Par Juan Branco
Et l’on commence à s’indigner. Car tout cela, on ne le découvre que plus d’un an après l’élection présidentielle. Pourquoi se retrouve-t-on à devoir faire cela ? Parce que l’un des journalistes ayant commis la meilleure enquête du moment sur Macron, Mimi qui, rappelons-le, ne contient quelques pages sur ce dernier, était employé par ledit Bernard Arnault et ne pouvait révéler qu’une partie des informations que nous exposons. Que les quelques rares autres qui auront entre temps mis leur indépendance au-dessus de tout enjeu de carrière auront été depuis écrasés. Et que les puissants de la profession, comme Madame Bacqué, qui n’avaient rien à craindre, auront préféré pendant des mois et des années se taire face à
la mise en œuvre de toutes ces compromissions.
Cette coterie a déjà accumulé un tel pouvoir que, même en les exposant, les détrôner de façon démocratique apparaîtrait en l’état impossible. Que même en faisant partir Emmanuel Macron, nous resterait un tel appareil de pouvoir qu’il ne pourrait appeler qu’à la révolution.
Comment faire savoir aux populations qu’on leur vole des milliards chaque année du fait de compromissions diverses qui les ont amenés à être trompées ? De « liens d’amitié », qui utilisent la République pour se servir, se promouvoir et faire la courte échelle aux siens, plutôt que les protéger ?
Où le faire, comment le faire savoir ? Quel organe de presse pourrait l’accueillir, y compris pour le contredire ? Libération, L’Expressou BFM TV ? C’est-à-dire les médias détenus par Patrick Drahi, dont l’empire a été consolidé avec l’aide d’Emmanuel Macron, Drahi qui l’a remercié en mettant à sa disposition sa main droite et directeur de facto de ses médias, Bernard Mourad, pendant la campagne présidentielle, après que ce Bernard Mourad eut, sur ordre de M. Drahi, « suggéré » des Unes au sujet d’Emmanuel Macron, lors des comités de rédaction de ces médias auxquels, contre toute logique, il participait ? A l’Obs, au Monde, à Télérama, à Mediapart, dans la dizaine d’autres médias où Xavier Niel a investi ? Au Figaro, chez Olivier Dassault, où il faudrait espérer qu’un journaliste trouve le courage d’attaquer les collusions entre médias et milliardaires ?
Rions jaune, et pensons plutôt aux télés ou radios publiques, dont les directeurs sont nommés par le pouvoir politique – indirectement certes, en ces affaires, l’on aime à rester pudiques, même s’il l’on fini par nommer, comme à Radio France, une camarade de promotion – et dont nous venons de montrer comment l’un des piliers de l’information compromettait l’intégrité du groupe pour servir son ami président et se venger de sa Présidente – où jamais la plus brillante de ses investigatrices, Elise Lucet, ne s’est attaquée à ces sujets. Au Parisienou aux Échos, chez Bernard Arnault, à Vanity Fair, qui publie des articles de commande et qui coulerait immédiatement si ce dernier cessait de le financer ? A Canal + ou chez C8, chez Vincent Bolloré à qui Macron confia part de sa communication alors qu’il était ministre de l’économie via Havas – avant qu’Hanouna, pilier capitalistique du groupe, n’en devint le meilleur relais, l’invitant régulièrement à communiquer par téléphone lors de ses émissions ? A TF1 ou TMC, chez Martin Bouygues, là encore compromis jusqu’aux ongles et dépendant de la commande d’État ? Au JDD ? Là où Gattegno a montré toute sa capacité à servir ceux qui plaisaient à son propriétaire, un certain… Arnaud Lagardère ! L’on tremble parce que soudain, l’on commence à se sentir étrangement seul pour peu que l’on ne serve nul intérêt, ou nul relais qui pourrait un jour être, par l’un de ceux-là, mobilisé. Ce qui apparaissait comme un paysage pluraliste, empli de journalistes courageux et indépendants, ou du moins suffisamment nombreux pour se faire concurrence et éviter ainsi de trop grandes compromissions systémiques, n’apparaît plus, lorsque l’on tente d’y avancer à sec, que comme un putride espace où la peur et l’incertitude, l’asymétrie règnent.
Car il faut l’admettre : en tous ces lieux, l’on peut faire fuiter part de la vérité. Ainsi le rival de M. Arnault, M. Pinault, a-t-il fait publier au Point les bonnes feuilles de l’ouvrage étrillant le protégé du premier, quelques temps après que Raphaëlle Bacqué eut publié un portrait élogieux – pour ne pas dire transi – de ce dernier. Mais en aucun de ces lieux peut-on véritablement exposer les compromissions auxquels tous, d’une façon ou d’une autre, ne cessent de se livrer. Ainsi même au Monde, où Ariane Chemin peut se permettre le luxe de révéler l’affaire Benalla, fini-t-on par nommer une journaliste sans aucune expérience sur ces sujets, Virginie Malingre pour couvrir l’Elysée, celle-là même qui avait été nommée par Louis Dreyfus à la direction du service économie sur instruction de Xavier Niel, pour s’assurer que celui-ci s’épuiserait sans ne jamais rien révéler. On nous dira que l’on exagère. Il y a bien des radios. Puisque le service public a les problèmes que l’on sait, peut-être Europe 1 ? Lagardère, encore ! RMC ? Alain Weil, c’est-à-dire, depuis quelques années Patrick Drahi, Alain Weil qui est par ailleurs comme on le montrera, via sa sœur, intime de la macronie. RTL, qui appartient à M6, l’un des principaux partenaires de Mediawan, le fond d’investissement dans l’audiovisuel de Xavier Niel ? Bon. Disons que cela pourrait se faire, suite à un contact qu’il faudrait encore établir, pour peu qu’aucun des dirigeants ne craigne de s’exposer aux regards de leur pair ainsi dénoncés. Et alors la grande question : qui d’entre eux en parlerait, et lancerait enfin le grand débat que l’on attends toujours ?
Après avoir parcouru en pensées l’ensemble de l’espace médiatique français, s’être arraché les cheveux, on pense à des éditeurs. Puisqu’une chronique disparaîtrait immédiatement, engloutie dans le fatras de l’information produite au quotidien, un ouvrage permettrait au moins de faire un point sur la situation. Fayard ? Mais Fayard a été racheté par Hachette, c’est-à-dire par Arnaud Lagardère, dirigé effectivement par ce même Ramzy Khiroun qui est intervenu pour protéger Mimi Marchand à Paris Match, et dont la numéro 2 est la femme du « grand ami » du Président, le fameux Bernard Mourad ! Grasset ? Sous les apparences de différences, le même propriétaire, la même hiérarchie, et l’on comprend maintenant pourquoi l’ouvrage attribuait à Marchand ce que M. Khiroun faisait, on le dit en passant, mais il faut mesurer ce que de manque d’intégrité cela signifie. Gallimard ? Ils viennent de censurer Annie Lebrun, auteur historique de la maison, parce qu’elle critiquait LVMH dans son dernier ouvrage sur la mode. Tout lien avec la prise de participation récente de la société de Bernard Arnault au capital de la maison n’y serait pour rien. Flammarion ? Racheté par Gallimard il y a quelques années ! Actes Sud, chez Françoise Nyssen ? Rions, jaune toujours, d’un rire toujours moins riant. Mais il y a bien encore moult d’éditeurs indépendants. Le Seuil, La Découverte, La Fabrique, peut-être. Certes, certes. Mais avec quels distributeurs, et quels moyens de diffusion ? Ceux-là même qui sous la coupe des premiers… ?
Revenons-en à la presse. Le Point alors. Mais Le Point est propriété d’Artemis, la holding de François Henri-Pinault ! Et alors nous répondrait-on ? N’est-il pas l’ennemi de Bernard Arnault ? N’aurait-on à gagner en participant à ces jeux de… ? Rions, et laissons quelques lignes plus loin expliquer pourquoi, là encore…
La solitude s’accroît. Et encore. Qui prendrait encore le risque juridique de tout cela supporter, lorsque l’appareil juridique concernant la diffamation est constitué de telle sorte à ne prendre qu’à la marge la disproportion des mesures protectrices en ce qui concerne les puissants ? N’a-t-on pas vu que cet ouvrage, qui pourtant en préservait tant, Mimi, a manqué ici et là d’être exposé ?
Cessons de penser à tout cela pour l’instant, et continuons. Car on a découvert entre temps que ces affaires ne s’en tenaient pas là, et qu’Alexandre Benalla était le point d’entrée officieux de Michèle Marchand au sein de l’Elysée – cette dernière assurerait d’ailleurs sa communication après qu’il fut découvert frappant et arrêtant des citoyens dans la rue en se faisant passer pour un policier. Là, le souffle se retient. Benalla, ce même Alexandre Benalla qui, introduit dans la macronie par un apparatchik LR défroqué, un certain Sebastien Lecornu, en sus de frapper des citoyens pendant son temps libre, avait tenté de monter une garde prétorienne à l’Elysée, c’est-à-dire de recruter des personnes déliées de toute hiérarchie policière et militaire – tour de passe-passe autorisé par l’existence d’une réserve citoyenne dont on aurait détourné les effectifs pour les attribuer à l’Elysée – pour « défendre » Emmanuel Macron et s’émanciper des rares contre-pouvoirs encore existants. On nous dira, halte-là ! Vous passez du coq à l’âne. Attendez et vous verrez. S’appuyant sur la réserve de la gendarmerie, Alexandre Benalla avait en effet ordre de faire rentrer des civils au sein du service de sécurité de l’Elysée, qui auraient eu la tutelle des gendarmes et policiers mobilisés en cette maison d’où émanent les ordres qui font et défont les carrières de tous les fonctionnaires du pays. La chose est effarante : par un stage de quelques semaines, il aurait été possible d’intégrer au cœur de l’Etat le plus crapuleux des êtres, sans contrôle hiérarchique autre que celui décidé par le politique, pour le mettre au service d’un seul homme, et lui donner une autorité de facto sur l’ensemble des forces de l’ordre républicaines de ce pays. Répétons-le : avant que M. Benalla, courroie de transmission de Madame Marchand à l’Elysée, chargé par exemple de passer à M. Emelien les vidéos du 1er mai volées à la Préfecture de Paris pour qu’à son tour il les fasse diffuser sur les réseaux sociaux, décide de frapper et d’arrêter des citoyens dans la rue pour alimenter un climat de peur et de violence dans le pays – cela, cela a manqué à être dit, tant cela aurait pu inquiéter – M. Macron cherchait à se donner la possibilité de faire rentrer des personnes qu’il aurait personnellement choisies au sein de sa propre police, et de les mettre en position de subordonner l’ensemble des services de sécurité du pays. Pourquoi l’aurait-il fait ?
Celui qui a permis à Macron non pas seulement de prendre le pouvoir, mais de le consolider, non seulement de ravir la nation, mais d’en maîtriser l’État, c’est Jean-Pierre Jouyet. Et qui nous y mène ? Un certain Ludovic Chaker, acolyte invisible d’Alexandre Benalla qui en a organisé le recrutement, premier secrétaire général d’En Marche, depuis sis au cœur du dispositif antiterroriste de l’Élysée, et qui avait pour mission de mener le même projet que son collègue auprès des forces armées. Or Ludovic Chaker, civil qui s’est trouvé propulsé au cœur du secret d’État, habilité à en connaître tous les détails, et dès lors ayant à connaître et faire connaître tout ce qu’il y a à dire sur quiconque pourrait menacer les intérêts de M. Macron – versant cérébral en somme de M. Benalla – utilisant pour cela Mimi Marchand, n’est pas n’importe qui. Il est le point d’entrée dans l’appareil militaire d’Ismaël Emelien, plus proche conseiller d’Emmanuel Macron qu’il a rencontré sur les bancs de SciencesPo, et qui à l’Elysée était chargé de transmettre l’ensemble des renseignements pouvant l’intéresser. Fait unique dans la Ve République : jamais un civil n’avait été intégré au chef d’État-major particulier de la Présidence de la République pour ensuite ordonner les basses-œuvres qu’il pourrait nécessiter en les faisant diffuser par la presse de façon suffisamment discrète pour que le conseiller spécial ne se trouve jamais impliqué, faisant tout cela sans avoir à répondre à une quelconque hiérarchie militaire comme c’est normalement le cas en ces affaires là.
Le dispositif a été révélé lorsque l’on a appris que Benalla avait transmis à Emelien les images de vidéosurveillance de la manifestation du 1er mai 2018, et qu’Emelien les avait par la suite fait diffuser sur des réseaux sociaux à travers des comptes anonymes. A d’autres reprises, ce serait Mimi Marchand et des vecteurs officiels qui seraient mobilisé. Cette fois, l’information provenant de la hiérarchie policière et non militaire, c’était bien M. Benalla et non M. Chaker qui en avait été chargé. M. Chaker n’est pas un homme de l’appareil d’Etat, pas même un fonctionnaire, et n’apparaissait sur nul organigramme jusqu’à ce que l’affaire Benalla l’expose aux yeux de tous. Cela, pour une seule et unique raison : protéger M. Emelien d’une quelconque répercussion, créer une interface supplémentaire qui permettrait de
se dédouaner.
Ces hommes sont toujours utiles pour le pouvoir. Ayant seulement servi la DGSE quelques années avant d’en être évincé, il ne s’est retrouvé là que par la grâce et dès lors pour le service de son maître. Mais si nous en parlons, c’est car la façon par laquelle il y est arrivé dit plus encore que les cartes qu’il a tenté d’y jouer. Car sa promotion auprès d’Emmanuel Macron, et c’est là ce qui nous intéresse, peu avant la campagne présidentielle puis à l’Élysée, révèle l’intrication profonde de l’alors candidat avec un autre pan de l’oligarchie du pays : celle qui s’assure que les intérêts des puissants se trouveront relayés au sein de la machine d’État. Elle montre à la fois l’étendue des influences qui s’appliquent à la Présidence Macron, l’endogamie de notre élite, mais aussi la pauvreté d’un système de cooptation qui au sein de ce pouvoir permet, par faits de népotismes et de services rendus, de maintenir des privilèges qui protègent quelques-uns, sidèrent l’action publique et lui retirent ses moyens.
Or M. Macron, qui était singulièrement jeune et ne s’était fait maître d’aucun parcours en propre lui permettant d’avoir construit et de pouvoir revendiquer de telles fidélités – c’est ce qui expliquera par ailleurs son appel à des baronnies empruntées, dont M. Collomb fut la plus importante, et la précarité d’un dispositif qui ne pouvait que s’effondrer – a dû constituer artificiellement ce vivier, ce qui l’a amené à quelques erreurs, comme le recrutement de M. Benalla par M. Chaker, lui-même recruté par M. Emelien. Propulsé, il a dès lors dû puiser en un cet autre pan de l’oligarchie qui avait elle aussi à défendre ses intérêts, n’avait pas les moyens ni les relais des oligarques que nous avons mentionné, mais cherchait à s’y lier, et bénéficiait d’une inscription au sein de la technostructure qui servirait idéalement M. Macron.
L’affaire fonctionne ainsi en amont et en aval de Monsieur Macron. Ludovic Chaker a été le point de contact invisible d’un dispositif couronné par Jean-Pierre Jouyet – dont la mainmise sur la technostructure était la seconde mamelle du macronisme – et mis en œuvre par un certain Ismaël Emelien – qui se chargera lui de mettre en branle, en une coopération souvent forcée avec M. Séjourné, la mobilisation des anciens réseaux strauss-khaniens. Repéré et recruté par Richard Descoings à SciencesPo, il y fut propulsé responsable de l’Asie, et y rencontrerait Edith Chabre, qui le présenterait à Edouard Philippe Brigitte Taittinger-Jouyet, héritière de l’une des plus importantes familles industrielles de France, recrutée à SciencesPo pour, de dîner mondain en événement hippique dans le petit Paris, alimenter en levées de fond les caisses de SciencesPo, tandis que son mari, Jean-Pierre Jouyet, puissant directeur du trésor devenu le très puissant directeur de l’Inspection des Finances, puis le tout puissant secrétaire général de l’Elysée, mobilisait ses réseaux pour soutenir Emmanuel Macron, parfois à la limite de la légalité.
Intrigué par un jeune homme déjà soutenu par des êtres plus puissants que lui et montrant une ambition sans fards, Jean-Pierre Jouyet se décide à lui offrir l’intérim de la toute-puissante Inspection des finances, alors que lui-même, qui se disait pourtant socialiste jusqu’alors et le meilleur ami de François Hollande était nommé secrétaire d’État aux affaires européennes auprès de Nicolas Sarkozy. Cela a peut-être été dit, mais si Emmanuel Macron s’est vu offrir pendant cette période d’entrer au cabinet du premier ministre d’alors François Fillon, c’est par le truchement de la même personne – Jean-Pierre Jouyet – qui le ferait rentrer à l’Élysée sous François Hollande.
Á suivre