La loi LRU votée sous Sarkozy (dois-je rappeler que j’ai écrit plus de 200 articles dans mon blog et sur le site du Grand Soir à ce sujet ?) poursuivait plusieurs objectifs, l’un étant la mise au pas des universitaires et le transfert du pouvoir du corps enseignant vers les administratifs. C’est fait. L’administration n’est plus au service des professeurs et des étudiants : ceux-ci doivent se couler dans le cadre imposé par l’administration selon les directives entrepreneuriales dictées par des conseils d’administration où les enseignants sont minoritaires. Magnifiquement accomplie par Pécresse, la mutation fut peaufinée par sa successeuse Fioraso et les renégats solfériniens. Lorsque la droite historique reviendra au pouvoir en 2017, il lui sera très facile de continuer le travail, dans ce domaine comme dans tous les domaines où la droite honteuse aura sévi : l’université sera entièrement privatisée et financiarisée et les personnels enseignants seront tous recrutés sur statut précaire, le statut de la Fonction publique ayant sauté.
La LRU a créé ou renforcé des fonctions administratives semblables à celles que l’on trouve dans le privé : on parle plus que jamais de ressources humaines, de direction générale des services. Les Solfériniens ont continué sur la lancée de la droite traditionnelle en faisant des enseignants la principale variable d’ajustement (en alourdissant les services et en multipliant des tâches qui ne sont pas normalement celles de pédagogues et de chercheurs) et en fliquant le monde universitaire comme jamais. Sous Hollande, les courriels professionnels des enseignants peuvent être espionnés et un étudiant qui graffe des toilettes est, sur ordre du président de l’université, capturé par des vigiles qui le remettent à la BAC, ce doux acronyme signifiant Brigade anti-criminalité. Le naturel au galop du social-libéralisme ne répugne pas aux pratiques fascistoïdes.
Pour mettre au pas les personnels enseignants, Pécresse décida de balayer les procédures démocratiques dans les établissements. Par exemple, celles encadrant le recrutement des enseignants. Avant (je sais : quand on dit « avant », on est un conservateur frileux, arc-bouté sur ses avantages acquis), les universitaires étaient recrutés par leurs pairs réunis dans des commissions de spécialistes. Ces commissions étaient constituées d’enseignants titulaires élus, éventuellement sur des bases syndicales, pour une période de trois ans. Les commissaires élisaient leur président et deux vice-présidents, et ils cooptaient pour la même période de trois ans un nombre statutairement défini de collègues d’autres universités. Pécresse mit bon ordre à cette pratique démocratique, visible et stable, en instituant des comités de sélection. Ces comités ont la particularité de ne pas avoir d’existence institutionnelle, d’être ad hoc. Lorsqu’un poste est créé, le président de l’université nomme un collègue chargé de constituer un comité. Plus question de spécialistes : un latiniste peut fort bien siéger parmi des physiciens nucléaires, en attendant, demain, le mari de la concierge. Lorsque le recrutement est effectué, le comité disparaît. Mais comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, le président, qui a tout mis en œuvre pour se constituer un comité aux petits oignons, a un droit de veto sur la décision des collègues. Nous sommes dans l’arbitraire, l’abus de pouvoir le plus total. L’ancien système n’était pas parfait, le nouveau peut verser à tout instant dans la pantalonnade du copinage.
Le ministère vient de demander à l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale (IGAEN) la rédaction d’un rapport sur « Le recrutement, le déroulement de carrière et la formation des enseignants chercheurs » (l’intégralité du rapport est téléchargeable ici). Ce rapport vient de lui être remis. Un mot sur les inspecteurs généraux. Ce sont toujours des gens de très haut niveau, de grande compétence. Mais leur recrutement est effectué dans l'opacité. Pendant ma carrière (longue, forcément longue), j’ai vu quelques dizaines d’enseignants promus IG parce qu’ils étaient corses, parce qu’ils étaient membres du parti socialiste, parce qu’ils étaient des potes de Chirac ou de Tonton. Ces messieurs et dames nommés bien souvent par le fait du prince étaient donc particulièrement qualifiés pour repenser le recrutement dans l’enseignement supérieur et pour faire la leçon aux aspirants universitaires. Le rapport comporte quatre têtes de chapitre : le contexte statutaire, le recrutement, le déroulement de la carrière et la formation. Il préconise vingt mesures dont je vais reprendre les plus significatives à mes yeux.
Il jette la suspicion, dès l’amont, sur les futurs professeurs – et sur ceux déjà en poste – en proposant des « dispositions robustes [ce qui signifie quoi, exactement ?] visant à garantir le niveau des doctorats élevés. » Comme si, ces vingt ou trente dernières années, le niveau des doctorats avaient baissé et comme si les jurys conférant ce grade avaient bradé les titres.
La proposition n° 5 conditionne tout le reste : il s’agit d’« encourager l’ouverture des comités de sélection à des représentants de la gouvernance de l’établissement ainsi que de la composante et du laboratoire concernés par le recrutement ; de faciliter la participation des membres extérieurs, notamment étrangers, en allongeant les calendriers de recrutement des comités de sélection ; d’étudier des solutions de mise en place de comités de sélection dans le cadre de regroupements d’établissements. » Participeront donc au recrutement des maîtres de conférence et des professeurs d’université des « représentants de la gouvernance de l’établissement ». Je passe sur le fait que le mot « gouvernance », adopté de l’entreprise privée anglo-saxonne, n’existe pas dans le langage officiel de l’université française. Cela signifie que des administratifs, des étudiants et, demain, comme je le disais plus haut, le mari de la concierge, évalueront des dossiers scientifiques qui passent à cent coudées au-dessus de leur tête. Ce n’est pas parce que ce type de procédure existe dans d’autres pays (nos inspecteurs généraux sont peut-être malins mais ils n’ont rien inventé) que nous devons nous y soumettre. Pour l’anecdote, j’ai connu plusieurs collègues outre-Rhin ou au Royaume-Uni qui se virent refuser une promotion car, comme ils avaient la réputation de noter un peu sèchement, les étudiants avaient fait pencher le vote en faveur de concurrents plus laxistes. J’ai aussi connu le cas d’un universitaire au dossier en béton qui s’était fait souffler un poste de professeur sur recommandation du ministre de l’Education car l’université manquait de femmes professeurs.
La préconisation n° 6 n’est pas absurde en soi : « généraliser dans les établissements la mise en œuvre d’opérations de recrutement correspondant aux pratiques en vigueur au niveau international (visites préalables de candidats potentiels, échanges avec les futures équipes, allongement des temps d’auditions et réalisations de séminaires par les candidats, véritables entretiens d’embauche). » Je glisse rapidement sur le fait qu’« international » signifie en fait Etats-Unis et Royaume-Uni. Le problème est que cette procédure est chronophage et très coûteuse. Dans les pays anglo-saxons, comme en Allemagne ou en Autriche, le salaire des enseignants titulaires est nettement supérieur à celui des enseignants français tandis que leur charge de cours, et surtout leur charge administrative, sont nettement inférieures. Pour leur part, les inspecteurs généraux travaillent rarement plus de 35 heures par semaine.
La préconisation n° 7 jette, elle aussi très fortement, le doute sur l’honnêteté des universitaires : « encourager les établissements à faire auditer leurs processus internes de recrutement dans le but d’établir des règles internes propres à garantir un fonctionnement impartial des différentes instances. » Tout comme la n° 8 : « instaurer une procédure de titularisation des enseignants-chercheurs plus formalisée et plus rigoureuse. »
La préconisation n° 9 vise à faire fliquer les universitaires par une bureaucratie sans forme, mais avec la caution, tellement honnête et rigoureuse de « personnalités » étrangères : « Mettre en place sous l’égide de la DGRH, un groupe de travail sur l’organisation et le fonctionnement du CNU, auquel participeront la CPCNU et la CPU ainsi que des représentants des EPST et des personnalités universitaires étrangères. »
La préconisation n° 11 vise à préférer l’exo-recrutement, tel que cela se pratique dans d’autres pays. Pourquoi pas ? Mais cela reste discutable. Que fait-on lorsqu’après une sélection « rigoureuse » il reste deux dossiers en présence : celui, brillant, d’un candidat local, et celui, médiocre, d’un « exo », même s'il s'agit d'une femme noire, juive et lesbienne ? Ne riez pas, on y est presque.
La préconisation n° 14 vise à favoriser les universitaires « mobiles ». Pourquoi pas, mais cela n’a rien à voir avec la qualité scientifique des dossiers.
La préconisation n° 15 ouvre la voie à l’avilissement des enseignants et au règne de la démagogie : « Encourager le développement de l’évaluation des enseignements par les étudiants, notamment dans le cadre de la politique contractuelle. »
La préconisation n° 17 m’a ramené plus de trente ans en arrière quand les Solfériniens de l’époque, avec l’aide de la CFDT, ont presque doublé les services des enseignants. Mais comme cela ne suffit toujours pas (les ânes étant toujours mal bâtés, j’imagine), les inspecteurs généraux à 35 heures par semaine, qui ont repéré les procédures existantes (mais officieuses) visant à alourdir la charge de travail, propose de les officialiser en faisant en sorte que plus un seul enseignant n’ait le même service qu’un autre enseignant (un peu comme les caissières de supermarché) : « inciter les établissements à utiliser les dispositifs règlementaires de modulation des obligations réglementaires de service, dont ils disposent, afin, notamment, de diminuer le volume horaire d’enseignement des nouveaux MCF au profit de leur activité de recherche, et inversement de renforcer celui des enseignants-chercheurs qui opteraient pour une réorientation de leur mission dans le sens d’un plus grand investissement dans l’enseignement que dans la recherche. Approfondir la réflexion sur une modification des obligations réglementaires de service d’enseignement des enseignants-chercheurs, dans le sens d’un assouplissement et d’une individualisation du dispositif, et engager des expérimentations dans ce sens. »
Si les universitaires acceptent ces préconisations comme ils ont accepté la LRU, ils vont souffrir. Moins cependant que ceux qui leur succéderont.