Dans un ouvrage très intéressant sorti récemment et dont je rendrai compte incessamment
sous peu (Le Studio de l’inutilité), Simon Leys consacre un chapitre à George Orwell (“ Orwell intime ”). Ce texte rédigé à l’occasion de la
publication de divers ouvrages consacrés à Orwell outre-Manche n’a pas la puissance de son livre paru en 1984 : Orwell, ou l’horreur de la politique. Emprunté directement à Orwell lui-même (« the horror of politics »), ce titre signifiait qu’Orwell, né en 1903 et ayant connu sa maturité personnelle et
politique dans les années trente, était effrayé par ce qu’était devenue la vie politique dans les pays totalitaires, mais aussi dans les pays démocratiques, chaque fois que des citoyens
libres – des intellectuels ou des créateurs en particuliers – écoutaient les sirènes qui chantaient à Berlin, à Moscou ou à Madrid les louanges de tyrans bellicistes, de
partis uniques, de systèmes dogmatiques.
Il faut dire que Simon Leys avait quelque autorité en la matière. Cet éminent sinologue avait publié en 1971 Les Habits
neufs du président Mao où il montrait que les prétendues luttes idéologiques censées faire progresser l’humanité à pas de géant dans les années soixante en
Chine n’étaient en fait que de sordides luttes pour le pouvoir qui réduisaient le pays à la misère noire, le tout accompagné par des massacres à échelle inhumaine. Leys prenait le contre-pied
d’intellectuels européens dont beaucoup ne s'étaient jamais rendus en Chine et dont aucun ne connaissait le moindre mot de mandarin (Macchiochi, Ivens, Barthes, Sollers etc.), mais qui
présentaient la « pensée Mao Tsé Toung » et la société chinoise comme des modèles indépassables.
Dans son chapitre consacré à Orwell, Leys écrit ceci :
« Contrairement à ce que divers commentateurs ont pu croire, le fait qu’Orwell ait adopté un pseudonyme fut un pur
accident et n’entraîna pour lui aucune signification particulière ».
Leys a la grande honnêteté de préciser que
lui-même a cru à cette prétendue fable, et donc qu’il n’y croit plus.
La remarque de Leys vérifie ce que je crois depuis quarante ans : un chercheur ne cherche qu’une seule
chose : lui-même. Qu’ils soit un spécialiste de trigonométrie, des peintres du quattrocento ou des anacoluthes.
Ici comme ailleurs, Leys ne nous parle que de lui, et il reporte sur Orwell (qui n’y peut mais) le problème qu’il a pu
connaître par rapport à sa propre prise de pseudonyme.
On ne saurait se débarrasser d’une pichenette aussi désinvolte de l’un des actes les plus importants posés par Orwell au
cours de sa vie. Comme j’ai tourné autour de ce problème pendant des années, je me permets de citer brièvement la thèse et le livre que j’ai consacrés à l’auteur de
1984 :
« Dans Dans la dèche (Down and Out in Paris and London) et dans les pages qui lui sont contemporaines, nous sommes en présence de trois strates d'Orwell : l'individu (Eric Blair), un narrateur (souvent «je») et l'auteur en devenir, producteur d'une œuvre, mais aussi d'une persona («George Orwell»). Cet auteur n'utilisera
définitivement son pseudonyme que cinq ans après ses débuts en littérature.
Lorsqu'un écrivain use d'un nom de plume, il officialise la coupure que le discours littéraire établit entre
l'instance productrice, sociale et l'instance énonciative. Signer d'un pseudonyme c'est constituer et poser à côté du «je» biographique un sujet qui n'existe que par l'œuvre, que dans l'œuvre et que par l'institution littéraire. Donc aussi par les lecteurs. De toutes les propriétés qui font qu'un individu s'assume, est défini comme écrivain, l'utilisation d'un pseudonyme permet d'isoler une seule d'entre elles, celle
d'«écrire» sous l'identité d'un
nom propre.
George Woodcock, ami d'Orwell pendant la guerre, fut un des tout premiers à toucher du doigt le délicat problème de création
littéraire et de responsabilité auctorielle chez l'auteur de 1984. La thèse de Woodcock est qu'Orwell a «déguisé» Blair de diverses manières pour le métamorphoser en un personnage littéraire et lui faire vivre, avant de les
raconter à sa manière, les aventures de son choix : Pour Woodcock, le «je» de Dans la dèche à Paris et à Londres et du Quai de Wigan n'est pas plus George
Orwell que “Marcel” n'est Marcel Proust. C'est pourquoi, toujours selon
Woodcock, il ne faut jamais prendre les pages autobiographiques d'Orwell pour argent
comptant, Orwell ne se référant à ses propres expériences que pour défendre un point de vue moral, social ou politique.
L'analyse de Woodcock est pénétrante mais appeler l'exemple de Proust à la rescousse ne me semble pas pertinent dans le cas d'Orwell. En premier lieu, Orwell ne peut prendre en charge Blair
(puisque le second préexiste au premier), ne saurait exister sans lui, hors de lui, et que, dans le procès d'écriture, de création et d'affirmation de la personnalité littéraire, l'existence
d'Orwell implique la disparition ou, tout au moins, l'effacement partiel ou total de Blair. En outre, Marcel est, pour reprendre l'expression de Gérard Genette, un « narrateur qui va
écrire » « narrateur qui va écrire » ou encore qui finit par devenir écrivain. »
Avant de poursuivre, je mentionnerai une donnée qui n'a rien d'anecdotique : sur la tombe d'Orwell figure la
mention
Eric Blair
1903-1950
Dans cette tombe, on trouve en effet la dépouille d'Eric Blair, pas celle de George Orwell.
L’utilisation d’un pseudo n’est pas une marque de modestie : c’est une expansion de l’ego.
Qui dit pseudo dit clivage, dédoublement. Le pseudo d’Yves Montand était un hommage indirect à une expression que sa mère
serinait. Le romancier Jacques Laurent signait ses livres alimentaires, ceux qui visaient au commercial, “ Cécil Saint-Laurent ” et ses livres “ sérieux ” Jacques Laurent. Quand Jean-Jacques
Goldman écrivait pour Patricia Kaas ou Florent Pagny, il signait d’un pseudo. Mais il signait de son nom les textes qu’il chantait lui-même. Gilbert Bécaud prit comme pseudo le nom du compagnon
de sa mère, qu’il considérait comme son vrai père ; et il fit de son deuxième prénom le premier.
Chacun de ces exemples montre que nous sommes dans le manque ou dans l’incomplétude. Il y a en permanence, chez tout
individu, une béance à obturer, ce que les lacaniens appellent une fente. Nous nous ressentons comme finis et nous sommes imparfaits, aux sens de non achevés et de non parfaits. Cette
imperfection peut être comblée par ce que Rimbaud appelait « l’autre » (quand j’écris, de mon nom ou d’un autre nom, « “ je ” est un autre »). Il y a alors désir d’une ou de
plusieurs identifications successives. Attention, un chauffeur routier de 130 kilos qui signe “ Mirabelles ” n’est pas aliéné comme celui qui se prend pour Napoléon. Il y a simplement
reconnaissance d’une part de lui-même (qui peut être alimentée par de l’humour au 17è degré) qui l’augmente en tant que sujet.
Méfions-nous des justifications a posteriori. Lorsque Patrick (ou Maurice, selon les sources) Benguigui disserte de manière
un peu désinvolte sur son pseudo “ Bruel ” en demandant « Qui voudrait passer pour le fils de Jean Benguigui ? », il botte en touche. Quand Philippe Fragione explique qu’il comprit
très tôt qu’il ne ferait pas carrière dans le rap avec son nom et son prénom, et qu’il prit donc le pseudo d’Akhenaton, il ne nous permet pas d’accéder à son vrai désir. Quand Björk
Guðmundsdóttir nous dit que son patronyme était trop compliqué pour être gardé, elle nous cache quelque chose de très profond par rapport à son père (son patronyme signifie “ fille de Guðmunds
”). Le problème est-il de même nature pour Charles Aznavour lorsqu’il supprime le “ ian ” de son nom (“ fils de ” en arménien) ? Lorsque Marie-Hélène Gauthier choisit pour pseudo “ Mylène
Farmer ”, ce n’est pas uniquement pour des raisons de commercialisation. Bernard Lavilliers s’appelle Oulion. Bon, d’accord, il y avait urgence, mais pourquoi “ Lavilliers ” (l’homme des
villes ?) ? Lorsque Hervé Forneri choisit le nom de scène “Dick Rivers”, sait-il que cela peut signifier “ Rivières à Bites ”, en d’autres termes, l’appel du fantasme américain est-il
plus fort que tout ? Et Chantal Goya, qui s’est époumonée pour quatre générations de bambins, qu’aurait-elle fait de son vrai nom Chantal de Guerre ? Cela dit, qu’a-t-elle à voir avec
“Goya” ?
Pour approfondir mon questionnement, je citerai Victor Hugo et George Orwell. Que nous dit celui qui risqua réellement sa vie
pour ses écrits ?
« Il vient une certaine heure dans la vie où, l’horizon s’agrandissant sans cesse, un homme se sent trop petit pour
continuer à parler en son nom. Il crée alors, poète, philosophe ou penseur, une figure dans laquelle il se personnifie et s’incarne. C’est encore l’homme, mais ce n’est plus le
moi. »
Hugo étant ce qu’il était, on comprend fort bien qu’il se soit senti « trop petit ». Orwell pose le même problème,
mais en creux :
« On ne peut écrire quoi que ce soit de valable si on ne gomme pas sa propre personnalité ».
L’auteur de 1984 a dit et répété qu’il avait pris un pseudo pour protéger sa
famille, pour lui témoigner des égards et pour atténuer ses rapports contradictoires avec la bourgeoisie. Certes, mais le choix du nom d’une petite rivière du Suffolk et d’un prénom à la fois
royal et prolétaire n’explique pas tout car il ne fait que renvoyer à la biographie. Idem pour Hergé, le père de Tintin, qui descendait, peut-être par les croisées et non les croisés, d’un
aristocrate belge.
Le domaine de la littérature offre de nombreux cas de figure. L’œuvre d’Honoré de Balzac pose un problème passionnant,
quasiment énigmatique : on passe sans transition de livres médiocres, de productions commerciales (que Balzac qualifiait lui-même de « cochonnerie littéraire » et qu’il signa de
pseudonymes pseudonymisants, “ Lord R’Hoone ”, par exemple) aux Chouans, chef-d’œuvre qui ne sera suivi exclusivement que de chefs-d’œuvre. Honoré
Balzac s’aristocratisa en prenant un pseudo crédible au moment précis où il se mit à écrire de la grande littérature.
Nombre d’écrivains ont choisi de signer leurs œuvres d’un pseudonyme, parfois pour des raisons de sécurité : Jean
Bruller avait adopté le nom de “ Vercors ” aux Éditions de Minuit (qu’il fonda en 1941) pendant la Seconde Guerre mondiale, tout comme François Mauriac qui publiait sous le nom de “ Forez ”. Les
écrivains résistants prirent souvent des noms de région de France comme pseudonyme. Philippe Joyaux dit avoir signé d’un nom de plume (“ Sollers ”) pour préserver sa famille et marquer
sa singularité par rapport aux siens. Parce qu’il était Conseiller d’État, Erik Arnoult devint “ Orsenna ” en écriture pour ne pas impliquer sa charge, mais aussi pour assumer une double
personnalité. Après avoir utilisé des pseudos ridicules (“ Louis Alexandre Bombet ”, ou “ Anastase de Serpière ”) Henri Beyle, en haine de son père, signa “ Stendhal ” (du nom d’une ville
allemande où il avait connu une folle passion). Ces écrivains échappaient clairement à l’état civil. À l’inverse de la comtesse de Ségur (née Rostopchine), fille de l’incendiaire de Moscou lors
de l’entrée des troupes de Napoléon : en signant du nom de son mari volage, elle se donna une identité d’écrivain français, elle qui descendait de Genghis Khan.
Il est des pseudos qui n’en sont plus, s’ils l’ont jamais été. Ainsi “ Saint-John Perse ” pour le diplomate Alexis
Léger. Il est des pseudos parfaits, tel celui d’“ Antoine Volodine ”, qui n’est pas plus russe que Simon Leys, dont on ne connaît ni le nom, ni le lieu et la date de naissance (il a
également signé “ Elli Kronauer ”, “ Manuela Draeger ” et “ Lutz Bassmann ”).
Utiliser un pseudo est un geste esthétique qui crée de l’identité et du mystère. L’auteur nous livre un double qui n’est pas
totalement lui-même. René Lodge Brabazon avait un état civil peu banal : un prénom français, alors qu’il n’avait aucune racine française, et un patronyme fleurant au plus haut point
l’anglicité. Il ne mit jamais les pieds aux États-Unis, mais écrivit des polars inoubliables sous le nom de James Hadley Chase, un dictionnaire de slang étatsunien sur sa table de travail. Sans parler d’un des plus grands mystères – résolu – de la littérature française d’après-guerre : l’écrivain
totalement inconnu “ Émile Ajar ” obtenant le Goncourt en 1975 alors qu’il l’avait déjà obtenu en 1956 sous le pseudonyme de Romain Gary. Le romancier avait fait un pied de nez
extraordinaire au petit monde germano-pratin, à commencer par cette journaliste littéraire du Monde qui était allée interviewer “ Ajar ” (en
fait, un neveu de l’écrivain) à Copenhague. Et pourtant, la clé du mystère crevait les yeux, Gary et Ajar signifiant respectivement en russe “ brûle ” et “ braise ”. Gary s’était peut-être
inspiré de la mystification de Prosper Mérimée qui avait inventé la dramaturge espagnole “ Clara Gazul ” dont il avait écrit les neuf pièces de théâtre. “ Gazul ” et “ Ajar ” avaient
une dimension ontologique évidente : ils étaient de grands écrivains, donc ils existaient.
De ce même point de vue ontologique, le cas de George Sand est également intéressant : elle prend un prénom masculin
pour faire croire qu’elle est un homme (comme la grande romancière anglaise George Eliot ou comme Madeleine de Scudéry qui signe sous le nom de son frère Georges qui, lui, fait comme si de rien
n’était), mais, surtout, elle s’affuble d’un patronyme roturier alors qu’elle est noble. Inversement, Isidore Ducasse (un nom qui fleure bon le pays ch'ti) se fera passer pour “ Le comte de
Lautréamont ” (pseudo qu'il n'utilisera qu'une seule fois). Paul-Pierre Roux se sanctifiera sous le nom de “ Saint-Paul Roux ”. Pierre Louÿs (en fait Pierre Félix Louis) changera de sexe en se
faisant passer pour une femme de l’antiquité grecque (“ Bilitis ”), tout comme Raymond Queneau qui s’inventera en la romancière irlandaise “ Sally Mara ”. Lesbienne, Lucy Schwob prendra un autre
patronyme juif que le sien : “ Cahun ”, et un prénom bisexué : “ Claude”. Georges-Marie Huysmans laissera entendre qu’il est hollandais (“ Joris-Karl ”). Malade, le Suisse
Frédéric-Louis Sauser voudra renaître tel un phénix (“ Blaise Cendras ”). Cet expert en mystifications fera croire à Pierre Lazareff, directeur de France-Soir, qu’il avait effectué un grand
reportage (fort bien payé) à travers toute la Sibérie alors qu’il était resté dans sa chambre. Lazareff ayant flairé une possible arnaque, Cendras lui répliquera : « L’important n’est
pas que j’y sois allé ou pas, l’important est que tu y aies cru. »
Esthétique, ontologique, le pseudo relève d’une démarche concrète qui suit une prise de conscience. Signer d’un pseudo
revient à couper l’auteur, l’instance énonciative du producteur social. C’est poser devant le “ je ” biographique un sujet qui n’existe que par l’énoncé, que dans l’énoncé. Raison pour laquelle
certains blogueurs, certains intervenants sur internet, sont amenés à utiliser divers pseudos à mesure qu’ils proposent des productions différentes. Rien ne dit, d’ailleurs, que l’on soit moins
personnel lorsqu’on utilise un pseudo que quand on signe de son vrai nom : ce que Frédéric Dard signa “ San Antonio ” était tout aussi authentique que ce qu’il signa Frédéric Dard. Ce que
permet le pseudo, c’est d’isoler l’acte d’écrire parmi toutes les propriétés qui font qu’un individu s’assume en tant que personne publique. Lorsque Jean Dupont signe “ Tartempion ”, il donne en
fait à lire un “ il ” au second degré, un “ il ” retourné, un “presque moi”.
Le critique et théoricien Jean Starobinski disait que lorsqu’un auteur revêt un pseudo, nous nous sentons
« défiés » car l’auteur se « refuse à nous » qui voulons savoir. Prendre un pseudo, c’est se créer une « identité imaginaire » (S. Hynes) à laquelle nous,
récipiendaires, ne pouvons pas avoir totalement accès.
Le pseudo est un masque. Porter un masque (d’écriture ou non), c’est produire un repoussé que l’on affirme, que l’on martèle
du dedans et qui nous aide à créer une persona qui n’est autre que l’enveloppe du discours. Julien Gracq disait que Céline (pseudo, prénom de sa grand-mère et de sa mère, hum-hum !) s’était
« mis en marche derrière son clairon en vociférant ». Utiliser un pseudo, c’est se mettre en marche derrière son masque. Roland Barthes expliquait que le masque/pseudo n’avait rien
d’original puisque tous les écrivains et écrivants s’affublaient d’un masque, ce qu’il appelait « les différentes pelures d’oignon ». Enlevez un masque chez un auteur et vous tomberez
sur un autre masque.
Pourquoi ce problème à l’infini ?
Parce que, lorsque nous écrivons, nous mettons en branle au moins trois strates de nous-même. Il y a l’individu, disons
« Jean Dupont », puis l’instance narrative (le “ Jean Dupont ” écrivant, distinct de l’individu : il est gai, mais écrit quelque chose de triste) et l’image que “Jean Dupont” veut
donner de lui aux gens qui vont le lire. À l’intérieur de ces strates, il y a forcément des sous-strates, tout cela évoluant avec le vent, la pluie, le contexte, les rages de dents etc.
Prendre un pseudo, c’est aussi déplacer le lieu d’où l’on parle. C’est vouloir – sans y parvenir jamais totalement – effacer
ou faire oublier ses goûts, ses conceptions, ses manières, son origine, son éducation. C’est le signe d’une volonté de transformation, plus importante que le jeu de cache-cache.
Pour les linguistes (voir Oswald Ducrot, Le dire et le dit), tout locuteur se
dédouble en un locuteur en tant que tel (le locuteur considéré du seul point de vue de son activité énonciative) et un locuteur en tant qu’être au monde, en tant qu’un être du monde. Ces deux
instances ne doivent pas se dissocier. L’utilisateur du pseudo souhaite donc, non seulement, que l’individu et le producteur ne fassent qu’un, mais aussi que l’énoncé et l’image de l’énonciateur
se confondent.
Ça marche plus ou moins…
À tout seigneur tout honneur, nous terminerons avec Simon Leys. Lorsqu’il publia L’horreur de la
politique, je résidais en Afrique de l’Ouest. J’eus alors le bonheur d’engager avec lui une brève correspondance à propos de son livre et d’Orwell. Leys
signa ses lettres “ Pierre Ryckmans ”. Selon Wikipédia, Pierre Ryckmans choisit comme pseudo « Leys » en référence au personnage du roman
de Victor Segalen, René
Leys, publié en 1922 ; et comme prénom « Simon », référence au nom originel de l'apôtre Pierre. Or le
personnage de René Leys, par son ambiguïté, n’a pu que nourrir un fantasme chez Rickmans : fils d’un épicier belge, il prétend avoir ses entrées au sein de la Cité interdite. Il n’est
évidemment pas aussi proche du pouvoir qu’il le prétend. Fantasme, mais aussi brouillard. Dans son dernier ouvrage Le Studio de l’inutilité, Leys
explique à propos de son pseudo que, lors de la publication des Habits neufs du président Mao, il lui fallut, « au pied levé et pour de triviales
raisons bureaucratiques, le signer d’un pseudonyme. » Hum, hum ! Et il ajoute : « Eussé-je soupçonné alors que l’œuvre de Segalen allait justement connaître un prodigieux
regain d’intérêt, je me serais modestement choisi quelque autre banal patronyme flamand, Beulemans ou Coppenolle. » Re- hum, hum ! Il se donne le coup de grâce en précisant, toujours à
propos de Segalen, qu’à « Brest même une université porte son nom ». Et il s’enterre par ce trait d’érudition : « Dans cette université – si j’en crois le
sympathique Monsieur Sié de Marianne Bourgeois (La Différence, 2003) –, on persiste à prononcer le nom du poète à la parisienne,
“ Segalein ”, alors qu’il insistait lui-même pour qu’on le prononçât à la bretonne, “ Segalène ”. »
Je sais bien que, vue d’Australie, la France, c’est loin. Mais le problème est que l’université
de Brest n’a pas de nom, si ce n’est “ Université de Bretagne Occidentale ”. Il existe bien une université Segalen, mais elle se situe à Bordeaux, et l’on y enseigne la biologie,
la santé, les sciences et technologies, les sciences humaines et sociales, les sciences et techniques des activités physiques et sportives.
PS : pour la petite histoire, un Pierre Rickmans fut gouverneur général du Congo belge.