J'ai récemment reçu un courrier collectif professionnel à propos d’une initiative fort intéressante prise par un centre de recherches. Courrier écrit dans ce qui voulait être de l’inclusif. L’auteur (auteure ?, auteur.e ?, autrice ?) était en fait un collectif de trois auteurs de sexe féminin, comme l’attestaient leurs prénoms.
Comme toujours ou presque, le problème était que ces éminentes universitaires n’étaient pas capables d’utiliser leur propre jargon de manière cohérente, tout comme la langue française d’ailleurs. Ainsi le mot « théâtre » ne comportait pas d’accent circonflexe ; quant aux accords, hum, hum : « Pour respecter l’alternance des langues (anglais tous les deux ans, et autre langue enseigné à l’université…) ».
Une liste de ces incohérences :
* *
Il faudra qu’un jour ou l’autre ceux qui pratiquent tant bien que mal l’écriture inclusive comprennent deux choses :
J’adore me plonger dans le Littré et son petit-neveu le Robert. En passant par le Centre national de Ressources textuelles et lexicales
Alors, revenons un instant sur le mot « nègre »
Au XIXe siècle, on l’utilisait déjà de manière péjorative. Ce contre quoi s’était insurgé Victor Hugo dans Bug-Jardal, roman dont il avait écrit la première mouture à 16 ans : « Nègres et mulâtres! (...) Viens-tu ici nous insulter avec ces noms odieux, inventés par le mépris des blancs? Il n'y a ici que des hommes de couleur et des noirs ». Dans Théâtre et son double, Artaud mettait en regard Blancs et Noirs de manière savoureuse : « Si nous pensons que les nègres sentent mauvais, nous ignorons que pour tout ce qui n'est pas l'Europe, c'est nous, Blancs, qui sentons mauvais. » Céline ne faisait pas dans la dentelle : « Des morceaux de la nuit tournés hystériques ! Voilà ce que c'est les nègres, moi j'vous le dis ! Enfin, des dégueulasses... des dégénérés quoi !... − Viennent-ils souvent pour vous acheter ? − Acheter ? Ah ! rendez-vous compte ! Faut les voler avant qu'ils vous volent… (Voyage au bout de la nuit)
Dans son recueil Corps perdus, Aimé Césaire faisait briller le mot nègre : « Et comme le mot soleil est un claquement de balles / et comme le mot nuit un taffetas qu'on déchire / le mot nègre / dru savez-vous / du tonnerre d'un été / que s'arrogent / des libertés incrédules. »
Au XIXe siècle, on a utilisé ce vocable d’une manière qui se voulait scientifique : un nègre blanc était un albinos de race noir, et un nègre pie était une curiosité dont l’albinisme n’était pas complet. Un botaniste avait proposé cette comparaison audacieuse : « Les nègres-pie ou tachés de blanc sur diverses parties de leur corps, ressemblent à ces panachures des pétales et feuilles de certains végétaux cultivés. » Clemenceau utilisait le mot de manière factuelle : « Des nègres se sont fait tuer au service de la cause esclavagiste, dans la grande guerre civile américaine. On vit des nègres narguer John Brown qui montait à l'échafaud pour avoir voulu délivrer la race noire de ses chaînes. » Plutôt condescendant, l’expression « parler petit nègre » date de la fin du XIXe siècle. « Au XXe siècle, on utilisa le mot nègre de manière ordurière : « noir comme dans le trou du cul d’un nègre », « à vouloir blanchir la tête d’un nègre, on perd sa lessive. » Ou péjorative : « travailler comme un nègre ». Mais aussi de manière plus gentille : « un nègre en chemise », ou – rien à voir : un panneau noir qui intercepte la lumière des projecteurs. Depuis le début du XXe siècle, un nègre est quelqu’un qui a écrit un livre qu’un autre a signé. L’anglais a deux mots : « ghost writer », écrivain fantôme, qui est neutre, et « hack writer », qui est péjoratif (qui écrit à la hache). Quarteron qui se décrivait comme un « nègre », avec des « cheveux crépus » et un « accent légèrement créole », Alexandre Dumas fut l’auteur (sic) de 650 livres. Écrits par 45 nègres, dont la tâche de certains consistait simplement à recopier les manuscrits des autres. De retour de Saint-Petersbourg où il avait courtisé la comtesse Hańska, Balzac déroba à celle-ci l’ossature, et même carrément une première mouture, de Modeste Mignon.
La « négritie » de Flaubert (le monde des Noirs) n’eut guère de succès : « Je bûche, je pioche, (...) comme la négritie en personne. »
Au XXe siècle, on broda à qui mieux-mieux sur le mot nègre. Dans Le Voyage au bout de la nuit, Céline tente de remettre au goût du jour « nègrerie » (lieu où on enferme les nègres : « La nègrerie pue sa misère, ses vanités interminables, ses résignations immondes. » Paul Morand et Marcel Aymé affectionnent « négrescent » ou « négrescant » (qui ressemble à un nègre : « Pour l'instant, les justes étaient tous noirs, noir d'ivoire, mulâtres olive, quarterons foncés, (...) métis bistres, créoles négrescents (Morand) ». « Les puants du cinéma et du porte-plume, tous métèques, négrescants, macaques épouillés de l’avant-veille (Aymé). « Négrité », comme « vietnamité » et « francité » firent long feu. Tout comme la « négrure » (état de celui qui a la peau foncée) d’Alphonse Daudet (« C’est pas la négrure, c’est pas ça qui le fait pleurer, c’est que l’imposture du vieux péché »). « Négrifier » (1939) n’a pas pris non plus.
Á l’origine, « nègre » est un adjectif qui vient du latin niger, nigra, nigrum. Un homo niger est un homme dont la peau est noire. Aucun jugement moral dans ce qui n’est qu’une simple observation. « Nègre » deviendra substantif à la fin du XVIIIe siècle. On oppose alors les nègres vivant près de l’océan – et dont beaucoup furent réduits en esclavages – aux Maures qui vivent près de la Méditerranée. « Nègre » vient du Portugais « negro », mot forgé par les Portugais lorsqu’ils abordent la côte occidentale de l’Afrique. Ce qu’expliquera Littré par la suite : « Quand les Portugais découvrirent la côte occidentale de l’Afrique, ils donnèrent aux peuples noirs qui l’habitent le nom de negro, qui signifie noir. De là vient notre mot nègre. L’usage a gardé quelque chose de cette origine. Tandis que noir se rapporte à la couleur, nègre se rapporte aussi au pays ; et l’on dit plutôt les nègres, en parlant des habitants de la côte occidentale d’Afrique, que les noirs. » Le mot est apparu dans la langue française en 1516 (son féminin « négresse » date de 1637) mais fut rare jusqu’au XVIIIe siècle. Le vocable n’était toujours pas péjoratif. Une « négresse » au XIXe siècle est une bouteille de vin rouge tandis qu’au XXe, le « nègre » est un appareil qui charge les grumes sur le chariot d’une scie mécanique.
Il commencera à le devenir vers 1800. Où l’on commence à utiliser des expressions comme « traiter comme un nègre », synonyme de « traiter comme un esclave ». Au XXe siècle, le mot devient de plus en plus souvent péjoratif. Mais pas systématiquement. « L’art nègre », la « Revue nègre » ne sont pas des expressions dépréciatives. Voir également L’anthologie nègre de Blaise Cendrars en 1921. Lorsqu’Aimé Césaire crée le concept de négritude dans les années 1930, il s’agit d’une proclamation revendicative : « Qui sommes-nous dans ce monde de Blancs », demandait-il ? Jean-Paul Sartre emboita le pas en 1949 : « Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Aussi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de « nègre » qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme Noir en face du Blanc, dans sa fierté. »
Nous sommes loin de Baudelaire et le proche lointain de la femme noire :
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique
Piétinant dans la boue et cherchant l’œil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard.
Dans son édition de 2001, le Robert dit du mot « nègre » qu’il est raciste, « sauf lorsqu’il est employé par les Noirs eux-mêmes. » Un nègre est aussi le premier d’une promotion de Saint-Cyr depuis que Mac-Mahon salua un mulâtre qui avait fait mieux que les Blancs d’un « C’est vous le Nègre ? Eh bien, continuez ! »
Ce nom bizarre, Sojourner Truth, elle se l’est choisie en 1843, à l’âge de 46 ans. On peut le traduire par “ la vérité qui demeure ”. Son nom de naissance était Isabelle Baumfree. Ses parents étaient esclaves et avaient treize enfants. Elle fut vendue à l’âge de 11 ans.
Elle est unie contre son gré à un autre esclave dont elle eut cinq enfants. En 1827, après l’abolition de l’esclavage, un de ses enfants est vendu illégalement en Alabama. Elle a le courage d’aller en justice (son procès est le premier intenté par une femme noire) contre un Blanc. Elle gagne.
En 1843, elle devient méthodiste. Elle donne des conférences sur l’abolition de l’esclavage, le pouvoir des femmes et l’abolition de la peine de mort. Ses mémoires sont publiés en 1850 sous le titre : Narrative of Sojourner Truth : A Northern Slave.
Mesurant 1,80 mètre et douée d’une voix puissante, elle en impose physiquement. Elle collecte des vivres pour les régiments noirs de l’Union pendant la guerre de Sécession et cherche des emplois pour les soldats démobilisés.
Elle rencontre le président Lincoln en 1864. Elle réclame pour chaque ancien esclave « 40 acres et une mule ». Elle se prononce pour la création d’un État noir.
Quand elle meurt à 86 ans, plus de 1 000 personnes suivent son enterrement. En 2014, le magazine Smithsonian l’élit l’une des 100 personnes les plus importantes de l’histoire des États-Unis.
En 1997, le robot de la sonde spatiale “ Mars Pathfinder ” est baptisé “ Sojourner ” en sa mémoire. Sont aussi nommés en son honneur (249521) Truth, un astéroïde, et également un cratère de Vénus.
Avec le concours de la municipalité de Lyon et de l'Université Lyon 2, les amis de Michel Cornaton, décédé le 5 octobre 2020, lui ont rendu hommage les 1er et 2 octobre 2021. Docteur en sociologie et docteur ès lettres (psychologie), Michel fut professeur de psychologie à l'Université d'Abidjan (Côte d'Ivoire), professeur de psychologie sociale à l'Université Lumière Lyon 2, fondateur et directeur de la revue littéraire Le Croquant.
Ci-dessous le texte de mon témoignage lors de cette rencontre.
J’ai connu Michel Cornaton comme professeur de psychologie à l'Université Nationale de Côte d'Ivoire vers 1980. J'avais autour de trente ans et lui un peu plus de quarante. Nous fûmes collègues dans ce lointain proche où des amitiés très solides pouvaient se nouer entre expatriés. Michel est l’une des personnalités les plus singulières, les plus riches et les plus attachantes qu’il m’a été donné de côtoyer.
L'Université avait confié à Michel la grave et lourde responsabilité de fonder les enseignements et la recherche de psycho, tâche dont il s’acquitta admirablement. Avec l’estime et la reconnaissance, et des collègues ivoiriens, et des collègues français.
La maladie l’a empêché de revenir par le livre sur sa période abidjanaise. Il me dira sa « peine » de ne pas pouvoir rendre compte de son « éveil africain ». Ce fut un beau moment de sa vie. D’une part parce qu'il fonda les études universitaires de psychologie en Côte d’Ivoire en opérant une vraie synthèse entre les données de l’Université française en la matière et le champ à labourer et à théoriser des acquis africains qui avaient précédé son arrivée sur le sol ivoirien. D’autre part, parce qu'avec sa nouvelle épouse Fabienne (ancienne membre de la troupe de Maurice Béjart et qui enseigna la danse classique à Abidjan), il s’adonna de nouveau aux joies de la paternité avec son petit dernier Irénée, compagnon de jeu, dans le bac à sable de notre immeuble, de mon fils Nicolas. Au risque de surprendre, quand je pense à Michel, ce n’est pas l’image de l’intellectuel singulier et éblouissant qui vient en premier, mais celles de nos conversations sans fin, au retour de la Fac, assis sur un banc de pierre inconfortable d’où nous surveillions nos rejetons en refaisant le monde, naturellement. Il faut dire qu’il y a chez Cornaton une force intellectuelle tranquille et désarmante – à laquelle je me suis frotté pendant des années à Abidjan – quand il introduit mine de rien un argument, une réflexion dans la conversation, avec humour et en soulevant, en un effort simulé, des montagnes d’esprit qui désarçonnent.
La dernière fois où nous nous vîmes, autour d’un repas, chez moi, en compagnie de ma fille aînée Isabelle qu’il avait connue enfant à Abidjan, il exprima, en une sorte d’élégie ad hominem, de chant de mort prémonitoire, l’idée selon laquelle, en bout de vie, l’écriture servait à retrouver ceux que l’on avait aimés, en étant le porte-plume de quelque chose qui nous dépassait tous.
Sa vie durant, il resta traumatisé par sa rencontre avec Bourdieu, ce qui ne l’empêcha pas d’être le premier en France à soutenir une thèse sur la guerre d’Algérie. Il m’écrivit un jour qu’en trente ans à peine, il avait « en effet rencontré le pire des hommes, Pierre Bourdieu, en 1964, et la crème des hommes, Jean Tardieu, en 1991. Malgré la rime riche, rien de plus antithétique que ces deux êtres, le sociologue et le poète ». Et il sut donner un sens profond aux deux étapes africaines de son existence. Je me permets ici de citer l’article que j’avais consacré au dernier livre de Michel : « Par delà les justifications moralisatrices et culturelles (la « mission civilisatrice », le « fardeau de l’homme blanc »), en Algérie ou ailleurs, la colonisation, qu’elle ait été de peuplement ou non, c’était bien : « ôte-toi de là que je m’y mette », ce que, dans les années trente, Orwell avait qualifié de " racket ". Comme il n’y avait pas de place pour tout le monde sous le beau soleil africain (ou indochinois ou autre), il fut décidé de pousser les indigènes pour prendre leur place, de les obliger à se resserrer, à occuper les cases noires de l’échiquier (les mauvaises terres) pour que les Européens occupent les blanches. En 1860, un officier avait froidement planifié le bouleversement nécessaire : « Nul doute, dans un siècle, l’élément indigène se sera transformé, et le but de la France sera atteint ; ou s’il est resté réfractaire, les transactions aidant, la case blanche aura absorbé la noire. Dans ce cas, aux yeux des nations, comme devant notre conscience, nous aurons agi avec équité, et nous pourrons dire : si l’élément indigène a disparu, c’est qu’il avait à disparaître. » Jamais Michel ne mit en avant son courageux passé militant en Algérie.
Malgré l’utilisation d’un double, d’un intercesseur (ou peut-être grâce à), on peut dire qu’il n’y a pas, chez Michel Cornaton, l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre l’œuvre et l’homme. Michel ne reconstruit pas son passé : il le déconstruit pour en offrir une vision construite bourrée de sens. L’empathie qu’il éprouve pour son double est contagieuse. Comme Montaigne – et il m’avait gentiment reproché de convoquer l’auteur des Essais quand je pensais à lui –, c’est lui-même qu’il peint mais il n’a pas besoin d’avertir son lecteur que son œuvre est « de bonne foi ». Comme Montaigne il « forge son âme ». Il quête ce que les Allemands appellent Erfahrung, c’est-à-dire l’expérience accumulée, et il nous en donne l’origine. Et comme son écriture est aussi précise que limpide, on sort enrichi et heureux de l’avoir lu. »
Je voudrais terminer ce propos d’une manière que je qualifierai de « cornatonesque », c’est-à-dire, par une anecdote, en espérant faire sourire – Michel était un prince de l'humour, en particulier lorsqu'il l'adressait à ses dépens – tout en visant le sens profond de l’existence. Un jour, à Abidjan, Michel et Fabienne nous demandent de garder Irénée deux heures car ils avaient un rendez-vous impromptu. Nous acceptons, bien sûr. Au bout d’une demi heure, Irénée a une diarrhée tropicale. Nous le nettoyons et le rendons propre comme un sou neuf à ses parents qui se confondent en excuses alors qu’ils n’étaient coupables de rien. Quelques semaines plus tard, Michel nous offrit un exemplaire de son dernier livre. Dans la longue dédicace dont il eut la gentillesse de nous gratifier, il écrivit : « s’il vous arrive de vous occuper à nouveau d’Irénée et s’il a à nouveau un embarras gastrique, au moins je vous aurai fourni le papier nécessaire. »
Un magnifique portrait de Winfried Veit réalisé en cinq jours pour cette rencontre
Michel Cornaton à table avec ma fille aînée
Monte dans la R12, on va acheter des Raider au Mammouth.
Au fait, si tu vas au Mammouth, tu peux me prendre du Tang et un paquet de Triscottes ?
A propos de voiture, t’as eu ton permis de conduire dans un paquet de Bonux ou dans une pochette surprise ?
– Jean-Jacques, je crois bien que j’ai oublié mon chéquier au Shopi !
– Appelle-les. Tu as le numéro ?
– Attends je regarde dans le botin.
– Je voulais vous appeler mais je n’ai plus d’unités sur ma carte téléphonique. Me voilà Gros-Jean comme devant.
– Pas de blème ! Laisse sonner trois fois, on te rappellera dans la cabine.
Ton rôti est fameux. C’est comme Félix Potin, on y revient.
Nicolas ! Nicolas ! Nicolas, coupe internet je dois téléphoner !
Il n’y a avait plus de place en non-fumeurs. Dernière fois que je prends un Corail fumeurs.
Sans abuser, tu peux passer au vidéoclub ? N’oublie pas de rembobiner la cassette sinon ils retiennent 2 Francs.
Pour connaître les horaires des prochaines diffusions de Supercopter, c’est 36 15 code La Cinq.
Paraît que la fille à Lisette et Raymond elle a rencontré son gars sur Minitel. Non mais laissez tomber la neige quoi !
T’as le dernier Jean-Patrick Capdevielle ? T’as écouté la face B ?
J’ai une réunion à la F.O.L. mais si tu veux me joindre, n’hésite pas à me biper sur mon Tatoo, c’est hyper pratique.
– Nicolas ! Nicolas ! Nicolas, je n’ai plus la petite flèche sur l’écran.
– Je t’ai déjà dit Maman, enlève la petite boule de la souris et nettoie.
-– Tu vas chez Gérard et Elizabeth ce soir ?
– Je ne peux pas. J’ai une nouba chez René et Sylvie.
Jean-Jacques, je crois qu’on est perdu. Attends je regarde sur la carte.
Bon je me tire. Allez ciao les nazes !
M’est avis qu’il y aurait comme du rififi au jury du prix Goncourt. Siège dans ce jury la romancière Camille Laurens, qui aime les jurys puisqu’avant le Goncourt elle a fait partie pendant douze ans du Femina. Dans la vie, Camille est la compagne de François Noudelman, l’un des 16 écrivains sélectionnés pour l’emballage final. On évoque donc un conflit d’intérêts.
Il se trouve que j’ai bien connu François Noudelman lorsque, il y a une trentaine d’années, il a été recruté comme maître de conférences de philosophie à l’université de Poitiers. Brillant, et en même temps discret, modeste. Un peu trop turbo-prof, malheureusement. Il a ensuite enseigné comme professeur aux universités de Paris VIII et New York. Il a donné la pleine mesure de son talent comme directeur de la Maison française de l’université de New York et comme producteur à France Culture. Les ouvrages de Noudelman sur la littérature et la philosophie sont traduits dans une douzaine de langues. Je peux vous assurer que ses travaux sur Sartre, que j’ai lus, valent le déplacement.
Mais revenons à ce qui est peut-être, effectivement, un conflit d’intérêts. Lorsque les jurés du Goncourt incluent Noudelman dans la précieuse liste, ils savent qu’ils marchent sur des œufs. Dans le monde de l’édition française, beaucoup de gens connaissent beaucoup de gens qui connaissent beaucoup de gens. Et au milieu de tous ces gens, peuvent couler des flots d’argent nourris et impétueux. J’ai sous les yeux une photo des membres du Goncourt, debout, dans leur restaurant préféré bien connu, avant de passer à table. La moyenne d’âge a peu à envier à celle des Académiciens français. Le président Decoin y siège depuis 26 ans. Le mandarinat dans toute sa splendeur. Les Britanniques ont réglé ce problème : composé pour partie d’universitaires, d’intellectuels, de critiques littéraires, le jury du Prix Booker change tous les ans.
Le président Decoin a balayé les soupçons. « Pas de problème, ils ne sont même pas pacsés ». Tu parles, Didier…
Mais là où le bât blesse vraiment c’est que Camille Laurens a tout récemment consacré, dans Le Monde, un article très critique, pour ne pas dire venimeux, au livre d’Anne Berest, La carte postale, sélectionné également pour le Goncourt. Deuxième hasard, Berest évoque, comme l’ouvrage de Noudelman, la Shoah et la quête de l’identité juive.
Ces attaques n’ont pas plu à Didier Decoin. « Je vous le dis franchement, ça, je n’ai pas aimé du tout, du tout, du tout ! À partir du moment où l’Académie vote pour un livre, Camille Laurens faisant partie de l’Académie, elle doit être solidaire. Elle n’a pas à décréter tout à coup que ce livre est une nullité ! Nous en parlerons. » La réunion des jurés prévue pour le 5 octobre devrait donner lieu à quelques échanges sans fleurets mouchetés.
PS : François Noudelman est l'auteur d'un livre exceptionnel : Le Toucher des Philosophes Sartre, Nietzsche et Barthes au piano. Gallimard, 2008.
Je ne suis pas physicien de l'atmosphère ou météorologue. Je ne suis ni savant ni sachant en la matière. Juste observant.
Sur Facebook, je suis tombé récemment sur une photo du Glacier blanc, dans les Hautes Alpes. J'ai très bien connu ce glacier qui fait face à l'imposant Pelvoux, et que j'ai emprunté une bonne vingtaine de fois quand mes jambes et mes poumons étaient plus vaillants. C'était une randonnée exigeante, mais pour finir assez facile que l'on pouvait faire en famille. J'adorais cette montée vers le refuge du Glacier blanc à 2500 mètres, puis vers le refuge des Écrins à plus de 3000 mètres. Après la montée que j'effectuais à raison de 700 mètres de dénivelé à l'heure (oui, oui !), le plus dur pour moi c'était la descente : j'avais mal aux genoux et aux chevilles et je manquais d'équilibre dans les passages rocailleux.
En montant, j'avais toujours une pensée émue pour un curé extraordinaire qui partait, par tous les temps, du pré de Madame Carle de bonne heure le dimanche matin, marchait rapidement, y compris dans un mètre de neige, jusqu'au sommet et basculait vers la vallée de la Bérarde, un endroit sauvage de toute beauté. Il donnait son office et revenait à son point de départ.
Le glacier est d'une longueur de 5 km. Sa largeur varie de 800 à 1 000 m, et s'élève à 1 500 m dans le bassin supérieur. Son épaisseur est d'environ 200 m au niveau du bassin supérieur. Sa surface est passée en dessous des 7 km2 à la suite de la fonte des dernières années. Il ne faut pas être très pessimiste pour envisager sa disparition à moyen terme.
Comme il est peu encaissé, il n'est entouré que par une légère surface de roches. La moraine étant quasiment absente, la surface est immaculément blanche, d'où le nom.
Pour me mettre en jambes, il m'est arrivé une fois ou deux de “ faire ” le glacier noir ”, son voisin. Du temps de Madame Carle (une femme à la cuisse légère qui connut une fin dramatique), les deux glaciers ne faisaient qu'un. Il y a 35 ans déjà, le glacier noir était complètement noir.
Aujourd'hui – on est prié de ne pas se moquer de mon short – je ne pourrais plus fanfaronner à l'entrée de cette grotte de glace qui a largement fondu comme neige au soleil. Il est vrai que le glacier blanc a commencé à reculer à partir de 1870.
Pour accéder en voiture au pré de Madame Carle, c'est comme au Pont du Gard. Il faut désormais payer 2 euros. On me dit que le gérant est Vinci. Si non è vero...
Et puisque nous sommes aujourd'hui dans le moi, j'ai bien aimé l'hommage du banquier éborgneur à Belmondo :
« Nous l’aimons parce qu’il nous ressemblait ».
Parfaitement exact !
ALAIN FINKIELKRAUT MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE PENSE QUE LES ANTILLAIS SONT DES ASSISTES - RÉPONSE DE RAPHAËL CONFIANT
Alain Fienkielkraut ignore-t-il ce qu’est exactement la Martinique (à moins qu’il ne feigne de l’ignorer). Pour sa gouverne et celle de ceux qui le soutiennent dans sa croisade anti-nègre, il me semble important de rappeler un certains nombre de faits historiques :
• En 1635, les Français débarquent dans une île peuplée depuis des millénaires par les Caraïbes, île que ces derniers nommaient «Matinino» ou «Jouanakaéra». En moins de trente ans, ils massacrent ceux-ci jusqu’au dernier, continuant ainsi le génocide des Amérindiens entamé avant eux par les Espagnols et les Portugais.
• Vers 1660, et cela jusqu’en 1830, ils importent des centaines de milliers d’Africains qu’ils transforment en esclaves dans des plantations de canne à sucre lesquelles contribueront pendant trois siècles à faire la fortune des ports de Bordeaux, Nantes, La Rochelle etc… et plus généralement de la France, participant ainsi, aux côtés des autres puissances européennes, à l’esclavage des Nègres.
• En 1853, l’esclavage aboli car désormais non rentable, ils importent, et cela jusqu’en 1880, des dizaines de milliers d’Hindous du Sud de l’Inde qu’ils installent sur les plantations, en partie désertées par les anciens esclaves noirs, et leur imposent un système d’asservissement et de travail forcé qui n’a rien à envier à l’esclavage.
• Toujours en 1853, les planteurs békés importent des centaines de Chinois de Canton qu’ils jettent, eux aussi, dans les champs de canne à sucre. Ceux-ci se révoltent vite contre les mauvais traitements qui leur sont infligés et désertent les plantations, ce qui entraînera l’arrêt de l’immigration chinoise. Les Chinois s’installeront alors dans les bourgs et les villes de la Martinique en tant qu’épiciers ou restaurateurs. Ma propre grand-mère paternelle (née Yang-Ting) fut l’une des descendante de ces « coolees chinois ».
• À partir des années 1880-90, des dizaines de milliers de Syro-Libanais fuient la Syrie et le Liban que venaient d’occuper la France et l’Angleterre suite à l’effondrement de l’Empire ottoman. Beaucoup émigreront en Afrique noire et en Amérique latine. Une partie d’entre eux s’installera aux Antilles et en Guyane, devenant au fil du temps des Arabes créoles et enrichissant ainsi notre culture d’une nouvelle facette. Eux aussi connurent l’exil et la souffrance par la faute de l’impérialisme européen.
• En 1960, l’Etat français crée le BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements d’Outre-Mer) et importe des dizaines de milliers de postiers, filles de salles et infirmières, ouvriers d’usine et autres agents de police antillais qui, aux côtés des travailleurs immigrés maghrébins, contribueront pour une large part à ce qu’il est convenu d’appeler les «trente glorieuses».
Telle est, en raccourci, l’histoire de la Martinique. On est loin des plages de sable blanc, des cocotiers et des belles «doudous», n’est-ce pas? Mais sans doute est-il bon de rappeler deux autres points à Alain Fienkielkraut :
• A l’abolition de l’esclavage des Noirs (1848), pas un arpent de terre, pas un sou de dédommagement n’a été accordé aux anciens esclaves lesquels n’avaient d’autre ressource que de défricher les mornes (collines) de nos îles pour tenter de survivre grâce à des jardins créoles ou de retourner travailler, en tant qu’ouvriers agricoles sous-payés, sur les mêmes plantations où leurs ancêtres et eux avaient été réduits en esclavage.
Même aux Etats-Unis, accusés pourtant d’être, dans le Sud profond (Mississipi, Alabama etc.), un enfer pour les Nègres, l’Etat s’est fait un devoir d’accorder à chaque ancien esclave «twenty-two acres and a mule» (vingt-deux acres de terre et un mulet). Ou en tout cas avait au moins promis de le faire. Cette formule anglaise est d’ailleurs, très symboliquement, le nom de la compagnie cinématographique du cinéaste noir américain Spike Lee. Aux Antilles, une fois les chaînes ôtées, le nègre s’est retrouvé Gros-Jean comme devant.
• Pas rancunier pour deux sous, le Nègre antillais a participé à toutes les guerres qu’a lancé ou qu’a subi la France: guerre de conquête du Mexique en1860 au cours de laquelle le «bataillon créole», de son nom officiel, fit preuve d’une bravoure extrême comme le reconnurent elles-mêmes les autorités militaires françaises; guerre de 1870 contre l’Allemagne; guerre de 14-18 au cours de laquelle de nombreux soldats martiniquais furent décorés pour leur vaillance lors de la fameuse bataille des Dardanelles; guerre de 39-45 au cours de laquelle 8’000 volontaires Martiniquais et Guadeloupéens gagnèrent, au péril de leur vie, les îles anglaises voisines d’où ils purent rejoindre les Forces Françaises Libres du Général De Gaulle et participer ainsi aux combats, alors même que nos îles étaient dirigées par deux gouverneurs vychistes, les amiraux Robert et Sorin; guerre d’Indochine où périrent de nombreux Antillais (notamment à Dien Bien Phu); guerre d’Algérie au cours de laquelle, pour un Frantz Fanon, un Daniel Boukman ou un Sonny Rupaire qui rallièrent le FLN, des centaines de soldats antillais participèrent sans état d’âme à cette «sale guerre»; guerre du Tchad dans les années 80 etc…etc…
Alors, anti-blancs et francophobes les Martiniquais? Assistés les Antillais alors que pendant trois siècles, ils ont travaillé sans salaire, sous le fouet et le crachat, pour enrichir et des planteurs blancs et l’Etat français?
Que pèsent, en effet, ces cinquante dernières années de «départementalisation» et de juste remboursement de la dette de l’esclavage face à ces trois siècles d’exploitation sans merci? Sans doute faudrait-il aussi rappeler à Alain Fienkielkraut qu’au XVIIIè siècle, la France faisait les trois-quarts de son commerce extérieur avec Saint-Domingue (devenue Haïti), la Martinique et la Guadeloupe et qu’entre ces «quelques arpents de neige du Canada» comme l’écrivait Voltaire et les Antilles, elle n’hésita pas une seconde. Aux Anglais, le Canada peu rentable à l’époque (d’où le lâche abandon des Canadiens français, subitement redécouverts par De Gaulle en 1960). Aux Français, les riches terres à sucre de canne, café, tabac et cacao des Antilles.
Toute personne qui fait fi des données historiques et sociologiques présentées plus haut (et je n’ai même pas parlé de l’idéologie raciste et anti-nègre qui a sévi dans nos pays pendant trois siècles!) ferait preuve soit de malhonnêteté intellectuelle soit d’ignorance. Je préfère accorder le bénéfice du doute à Alain Finkielkraut et croire qu’il ignorait tout cela avant de traiter les Antillais d’assistés. Mais venons-en maintenant à la question de l’anti-sémitisme des Antillais. Et là, que l’on me permette d’énoncer une vérité d’évidence: la Shoah est un crime occidental! Comme l’a été le génocide des Amérindiens, comme l’a été l’esclavage des Noirs, comme l’a été la déportation des Hindous, comme l’a été l’extermination des Aborigènes australiens etc… Le terme de «crime contre l’humanité» est une hypocrisie. Un faux-semblant. Une imposture.
En effet, quand un individu commet un crime, personne ne songerait à taire son nom. Thierry Paulin (Antillais), Guy Georges (métis de Noir américain et de Français) et Patrice Allègre (Français) sont des «serial killers». Fort bien. Mais alors qu’on m’explique pourquoi, quand il s’agit d’un crime commis par un peuple, un état ou une civilisation bien particulière, on s’acharne à en dissimuler le nom? Pourquoi? Non, monsieur Fienkielkraut, si la Shoah est bien une abomination, elle n’a été mise en œuvre ni par les Nègres, ni par les Amérindiens, ni par les Chinois, ni par les Hindous, ni par les Arabes.
Elle a été mise en œuvre par l’Occident. Ce même Occident qui n’a cessé de pourrir la vie des Juifs depuis 2.000 ans. Citons :
• Destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 et dispersion du peuple Juif.
• Inquisition au Moyen-âge par les Espagnols.
• Pogroms au XIXè siècle par les Russes et les Polonais.
• Chambres à gaz par les Allemands au XXè siècle.
• Rafle du Vel d’Hiv’ par les Français au même siècle etc.
Et puis, deux petites précisions à nouveau et là, Alain Fienkielkraut ne peut feindre l’ignorance :
• Le Protocole des Sages de Sion n’a été rédigé ni en hindi, ni an quechua, ni en swahili, ni en chinois, ni en arabe. C’est un faux grossier, un chef d’œuvre d’anti-sémitisme, concocté par la police tsariste et écrit en russe, langue européenne si je ne m’abuse.
• Ce ne sont pas les Juifs vivant dans les pays arabes, les Séfarades, qui ont dû fuir comme des dératés pour s’en aller construire un état où ils seraient enfin libres mais bien les Juifs d’Europe, les Ashkénazes, parce qu’ils avaient compris qu’il ne pouvaient plus vivre sur ce continent. Quand la France arrive, par exemple, en Algérie, en 1830, elle découvre trois populations vivant en relative harmonie, les Arabes, les Berbères et les Juifs. Certes, en terre musulmane, le Juif avait un statut inférieur, dit «de protégé» car peuple du Livre, mais on n’a jamais entendu parler, ni au Maroc, ni en Tunisie, ni au Yémen d’entreprise scientifiquement élaborée d’extermination du peuple juif.
Ma question à Alain Fienkielkraut est donc simple, naïve même: pourquoi après avoir subi tant d’avanies de la part de l’Occident vous considérez-vous quand même comme des Occidentaux? Pourquoi un ministre des affaires étrangères d’Israël s’est-il permis de déclarer récemment: «Nous autres, Occidentaux, nous ne nous entendrons jamais avec les Arabes car ce sont des barbares». Toute la presse bien-pensante d’Europe s’est émue du mot «barbares». Moi, ce qui m’a choqué par contre, c’est le terme «Occidentaux». Comment, monsieur Fienkielkraut, peut-on se réclamer de l’Occident après avoir subi l’Inquisition, les pogroms, les chambres à gaz et la rafle du Vel d’Hiv’? Oui, comment ?
Quand vous aurez répondu à cette question, le vrai débat pourra commencer…
Ceci dit, il ne s’agit pas pour moi de diaboliser l’Occident. C’est, paradoxalement, le continent de tous les extrémismes: extrémisme dans la violence (génocide, esclavage, Shoah); extrémisme dans la générosité (comparons, par exemple, la formidable mobilisation européenne à l’occasion du tsunami en Asie du Sud-Est et les centaines de millions d’euros d’aide récoltés à cette occasion avec l’inertie scandaleuse des riches royaumes et émirats arabes où, pourtant, travaillent comme serviteurs des dizaines de milliers de travailleurs émigrés indonésiens). L’Occident est capable du meilleur et du pire. Il est inégalable dans le meilleur et dans le pire.
Un ultime point tout de même: quand vous déclarez, sur Radio Communauté Juive, que nous détesterions Israël «parce que ce n’est pas un pays métissé», je préfère croire que vous voulez rire. Quel pays est plus multiculturel et plus multilingue qu’Israël avec ses blonds aux yeux bleus russophones, ses Noirs d’Ethiopie (Falashas) parlant l’amharique, ses Séfarades au type sémite et souvent arabophones et même ses Juifs indiens et chinois, sans même parler du million d’Arabes israéliens ?
Raphaël Confiant