérêt, je me serais modestement choisi quelque autre banal patronyme flamand, Beulemans ou Coppenolle. » Re- hum, hum ! Il se donne le coup de grâce en précisant, toujours à propos de Segalen, qu’à « Brest même une université porte son nom ». Et il s’enterre par ce trait d’érudition : « Dans cette université – si j’en crois le sympathique Monsieur Sié de Marianne Bourgeois (La Différence, 2003) –, on persiste à prononcer le nom du poète à la parisienne, “ Segalein ”, alors qu’il insistait lui-même pour qu’on le prononçât à la bretonne, “ Segalène ”. »

 

Je sais bien que, vue d’Australie, la France, c’est loin. Mais le problème est que l’université de Brest n’a pas de nom, si ce n’est “ Université de Bretagne Occidentale ”. Il existe bien une université Segalen, mais elle se situe à Bordeaux, et l’on y enseigne la biologie, la santé, les sciences et technologies, les sciences humaines et sociales, les sciences et techniques des activités physiques et sportives.

 

 

PS : pour la petite histoire, un Pierre Rickmans fut gouverneur général du Congo belge. 

 

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17 juin 2012 7 17 /06 /juin /2012 14:57


http://ariane-genealogie.net/france1/img/lamennais_catholicisme_social.jpgOn peut être mécréant et éprouver une réelle sympathie pour Félicité Robert de Lammenais.

 

Il est parti de la bonne vraie droite traditionaliste pour épouser les idées de gauche de la Révolution de 1848. Il refusera même les derniers sacrements  avant de mourir en février 1854.

Lorsque la France s’industrialise durant la première moitié du XIXe siècle, Lammeanis dénonce l’arrogance du capitalisme et le sort qu’il réserve aux classes populaires.

Il désapprouve le Concordat de 1801 qui a fait des prêtres de simples fonctionnaires de l'État français et s'oppose au gallicanisme, une idéologie qui veut placer la religion sous la tutelle du gouvernement. En avance de deux génération sur les républicains laïcs, il réclame la séparation de l'Église et de l'État : « Nous sommes payés par ceux qui nous regardent comme des hypocrites ou des imbéciles et sont persuadés que notre vie tient à leur argent. Leur traitement est si injurieux que des hommes qui le souffrent tombent nécessairement au-dessous du mépris ».

 

Dans le texte qui suit, tiré de Paroles d’un croyant (1834), il exprime sa compassion pour les exilés :

 

Il s’en allait errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé !

 

J’ai passé à travers les peuples, et ils m’ont regardé, et je les ai regardés, et nous ne nous sommes point reconnus. L’exilé partout est seul.

 

Lorsque je voyais, au déclin du jour, s’élever du creux d’un vallon la fumée de quelque chaumière, je me disais : Heureux celui qui retrouve le soir le foyer domestique, et s’y assied au milieu des siens. L’exilé partout est seul.

 

Où vont ces nuages que chasse la tempête ? Elle me chasse comme eux, et qu’importe où ? L’exilé partout est seul.

 

Ces arbres sont beaux, ces fleurs sont belles ; mais ce ne sont point les fleurs ni les arbres de mon pays : ils ne me disent rien. L’exilé partout est seul.

 

Ce ruisseau coule mollement dans la plaine ; mais son murmure n’est pas celui qu’entendit mon enfance : il ne rappelle à mon âme aucun souvenir. L’exilé partout

est seul.

 

Ces chants sont doux, mais les tristesses et les joies qu’ils réveillent ne sont ni mes tristesses ni mes joies. L’exilé partout est seul.

 

On m’a demandé : Pourquoi pleurez-vous ? Et quand je l’ai dit, nul n’a pleuré parce qu’on ne me comprenait point. L’exilé partout est seul.

 

J’ai vu des vieillards entourés d’enfants, comme l’olivier de ses rejetons ; mais aucun de ces vieillards ne m’appelait son fils, aucun de ces enfants ne m’appelait son frère. L’exilé partout est seul.

 

J’ai vu des jeunes filles sourire, d’un sourire aussi pur que la brise du matin, à celui que leur amour s’était choisi pour époux ; mais pas une ne m’a souri. L’exilé partout est seul.

 

J’ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s’étreindre comme s’ils avaient voulu de deux vies ne faire qu’une vie ; mais pas un ne m’a serré la main. L’exilé partout est seul.

 

Il n’y a d’amis, d’épouses, de pères et de frères que dans la patrie. L’exilé partout est seul.

 

Pauvre exilé, cesse de gémir ; tous sont bannis comme toi : tous voient passer et s’évanouir pères, frères, épouses, amis.

 

La patrie n’est point ici-bas ; l’homme vainement l’y cherche ; ce qu’il prend pour elle n’est qu’un gîte d’une nuit.

 

Il s’en va errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé !

 

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