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13 avril 2022 3 13 /04 /avril /2022 05:10

Par Luk Vervaet, pour Le Grand Soir

 

En avril 2015, Mme Hillary Clinton a prononcé un discours à l'Université de Columbia dans lequel elle a admis ce que l'on peut lire dans n'importe quelle statistique carcérale : environ un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis (1). Bien sûr, elle n'a pas eu de pensée pour Julian Assange, qui à ce moment était caché depuis trois ans à l'ambassade d'Équateur pour échapper à cette folie carcérale. Elle n'a pas non plus mentionné la peine absurde de 175 ans qu’encourt Assange s'il est reconnu coupable aux États-Unis. Elle ne parlait pas de la peine de mort toujours appliquée, ni du côté le plus sombre du système pénitentiaire étasunien : le régime des prisons de sécurité maximale (supermax) et des mesures administratives spéciales (SAM). Là encore, l'affaire Assange a levé un bout du voile : une juge anglaise a statué en janvier 2020 qu'il ne survivrait pas à une incarcération dans une prison supermax ou à l'imposition des SAM.

 

Pour beaucoup, ce fut un choc : existe-t-il des prisons où l’incarcération mène à la mort et au suicide ? D’autres encore ont entendu les mots ADX, supermax et SAM pour la première fois. Pas étonnant quand on sait que ces mots et ce qui se cache derrière ne sont pas ou peu connus, même aux États-Unis.

À partir de quelques chiffres sur le nombre de détenus, les types de prisons et les niveaux de sécurité, commençons par la première caractéristique du Goulag étasunien : son caractère de masse historiquement inédit. Pour ensuite pénétrer sa face la plus cachée, celle de la supermax et des SAM.

 

Vol au-dessus d’un archipel carcéral

Qu’est-ce que Nils Christie appelle « le goulag américain » ? (2) Qu’est-ce que Loïc Wacquant appelle « la folie carcérale américaine d’une ampleur et d’une durée sans précédent dans l’histoire de l’humanité » ? (3) Qu’est-ce que le "Golden Gulag", le titre du livre mondialement connu de Ruth Gilmore, dans lequel elle analyse l’État de Californie où au cours des dernières décennies, des prisons ont été construites sur une longueur de 900 miles, près de 1500 km de béton et d’acier ! (4)

Au cours des dernières décennies, la population carcérale a augmenté de façon explosive, de 500 % en 40 ans. Aujourd’hui, 2 300 000 personnes sont derrière les barreaux. (5) Cela signifie que pour 100 000 personnes il y en a 710 en prison. Le chiffre de 710 est une moyenne : pour la population noire c’est 1 408 personnes sur 100 000, pour les Latinos c’est 378 sur 100 000 et pour les blancs c’est 275 sur 100 000. Les Noirs sont incarcérés 5 fois plus que les Blancs.

Quelque 274 000 détenus dans les prisons d’État et fédérales sont âgés de 50 ans ou plus.

Quarante pour cent de la population carcérale souffre de problèmes chroniques de santé.

Environ 2 500 détenus attendent d’être exécutés dans le couloir de la mort.

Le nombre de personnes condamnées à perpétuité sans aucune chance d’être libérées (without parole) est passé de 12 000 en 1992 à plus de 53 000 aujourd’hui.

Au cours de la seule année 2019, 700 détenus se sont suicidés dans des prisons locales, étatiques ou fédérales. En 20 ans – de 2000 à 2019 – 6 200 détenus se sont suicidés dans les prisons locales. Au cours de la même période, 4 500 détenus se sont suicidés dans les prisons d’État et fédérales, soit une augmentation de 83 % en vingt ans. « Les prisons d’État deviennent de plus en plus des lieux meurtriers », ont écrit Leah Wang et Wendy Sawyer en juin de cette année dans la Prison Policy Initiative : « Les statistiques montrent une augmentation alarmante des suicides, des homicides et des décès liés à la drogue et à l’alcool dans les prisons d’État. Aussi en 2019, 143 détenus ont été assassinés dans les prisons des différents États, 11 détenus ont été assassinés dans les prisons fédérales ». (6)

En plus des prisonniers derrière les barreaux, 878 000 Américains sont "libres" on parole, en liberté conditionnelle. Au total, 6 700 000 d’adultes sont sous une forme de contrôle judiciaire. Entre 70 et 100 millions d’États-Uniens – un sur trois – ont un casier judiciaire.

 

La classification des détenus selon le risque de sécurité

La subdivision selon les niveaux de sécurité et dans les prisons qui fonctionnent selon ce niveau de sécurité a été poussée à son apogée au cours des dernières décennies et est un modèle suivi dans le monde entier. Le détenu se voit attribuer un niveau de sécurité, souvent non pas en fonction de son comportement en prison, mais en fonction de l’étiquette qu’il reçoit de l’extérieur. Les prisons fédérales ont cinq niveaux de sécurité, les prisons d’État trois. Quels sont-ils ?

Le niveau de sécurité de la prison supermax (Admax), comme celle d’ADX Florence, comme je le décrirai plus bas, est le plus élevé et le plus extrême. Officiellement, seuls les détenus les plus dangereux et les plus violents sont enfermés dans les prisons supermax.

Après le niveau supermax vient le niveau Haute Sécurité pour « détenus dangereux et récidivistes ». Il est similaire à celui de la sécurité supermax – les détenus sont dans des cellules séparées et sous étroite surveillance –mais ils ont plus de contacts et ils ont également la possibilité de passer du temps à l’extérieur de leurs cellules. Vient ensuite le niveau de Sécurité Moyenne, pour les « détenus à danger moyen et les récidivistes ». Il y a un suivi systématique, mais les détenus peuvent travailler et recevoir une formation, ce qui signifie qu’ils peuvent rester plus longtemps hors de leur cellule. Vient ensuite le niveau Basse Sécurité : pour les détenus non dangereux et non violents. La prison à faible sécurité est similaire à la prison à sécurité moyenne, mais les détenus sont considérés comme posant le risque le plus faible pour le public (ils doivent purger moins de 20 ans de prison). Ils sont enfermés dans des dortoirs, ont la possibilité de travailler, même en dehors de la prison. Ils peuvent participer à des séances de groupe et à des projets de rectification pour se « réintégrer ». Enfin, il y a la Sécurité Minimale, appliquée dans les prétendus camps de prisonniers fédéraux (FPC), qui ressemblent plus à des camps qu’à des prisons. Pas de risque d’évasion, les prisonniers dorment dans des dortoirs, il y a peu de personnel et il y a du travail.

La classification ne dit encore rien sur le contenu. L’Equal Justice Initiative [qui aide des prisonniers condamnés à tort ou qui n'ont pas bénéficié d'un procès juste] résume ainsi la situation actuelle dans les différentes prisons et centres de détention : « Depuis les années 1990, il y a eu une explosion nationale de la détention et les conditions de détention ont commencé à se détériorer. Aujourd’hui, les prisons sont en crise. Les prisonniers sont battus, poignardés, violés et assassinés dans des établissements dirigés par des fonctionnaires corrompus qui abusent de leur pouvoir en toute impunité. Les gens qui ont besoin de soins médicaux, qui ont besoin d’aide pour leur handicap, leur santé mentale, leurs problèmes de dépendance, pour la prévention du suicide ne reçoivent aucun soin. Ils sont ignorés, punis et placés à l’isolement... » (7)

 

Les prisons et les centres de détention pour migrants

1 330 000 détenus sont incarcérés dans 1 719 prisons d’État. 210 000 détenus se trouvent dans les 122 prisons fédérales. 34 000 jeunes dans 901 centres de détention pour mineurs. 740 000 dans 3 283 prisons locales. (8)

Il existe 58 prisons militaires, dont la base militaire de Guantanamo, et 11 centres de détention militaires américains en Europe et en Asie.

Il y a 79 prisons sous l’autorité du Bureau des affaires indiennes. Il y a les centres d’engagement civil, les centres de détention pour malades psychiatriques et les délinquants sexuels, qui y sont parfois incarcérés après avoir purgé leur peine de prison.

Selon le Global Detention Project, les États-Unis ont le plus grand système de détention pour migrants au monde.

En 2013, les États-Unis détenaient 441 000 personnes dans ces centres, en 2018 il y en avait 396 448, et en 2019, le nombre total de détenus migrants était de 503 488. Pour environ 95 % de ces détenus, la détention dure de six mois à quatre ans. Après une décision des autorités de l’immigration, ils peuvent être expulsés du pays. En juin 2019, l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) exploitait 214 centres de détention pour sans-papiers, demandeurs d’asile et migrants criminels. Dans 163 de ces centres, il y a aussi des femmes détenues. En 2017, plus de 70 % des personnes détenues par l’ICE se trouvaient dans des centres gérés par des sociétés privées telles que le groupe GEO et la Corrections Corporation of America/CoreCivic. À son tour, en 2019, une autre agence de sécurité des frontières (CBP : Customs and Border Protection, la Border Patrol) a détenu entre 14 000 et 18 000 migrants dans ses propres « centres de traitement ». Toujours en 2019, plus de 12 000 enfants de migrants se trouvaient dans des institutions sous la supervision du « programme de l’Office de réinstallation des réfugiés pour les enfants étrangers non accompagnés ».

Avec ces chiffres, qui ne devrait pas penser aux "garanties de traitement humain" dans l’extradition de Julian Assange. Prenons l’exemple de la prison de Rikers Island. Celle-ci n’est pas une prison supermax et il n’y a pas de SAM, elle est donc couverte par les garanties de traitement humain. Et regardons aussi la résistance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison.

 

Rikers Island, une prison sous garanties

Le 6 décembre, la télévision flamande VRT (Terzake) a diffusé un reportage de Björn Soenens sur Rikers Island, une méga-prison sur une île entre le Bronx et le Queens de New York, sous le titre « Viol, torture, sans air pendant des mois : bienvenue à Rikers Island, aux oubliettes de New York ». (9)

Un mois plus tard, en janvier 2022, une autre nouvelle : des centaines de détenus de Rikers Island refusaient de se nourrir. Ils se sont plaints d’avoir été interdits de quitter leurs cellules pendant des semaines, qu’ils vivaient dans le froid et dans des conditions insalubres, qu’il y avait une violence constante dans la prison, que 370 détenus avaient été testés positifs pour le virus corona et que seulement la moitié de la population carcérale était entièrement vaccinée. (10)

Datant de 1932, la prison de Rikers Island entasse environ 10 000 détenus, dont environ 90% sont des Noirs ou des Hispanos. Ils sont répartis dans onze bâtiments pour hommes, femmes et mineurs. Rikers Island se classe parmi les dix pires prisons de l’ensemble des États-Unis (11), caractérisée par "la violence des détenus et des gardiens, le viol, la maltraitance des mineurs et des malades mentaux, l’utilisation extrême de l’isolement cellulaire". Dans des vidéos ou dans la mini-série Netflix 2019 d’Ava DuVernay "Quand ils nous voient" sur les Central Park Five, vous avez un aperçu de la brutalité raciste de Rikers Island. Plusieurs livres ont été publiés à ce sujet, comme Life and Death in Rikers Island d’Homer Venters, l’ancien chef du personnel médical des prisons de New York, qui réclamait la fermeture de Rikers Island. (12) Selon les plans actuels, la prison serait fermée en 2026. Mais les plans ont changé et aujourd’hui la fermeture est reportée à 2028. Rikers Island serait alors remplacée par quatre prisons locales ultramodernes. (13)

Dirigée par Akeem, frère de Kalief Browder, 22 ans, qui s’est suicidé en 2015 après être rentré chez lui, traumatisé de Rikers Island, une campagne « Campaign to Shut Down Rikers » a été lancée pour exiger la fermeture immédiate de Rikers Island. Akeem a également fondé la Fondation Kalief Browder pour "démanteler le pipeline de l’école à la prison et développer l’intelligence socio-émotionnelle (SEI) pour les jeunes et les jeunes adultes".(14) Kalief avait 16 ans lorsqu’il a été envoyé à Rikers Island sans procès, soupçonné d’avoir volé un sac à dos. Le garçon a toujours clamé son innocence et a exigé un procès. Mais il n’y a pas eu de procès, même pas après avoir passé près de trois ans à Rikers en détention préventive. Pendant cette période, il a été attaqué plusieurs fois par des gardiens et d’autres détenus. Il a passé quelque 800 jours en isolement cellulaire, où les gardiens ont refusé à plusieurs reprises de lui donner de la nourriture. Vers la fin de son incarcération, le juge lui a proposé une négociation de peine (plea bargain) : s’il plaidait coupable, il serait condamné au temps qu’il avait déjà passé en prison. S’il refusait, il risquait d’être condamné à 15 ans de prison. Kalief a refusé la proposition. Il est resté en prison jusqu’à ce que l’affaire soit finalement abandonnée. Après sa libération, Kalief s’est suicidé dans son appartement du Bronx. Seize mois plus tard, sa mère est décédée, le cœur brisé par la perte de son fils. La mort tragique de Kalief Browder a également été à l’origine de la création de la campagne No New Jails. Non seulement ils militent pour la fermeture de Rikers Island, mais ils refusent la construction de nouvelles prisons. (15)

 

Le côté obscur : ADX Florence, Pelican Bay, Guantanamo, SAMs.

Il a fallu des décennies pour que les premiers rapports parviennent au public sur ce qui se passait dans les prisons supermax américaines. « La prison supermax a commencé comme une réponse des autorités pénitentiaires au mouvement radical des droits civiques aux États-Unis dans les années 1970 », écrit Keramet Reiter, « d’une forme exceptionnelle de détention, elle est rapidement devenue une routine. Lorsque la période de détention massive est arrivée dans les années 1980, le modèle s’est répandu partout aux États-Unis. Au cours des années 1990, les tribunaux ont affirmé leur constitutionnalité. » (16) Ces prisons dans les prisons, qui s’y trouve, pourquoi et pour combien de temps ont été quasiment à l’abri de tout examen public à ce jour. Ce n’est qu’en 2015 qu’un juge a statué que les conditions de détention des détenus en isolement cellulaire étaient « insuffisamment soumises à une enquête ou à l’intérêt public ». Ce sont les grèves de la faim des détenus, le travail inlassable d’une poignée d’avocats, de militants des prisons et de journalistes qui, comme à Guantanamo, ont mis en évidence les conditions inimaginables dans ces prisons. Les livres de ceux qui y ont été enterrés vivants pendant des décennies et qui y ont survécu ou y sont morts y ont également contribué. Comme les écrits de Georges Jackson (30). (17) Ou le livre récent Solitary : Unbroken by Four Decades in Solitary Confinement d’Albert Woodfox (75 ans), qui a passé plus de 40 ans en isolement à la prison d’Angola en Louisiane, dans une cellule dans une cellule mesurant 2 m x 2 m, 23 heures par jour. (18) Ou le témoignage de Paul Redd (63 ans, atteint d’un cancer) qui a passé plus de 30 de ses 44 ans à l’isolement, 22 à 24 heures sur 24, seul dans une cellule bétonnée, sans fenêtre et mal aérée. (19) Avec son livre Live from Death Row (En direct du couloir de la mort), traduit en sept langues, le journaliste incarcéré Mumia Abu Jamal (en prison depuis 40 ans cette année) a attiré l’attention internationale sur l’horreur de la prison américaine.

Le journaliste Julian Assange a fait connaître au monde le camp de torture de Guantanamo à travers les « Gitmo files » de Wikileaks. Et sans le vouloir, il est lui-même devenu une figure de proue contre les pratiques d’isolement total dans les prisons américaines. Examinons de plus près ces pratiques.

 

ADX Florence

Comme pour la taille de vêtements XL, le X dans ADX Florence signifie Taille maximale. AD signifie « Administratif ». Florence représente l’endroit où se trouve cette prison fédérale : près de Florence dans l’État du Colorado. Datant de 1994, la prison est également appelée "l’Alcatraz des Rocheuses". Depuis les années 1980, 44 États des EU ont construit de telles prisons supermax, soit un total de 57.

ADX Florence a été conçue par deux cabinets d’architectes, le groupe DLR et les partenaires LKA de Colorado Springs. Dans la plupart des cas, les détenus sont seuls dans leur cellule 23 heures sur 24 et sont systématiquement surveillés. Dans une prison supermax, les détenus ne peuvent ni se voir ni voir le monde extérieur.

ADX Florence abrite quelques 430 détenus de sexe masculin, chacun affecté à six niveaux de sécurité. Presque tout le mobilier de la cellule est en béton coulé, y compris la table, la chaise et le lit. Chaque cellule contient des toilettes qui peuvent être verrouillées de l’extérieur par les gardiens, empêchant un détenu d’inonder sa cellule. La cellule comprend une douche qui fonctionne également sur une minuterie pour éviter les inondations, et un évier sans tuyau de vidange "potentiellement dangereux".

Les détenus sont autorisés à acheter une petite télévision (noir et blanc) sans haut-parleurs et à conserver les éléments suivants : une recharge pour un stylo à bille ; cinq livres et magazines ; un carnet d’adresses ; cinq cartes de vœux ; 15 photos ; 15 feuilles de papier à lettres. Tous des privilèges qui peuvent être retirés en guise de punition. Sont interdits : les chapeaux ; bandeaux ; pulls molletonnés ; maillots de corps ; tongs ; cotons-tiges ; après-shampooing, graisse ou gel, baume à lèvres, mouchoirs, calendriers, horloge, matériel de loisirs et d’artisanat, instruments de musique.

Les fenêtres des cellules, de 10 cm sur 1,2 m, sont conçues pour empêcher le détenu de savoir où il se trouve dans ce complexe, car il ne peut voir que le ciel et le toit. Les détenus s’entraînent dans ce qui a été décrit comme une « piscine vide » afin qu’ils ne sachent pas comment ni où ils pourraient s’échapper. Les appels téléphoniques vers le monde extérieur sont interdits et la nourriture est livrée personnellement par des gardiens. La participation à des services religieux, à l’éducation, au travail, à la formation, à manger ensemble ou à faire de l’exercice ensemble est interdite. L’accès aux soins médicaux et psychiatriques est sévèrement limité. La prison contient un grand nombre de détecteurs de mouvement et de caméras, 1400 portes en acier télécommandées, des clôtures en fil de fer barbelé de 3,66 m de haut, des faisceaux laser, des coussinets de pression et des chiens d’attaque qui gardent la zone entre les murs de la prison. Les détenus doivent rester à l’isolement 22 à 23 heures par jour. (20)

Supermax existe aux niveaux fédéral et étatique. Ainsi, il y a par exemple Pelican Bay, la prison supermax de l’État de Californie. Elle a été ouverte en 1989 et peut accueillir 2 380 détenus. Aujourd’hui, il y en a 300 de plus. Près de la moitié de ces détenus sont en milieu carcéral collectif. Mais 1 500 d’entre eux sont en isolement dans l’Unité d’Hébergement de Sécurité (USD) et l’Unité d’Hébergement Administrative (AHS). Ils y passent 22,5 heures par jour, seuls, dans des cellules sans fenêtre d’environ 2 mètres sur 3,50. Les 90 minutes restantes sont passées, à nouveau seul, dans des cabines en béton. Aucun appel téléphonique n’est autorisé, juste une rare visite sans contact, leur seul contact avec le monde se fait par un conduit par lequel les repas sont passés. (21)

Albert Woodfox a passé 43 ans dans de telles circonstances. Dans une interview, il a déclaré : "L’isolement cellulaire en prison est l’attaque non physique la plus odieuse et la plus brutale contre un être humain. J’ai vu des prisonniers devenir fous. J’ai vu des automutilations, des hommes se blesser en essayant d’échapper à la pression d’être enfermé dans une cellule de 2 mètres sur 3 pendant 23 heures par jour. (22)

 

SAM

Le système des mesures administratives spéciales (SAM) a été inventé à la fin des années 1980. Au début, elles ne s’appliquaient qu’à quelques individus jugés dangereux jusqu’à ce qu’à partir des attentats de New-York en 2001, elles soient étendues à une cinquantaine de détenus à travers les États-Unis. Dans un rapport, des chercheurs décrivent ces mesures spéciales comme suit : « C’est une forme d’isolement qui est encore plus extrême que l’isolement lui-même. Les mesures sont le côté le plus sombre du système pénitentiaire fédéral aux États-Unis. Elles combinent la brutalité et l’isolement dans des unités de haute sécurité avec des restrictions supplémentaires qui privent les individus de tout lien avec le monde humain. Les SAM sont imposées aux détenus qui sont généralement déjà en isolement cellulaire, et elles intensifient cette expérience. Le droit de communiquer avec des personnes extérieures à la prison, le droit d’avoir des conversations personnelles avec un avocat, le droit d’obtenir des informations, tous ces droits sont limités à l’extrême ou n’existent plus. Les mesures sont principalement imposées dans la période précédant le procès. Cette période peut durer des années. Il est clair que ces mesures visent à briser le détenu, à le contraindre à coopérer, le réduisant à ce qu’on appelle un état de learned helplessness, un état « d’impuissance apprise », qui fait qu’un détenu est à tel point brisé qu’il ne voudra même pas s’échapper si l’occasion se présente. (23)

 

Guantanamo

La plupart d’entre nous savent que les nazis avaient un système sophistiqué de classification de la population et des prisonniers. En plus d’un numéro encré sur le front ou tatoué sur la peau avec un tampon métallique ou une aiguille, les détenus des camps nazis portaient des insignes : un triangle vert pour les prisonniers de droit commun, lesquels devaient souvent contrôler les deux autres catégories : les prisonniers politiques avec un triangle rouge, et les Juifs avec une étoile rouge-jaune. Un travailleur forcé étranger recevait un badge bleu. Un violet pour un témoin de Jéhovah. Un rose pour un homosexuel. Un noir pour un asocial, auquel s’ajoutait un Z pour les Roms et les Sinti. Et ainsi de suite.

Des groupes de personnes ont ainsi été déshumanisés par les nazis, réduits à des objets appartenant à une catégorie. Pour Zygmunt Bauman, dans son analyse du génocide de l’Holocauste, effacer l’existence de l’individu concret, en le dépersonnalisant et en le cataloguant dans des catégories abstraites, rendait un génocide possible. (24)

En janvier 2002, les 20 premiers détenus arrivaient à Guantanamo. Ils étaient amenés par avion, enchaînés, avec des cagoules noires et des lunettes de soudure sur la tête, ils portaient des couches. Des centaines d’autres les ont suivis : 779 hommes et garçons musulmans de 49 pays. Le plus jeune n’avait que 14 ans quand il est arrivé. Le plus âgé avait 89 ans. Ils devaient porter un costume orange. S’ils ne coopéraient pas, ils gardaient ce costume, s’ils le faisaient, ils recevaient un costume blanc. Selon différents niveaux de sécurité, ils étaient logés dans sept casernes (« camps ») différentes, selon un régime carcéral en vigueur dans les prisons étasuniennes continentales. Pendant des années, les détenus ont été soumis à la torture et à des humiliations rituelles, sans inculpation ni jugement, sans aucune certitude juridique.

Aujourd’hui, deux décennies, vingt ans (!), après l’ouverture du camp, 39 personnes y vivent toujours. Ce sont les « prisonniers éternels » : 27 d’entre eux n’ont même pas été inculpés et leurs espoirs de libération sont nuls. Beaucoup d’entre eux restent incarcérés pour la simple raison qu’ils témoigneraient à leur libération sur le traitement qu’ils ont subi.

Le camp de Guantanamo n’est peut-être pas un camp d’extermination, mais ce qui s’est passé dans ce camp, ou dans ceux d’Abu Graibh, de Bagram et des prisons secrètes de la CIA, ce sont des pratiques fascistes. Imaginez un instant que l’Allemagne ait déclenché les guerres contre l’Irak et l’Afghanistan en 2001, qu’elle ait pratiqué la détention de masse comme aux États-Unis, et qu’elle ait développé des « restitutions extraordinaires », des « techniques d’interrogatoire renforcées », des « sites noirs », y aurait-il quelqu’un qui hésiterait à dire que le fascisme est de retour ?

 

Le Goulag comme laboratoire de l’extrême isolement et de l’immobilité

L’isolement est une caractéristique commune des nouvelles prisons aux États-Unis. Cela se reflète dans ses nouvelles structures et régimes, où le contact humain est réduit au minimum absolu grâce à l’utilisation des technologies les plus modernes. Alex Kozinski, ancien juge en chef de la Cour d’appel des États-Unis, a assimilé la pratique de l’isolement extrême à l’utilisation de la peine de mort, voire pire. « Maintenir des prisonniers en isolement pendant des décennies est une forme de torture, qui pourrait faire passer une exécution rapide pour un acte de grâce », a-t-il déclaré. (25)

Les autorités étasuniennes ont assuré qu’Assange ne serait pas enfermé à l’ADX Florence et qu’il ne serait pas placé sous les mesures SAM. Garanties données sans hésitation. Car les autorités ne se préoccupent pas d’une prison en particulier ou d’un mode de détention en particulier : après tout, les pratiques d’isolement extrême qui s’appliquent dans les prisons supermax sont présentes au sein de l’ensemble du système pénitentiaire.

Dans le régime carcéral normal, il existe des unités d’isolement total appelées unités de logement séparées. Selon la prison, ces unités sont appelées : SHU, IMU, SMU, AU, CU, MCU, CMU, STGMU (Unité d’hébergement de sécurité, Unité de gestion intensive, Unité de gestion spéciale, Unité de ségrégation administrative, Unité de contrôle, Unité de gestion des communications, Unité de sécurité unités de gestion des groupes menaçants...) Plus de 80 à 100 000 détenus qui composent la population carcérale des prisons fédérales ou étatiques se trouvent dans ces unités qui fonctionnent exactement comme ADX Florence (26) et comme des laboratoires de détention en isolement extrême. (27)

Partant de la prison supermax de Pelican Bay, le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman a fait une analyse de ces nouvelles prisons. Dans son livre Globalization : The Human Consequences, (28) Bauman écrit que la prison moderne ne ressemble plus aux anciennes prisons de type Panopticon. Là, Il y avait un poste d’observation, le point essentiel de la prison, au centre de la prison, sur lequel toutes les ailes passaient. Toutes les activités des prisonniers étaient observées en permanence. Mais dans une prison comme Pelican Bay, écrit-il, il n’y a aucune activité. Ce que les prisonniers isolés font dans leurs cellules n’a plus d’importance. Tout ce qui compte, c’est qu’ils restent enfermés. Pelican Bay n’est pas conçue pour être une usine où vous apprenez la discipline ou apprenez à travailler de manière disciplinée, dit Bauman. Elle a été conçue comme une fabrique de l’exclusion, une fabrique de l’immobilisme pour ceux qui sont déjà habitués à être exclus. Pelican Bay est proche de réaliser l’immobilité parfaite.

Bauman trace une ligne des camps de concentration jusqu’à la prison moderne de Pelican Bay. Il écrit : « Les camps de concentration étaient les laboratoires de la société totalitaire, où les limites de la soumission humaine et de l’esclavage étaient testées. Les prisons panoptiques étaient les laboratoires de la société industrielle, où les limites de la routine et du répétitif dans l’humain étaient explorées. La prison de Pelican Bay est un laboratoire de la société mondialisée ou planétaire, dans laquelle les limites de l’isolement spatial et de la gestion des déchets humains de la mondialisation sont testées jusqu’à leurs limites extrêmes ».

Dans l’Allemagne nazie des années 1930, les prisons étaient les laboratoires de l’horreur de masse qui allait suivre. Aujourd’hui, tout comme dans ces années 1930, la prison n’a pas sa place dans les discussions sur comment combattre le fascisme. À tort.

Peut-être que, ici aussi, Julian Assange est le messager.

Luk Vervaet

Notes

[1] https://

www.washingtonpost.com/news/fact-checker/wp/2015/04/30/does-the-united-states-really-have-five-percent-of-worlds-population-and-one-quarter-of-the-worlds-prisoners/

[2] Nils Christie, Crime control as industry, Towards Gulags, Western style, Routledge, 1993

[3] Loïc Wacquant, Probing the meta-prison, avant-propos, The Globalisation of Supermax prisons, édité par Jeffrey Ian Ross, Rutgers university press, 2013

[4] Depuis 1984, la Californie à elle seule a construit 33 grandes prisons aux côtés de 57 prisons plus petites, le plus grand plan de construction de prisons de l’histoire du monde et une augmentation de 450 % du nombre de personnes derrière les barreaux entre 1980 et 2007. Ruth Wilson Gilmore, Golden Gulag Prisons, Surplus, Crisis, and Opposition, University of California Press (2007).

[5] Selon les différentes statistiques et les années, le nombre de détenus varie entre 2,1 millions et 2,3 millions, entre 680 et 710 détenus pour 100 000 habitants. Cependant, l’ordre de grandeur des chiffres de détention au cours de la dernière décennie est resté inchangé.

Tous les chiffres de cet article ont été tirés des sources suivantes :

Avery Gordon, “ The United States military prison ”, dans “The violence of incarceration” par Phil Scraton, Routledge (février 2012)  https://www.researchgate.net/publication/283716121_The_Violence_of_Incarceration ;

The SAGE Encyclopedia of Criminal Psychology, édité par Robert D. Morgan, 2019 ;

Document d’information ; “ The Dangerous Overuse of Solitary Confinement in the United States ” © 2014 ACLU Foundation ; https://www.aclu.org/sites/default/files/assets/stop_solitary_briefing_paper_updated_august_2014.pdf ; https://www.prisonpolicy.org/reports/pie2017.html

https://www.prisonpolicy.org/blog/2021/06/08/prison_mortality/

https://theconversation.com/whats-hidden-behind-the-walls-of-americas-prisons-77282 ; http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/03/17/97001 ;

http://www.sentencingproject.org/wp-content/uploads/2015/11/Americans-with-Criminal-Records-Poverty-and-Opportunity-Profile.pdf ;

http://www.sentencingproject.org/publications/color-of-justice-racial-and-ethnic-disparity-in-state-prisons/ https://www.huffingtonpost.com/entry/pennsylvania-life-without-parole_us_5ba17167e4b046313fc04611 ; https://prison.laws.com/penology/types-of-prison/security-levels-in-prison ; https://www.sydneycriminallawyers.com.au/blog/supermax-prisons-doing-more-harm-than-good/ ;

https://deathpenaltyinfo.org/death-row/overview

https://www.sandiegouniontribune.com/news/watchdog/story/2021-10-07/suicides-in-u-s-jails-and-prisons-rise-sharply-over-past-two-decades-new-federal-research-shows

[6] https://information.tv5monde.com/info/aux-etats-unis-les-detenus-des-prisons-federales-confines-apres-une-rixe-mortelle-442954

[7] https://eji.org/issues/prison-conditions/

[8] Le nombre de prisons, selon Prison Policy Initiative (mars 2020), est le suivant : « Le système de justice pénale américain détient près de 2,3 millions de personnes dans 1 833 prisons d’État, 110 prisons fédérales, 1 772 centres de détention pour jeunes, 3 134 prisons locales, 218 centres de détention pour migrants. et 80 prisons dans le pays indien, ainsi que dans les prisons militaires, les centres hospitaliers psychiatriques civils et les prisons des territoires américains (tels que Porto Rico, Guam, les îles Vierges américaines et autres) ».

[9] https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2021/12/06/tz-rikers-island/

[10] https://www.nytimes.com/2022/01/11/nyregion/rikers-island-hunger-strike.html

[11] https://www.motherjones.com/politics/2013/05/america-10-worst-prisons-rikers-island-new-york-city/

[12] https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/life-and-death-rikers-island

[13] https://www.cityandstateny.com/policy/2020/10/a-timeline-on-the-closure-of-rikers-island/175534/

[14] https://www.kaliefbrowderfoundation.com/mission

[15] https://www.nonewjails.nyc/

[16] Keramet Reiter, 23/7 Pelican Bay Prison and the rise of long-term solitary confinement,Yale University Press 2016

[17] Georges Jackson : Soledad Brother : The prison letters of George Jackson, Blood in myRetour ligne automatique
eye

[18] https://solitarywatch.org/tag/albert-woodfox/

[19] https://www.davisvanguard.org/2020/07/44-years-later-redd-comes-home-an-inside-account/

[20] https://insidetime.org/supermax-prisons-in-the-united-states/

[21] https://solitarywatch.org/resources/multimedia/photography/inside-pelican-bay-state-prison/

[22] https://www.cbc.ca/radio/thecurrent/the-current-for-april-3-2019-1.5082470/it-destroys-your-humanity-albert-woodfox-on-surviving-44-years-in-solitary-confinement-1.5082475

[23] https://ccrjustice.org/sites/default/files/attach/2017/09/SAMs%20Report.Final_.pdf

[24] Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Polity Press, 1991

[25] https://www.businessinsider.com/one-of-americas-most-famous-judges-admits-theres-a-punishment-thats-just-as-bad-as-the-death-penalty-if-not-worse-2016-1?r=US&amp ;IR=T

[26] https://www.vera.org/publications/solitary-confinement-common-misconceptions-and-emerging-safe-alternatives

[27] J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Jean Casella, le co-fondateur de Solitary Watch, une organisation étasunienne qui dénonce ces formes de détention publiquement inconnues dans un isolement total depuis 2009 : voir http://supermax.be/hell-is-a-very-small-place-an-interview-with-jean-casella-from-solitary-watch-by-luk-vervaet/

[28] Zygmunt Bauman, Globalization : The Human Consequences, John Wiley & Sons, 2013

Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
Un détenu sur quatre dans le monde se trouve dans les prisons des États-Unis
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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 05:01

Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, les grandes villes ont massivement accordé leurs suffrages à Mélenchon. Les campagnes se sont ralliées plus que jamais à Le Pen.

 

Je prendrai l’exemple d’un petit village du Tarn-et-Garonne que je connais bien, Castelsagrat. 35% des électeurs ont voté pour Le Pen, 14% pour Macron, 13% pour Mélenchon et 11% pour Zemmour. Pour simplifier, pas loin de 50% ont voté pour l’extrême droite et apparentée, la gauche ne recueillant qu’environ 20% des voix.

 

Á Castelsagrat (le « château sacré » en occitan), nous sommes sur les terres du radical de gauche historique Jean-Michel Baylet. Dans les années soixante-dix, Paul Brun, un des grands-pères de Nathalie, rad-soc modéré, y exerça les fonctions de maire.

 

Au dernier recensement, le village comptait 542 habitants, plus qu’en 1990 (480), mais moins qu’en 1954 (764) et bien moins qu’en 1841 (1350). En 2018, la commune comptait 237 ménages fiscaux, le revenu médian de ces ménages étant de 17 000 euros par an. Sur 224 actifs (le village compte 11,6% de chômeurs, 1,5% de plus que la France entière), 30% travaillent dans la commune. Pour se rendre au travail, 80% des habitants utilisent leur voiture personnelle. C’est dire que la révolte des Gilets Jaunes les a concernés. Comme tous les villages de la région, Castelsagrat compte son lot de retraités anglais, en diminution ces dernières années. Mais aussi d’actifs. L’échoppe typiquement anglaise de David Pemberton, qui ouvrait tous les samedis de 10 heures à 18 heures, permettait aux sujets de sa Majesté de manger à 100% anglais. Mais Pemberton a fermé car il ne reste que 5 ou six couples de résidents anglais (dont un éleveur de brebis qui fait du fromage), et parce que le supermarché de Valence d’Agen, à quelques kilomètres de là, s’est mis à vendre des produits anglais à meilleur prix.

 

30% des travailleurs œuvrent dans le transport, le commerce, les transports, l’hébergement et la restauration. Deux entreprises ont leur siège social sur le territoire de la commune, avec un chiffre d’affaires de 550 000 et 130 000 euros. Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 58 en 1988 30 en 2020. Mais la surface agricole moyenne par exploitation est passée de 30 à 66 hectares.

 

L’école maternelle et primaire compte 41 élèves, un chiffre stable depuis près de dix ans.

 

Bref : la France qui vit doucement vote Le Pen après avoir longtemps été radicale-socialiste.

 

J’aurais pu prendre l’exemple de Monclar, dans le Lot-et-Garonne, le village de mes grands-parents, toute mon enfance. Mais cela m’aurait encore plus vrillé les boyaux.

 

 

La France de Castelsagrat

Mon ami Daniel Taupin réagit à ce petit témoignage de manière très sensée :

 

Les faits sont là. Les gouvernements successifs ont peu à peu appauvri les français jusqu'à la pensée. De déception en déception, les villageois expriment leur désarroi, leur colère sourde, une forme de désespoir face à l'impossible changement souhaité, par des protestations qui éclatent à partir d'une étincelle qui embrase tout à coup les cœurs et les esprits, de la goutte d'eau de trop qui fait déborder le vase saturé d'injustices, de mécontentements, d'insatisfactions et de frustrations...

Ce mal profond, sans doute le pire et le plus irrationnel parce qu'il ronge notre humanité en érodant implacablement notre sensibilité, notre bonté, notre fraternité, ne peut que se manifester dans la mutinerie, la provocation, et de plus en plus dans la haine des autres. Des hommes et des femmes dans des états d'émotions triviales que s'empressent d'exciter, d'exhorter, de manipuler en leur faveur et avec succès, tous les ploutocrates, autocrates et autres führers qui les exploitent d'autant plus aisément que les forces qui s'y opposent prêchent dans un désert culturel et antidémocratique de plus en plus envahissant. Je n'hésite pas à dire comme Aragon, que le moyen-âge est de retour.

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10 avril 2022 7 10 /04 /avril /2022 05:26
Un vrai gars du Nord. In bon garchon. Ados, nous avions été brièvement rivaux dans le cœur d’une mignonne jeune fille. Il l’avait emporté par KO au 2ème round. « Tu t’es pris un râteau », me dit Raphaëlle !? « Oui », dis-je, « et c’est tant mieux sinon tu n’existerais pas. »

Maire de Dunkerque, il transfigura sa ville. J’y séjournai brièvement il y a un an ou deux en me disant que j’y résiderais avec plaisir alors qu’il y a cinquante ans c’eût été une punition.

 

Chez ce social-démocrate, l’anti-cégétisme était à la mesure de sa personnalité : fort.

 

En 2013, sénateur-maire, il dirigeait la communauté d'agglomération de Dunkerque et, en plus de ces trois mandats, il siégeait dans 23 établissements publics, syndicats intercommunaux, société d'économie mixte, associations et autres organismes dont 20 fois en tant que président. 

 

Il avait été mis en examen en janvier 1997 dans l’affaire des écoutes de l’Élysée, en tant que directeur de cabinet de Pierre Mauroy et, à ce titre, responsable du groupement interministériel de contrôle (GIC), chargé des « interceptions de sécurité ». Il avait reconnu certaine écoutes illégales et avait été condamné en 2005 mais dispensé de peine.

 

La mort de Michel Delebarre
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3 avril 2022 7 03 /04 /avril /2022 05:01

 

A lire sur le blog de Jean Lévy

Récemment révélées par la publication du livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet, les maltraitances systémiques exercées par les structures Orpea sur ses pensionnaires ont fait le tour des actualités. Orpea est le groupe qui se cache derrière les établissements, mais qui se cache derrière Orpea ? 

Parmi ses actionnaires, se trouve en outre le tentaculaire BlackRock, un puissant gestionnaire d’actifs aux pratiques ambiguës. Créé en 1988, il a ses entrées dans une centaine de pays. Petit aperçu de la partie immergée de l’iceberg :

Une finance sans limite couplée à l’intelligence artificielle

Depuis la crise des subprimes de 2008, l’argent du contribuable ne doit plus servir à sauver des banques et des fonds spéculatifs. Les gouvernements ont ainsi mis en place des régulations fortes sur les établissements bancaires. Or, comme BlackRock n’accorde pas de crédits, puisqu’il investit l’argent de ses clients, le groupe est nettement moins contrôlé. Une marge de manœuvre qui lui aura non seulement permis de reprendre le flambeau de banques comme Goldman Sachs, mais de faire prospérer le modèle capitaliste sans commune mesure.

Ses activités ont pris des proportions considérables, au point de mettre en danger l’ensemble du monde financier s’il se trouvait en difficulté ; comme c’est par ailleurs le cas depuis peu en raison de la situation russo-ukrainienne, puisque la “pieuvre” financière accuse déjà 17 premiers milliards de pertes sur des actifs russes. Nul doute qu’une crise pourrait découler de la fragilisation d’un gestionnaire aussi omniprésent que BlackRock, détenteur d’un quasi-monopole de 7 800 milliards d’actifs, soit… trois fois le produit intérieur brut de la France !

Au-delà de sa philosophie d’entreprise qui se résume à rendre les riches encore plus riches, un autre problème se pose et se nomme “Aladdin”.

Ce programme d’analyse, développé en interne, est une intelligence artificielle capable d’effectuer de la gestion de risques et de prendre de nombreuses décisions financières en parfaite autonomie. Ce dernier brasse 18 000 milliards de dollars quotidiennement [3] soit 80% du PIB annuel de l’Union Européenne ! Quand il s’agit de faire du profit, BlackRock est au premier rang des manœuvres les moins éthiques, en témoigne le documentaire d’Arte (2020) : “Ces Financiers qui Dirigent le Monde”.

Le financement de la réforme des retraites françaises

Le lien entre ce fonds d’investissement américain et le système de retraites français n’est pas évident à première vue et pourtant, cette réforme est l’occasion idéale pour ramener de nouveaux clients auprès du gestionnaire multinational. Plus précisément : si un gouvernement diminue les cotisations pour la retraite et donc les sommes versées aux personnes concernées, il incite les épargnants des classes supérieures à se tourner vers des fonds de placements privés et BlackRock l’a bien compris.Comme le soulignait le journal Le Monde en janvier 2020 : les syndicats, les partis politiques de gauche et quelques-uns de droite qualifiaient BlackRock de « cheval de Troie de la capitalisation » essayant de tirer profit de la réforme des retraites [4].

“Depuis plusieurs années, BlackRock se montre intéressé pour mettre la main sur une partie de l’épargne des actifs français les mieux payés, afin de l’orienter vers l’épargne retraite” rappelle France Info dans son article de vulgarisation : “On vous explique la polémique sur BlackRock, ce fonds d’investissement soupçonné de vouloir imposer la retraite par capitalisation en France”Et de rappeler en priorité que : “le 6 juin, Larry Fink [PDG de BlackRock] a été discrètement reçu par Emmanuel Macron, selon L’Obs” et que “en octobre 2017, le gouvernement a demandé au Comité action publique 2022 de plancher sur la réforme de l’Etat. Un groupe d’experts où siège… Jean-François Cirelli, le patron de la branche française de BlackRock”. Les rencontres (connues) au sommet ne s’arrêtent pas là poursuit France Info :  “On retrouve encore Larry Fink à l’Elysée en juillet 2019, à l’invitation d’Emmanuel Macron, lors d’une réunion sur le climat et l’investissement”. Cette mainmise, aussi discrète que d’envergure, dépasse les frontières, celles des pays comme des sphères du pouvoir l’assaut de l’économie suisse

Le collectif Breakfree Suisse, en collaboration avec Extinction Rebellion Switzerland, a mis en ligne, le 25 Janvier dernier, le site : https://spotlightonblackrock.ch/fr pour dénoncer les investissements massifs de BlackRock en Suisse.A lui seul, le groupe détient en effet plus de 5% des parts de toutes les entreprises suisses cotées en bourse (5,4% dans Crédit Suisse, 5% dans l’Union des Banques Suisse, 6% du cimentier Holcim et plus de 9,2% de Glencore pour ne citer qu’eux) et comme tout autre actionnaire, il dispose du droit de vote lors des assemblées générales. 

Cette participation importante dans l’économie Suisse fait donc de facto de BlackRock un actionnaire de poids, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’économie locale. A titre d’exemple, ses investissements dans les sociétés immobilières (le groupe détient 10% du leader du secteur, Swiss Prime Site) ont permis à celles-ci d’acquérir de nombreuses propriétés et cela influence directement le prix des terrains en Suisse… qui a triplé depuis 2008 [5]. L’hégémonie de BlackRock, longtemps restée imperceptible pour le grand public,  est également fortement liée à de multiples scandales écologiques.

Le changement climatique, une stratégie d’investissement

Larry Fink, le PDG de BlackRock, se présente, dans les courriers envoyés à ses partenaires, comme un visionnaire et un philanthrope, porteur d’une forme moderne de capitalisme…

L’entreprise est pourtant un actionnaire important de Rheinmetall, l’un des plus gros fabricants d’équipements militaires d’Europe. Basé à Düsseldorf, le groupe vend des armes dans le monde entier et son chiffre d’affaires est directement indexé sur diverses guerres civiles. Une recherche de profits sous couverture de progrès, privilégiant les investissements les plus rentables. Et il en va de même pour le réchauffement climatiquee 2 février, ce dernier alertait par exemple ses clients sur la nécessité d’aménager leurs portefeuilles pour faire face à la transition climatique mais, dans le même temps, BlackRock continue d’occuper le rôle de premier investisseur de Total. Un paradoxe qui ne fait pas exception.

À partir de 2017, BlackRock s’est également engagé dans un processus visant à intégrer le changement climatique dans ses stratégies d’investissement et déclarait à cette occasion que « le risque climatique est un risque d’investissement ».

En d’autres termes, pendant que notre écosystème est en train de subir des températures records et que nous vivons la sixième extinction de masse, BlackRock aborde la question sous le prisme incompatible des conséquences financières.

Ce greenwashing, déployé d’après la conviction volontairement biaisée que “la croissance verte” saura sauver à la fois l’environnement et les intérêts financiers, réveille de plus en plus l’indignation de collectifs écologiques et des activistes de la lutte sociale. Le 10 février 2020, des membres de Youth for Climate, soutenus par plusieurs Gilets jaunes et organisations de lutte écologique dont Extinction Rebellion, ont organisé une action de désobéissance civile dans les bureaux de BlackRock. 

« Nous devons mettre hors d’état de nuire les plus grands pollueurs de la planète » déclarent-ils à Reporterre ; et BlackRock n’en est pas moins que la source de jouvence, une multinationale qui finance, alimente, entretient, encourage et faire perdurer des groupes climaticides, dont une importante partie du secteur des énergies fossile. Pour rappel : la pollution des énergies fossiles a tué 4 fois plus que le Covid-19.

En juillet 2021, Extinction Rébellion France organisait le procès fictif citoyen de BlackRock, en réponse notamment à l’arrestation de deux activistes ayant participé à l’action coup-de-poing du début d’année :

Pour ne rien améliorer, le groupe déclare que leur logiciel d’intelligence artificielle Aladdin est également conçu pour aider les investisseurs à suivre la trajectoire d’un portefeuille vers le zéro net, et à mieux identifier les risques et les opportunités climatiques.

Une belle ironie quand on sait que BlackRock possède 6% de Holcim, 9,2% de Glencore et détient des participations permettant de contrôler plus de réserves de pétrole, de gaz et de charbon thermique que tout autre investisseur (l’équivalent de 9,5 gigatonnes d’émissions de CO2, soit 30 % des émissions de carbone liées à l’énergie selon l’ONG InfluenceMap). Et pour ne pas causer de tort à ces entreprises, le groupe n’hésite pas à mener une vaste campagne de lobbying contre la finance durable de l’Union Européenne [6].

Comme le rappelle Nantes Révolté, ce que révèle l’affaire BlackRock – et la banalisation de ses rouages financiers pourtant criminels -, est surtout l’absence de l’Etat dans son rôle de rempart : “Qu’il agisse par la contrainte ou par la violence, l’État est une institution qui profite du système écocidaire capitaliste, les personnes au pouvoir sont intimement liées aux grandes entreprises qui en tirent les principaux bénéfices, et leurs victimes sont les mêmes : l’environnement et la population”.

– Gregoire Brunat

Sources : 

[1] BlackRock dépasse les 7.800 milliards de dollars d’encours, Les Echos, 13 Octobre 2020. https://www.lesechos.fr/finance-marches/gestion-actifs/blackrock-depasse-les-7800-milliards-de-dollars-dencours-1255249

[2] Le changement climatique va secouer les marchés financiers, Le Monde, 02 février 2022.  https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/02/le-changement-climatique-va-secouer-les-marches-financiers_6112077_3234.html

[3] Ces Financiers qui Dirigent le Monde – BlackRock, Arte, 06 Octobre 2020. https://youtu.be/voSty1nfU-Q 

[4]  BlackRock l’investisseur qui suit de près l’évolution du système français de retraite, Le Monde, 03 janvier 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/03/blackrock-l-investisseur-qui-suit-de-pres-l-evolution-du-systeme-francais-de-retraite_6024657_3234.html

[5] BlackRock sur le marché immobilier suisse, Spotlight on BlackRock, 25 janvier 2022. https://spotlightonblackrock.ch/fr/insights/real-estate

[6] Le lobbying de BlackRock à l’assaut de la stratégie finance durable de l’UE, Reclaim Finance, 30 juin 2021. https://reclaimfinance.org/site/2021/06/30/le-lobbying-de-blackrock-a-lassaut-de-la-strategie-finance-durable-de-lue/

 

BlackRock, ces financiers qui possèdent le monde

LES DÉGÂTS COLLATÉRAUX DU CAPITALISME FINANCIER :

BlackRock, ces financiers qui possèdent le monde
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29 mars 2022 2 29 /03 /mars /2022 05:01

... avec des indications superfétatoires.

Si l'on prend la rue Garibaldi à Lyon, il ne se passe pas 50 mètres (allez, disons 70) sans que soient peinturluré sur le sol, à trois reprises, un commandement à ne pas dépasser les 50 KM/H. Ceci est complètement stupide – et a coûté du temps et de l'argent, puisque, par définition, la vitesse en ville en France est limitée, par défaut, à 50 KM/H.

C'est d'autant plus stupide que la municipalité nous annonce que, le 1er mars, la vitesse sera limitée partout en ville à 30 KM/H. Il faudra donc effacer toutes ces indications et en repeinturlurer d'autres. La mesure ne servira pas à grand-chose, si ce n'est à ralentir artificiellement la circulation, créer des embouteillages, donc de la pollution. Mais que serait Lyon si elle ne pouvait pas singer le Paris d'Annie Dingo ?

On observe une tendance, rue Garibaldi et ailleurs, qui consiste à faire des chaussées de véritables manuscrits qui, si on se concentrait pour les lire attentivement, nous enverraient valdinguer dans le décor ou nous amèneraient à faucher une petite mémé hardie ou un enfant innocent tentant désespérépent de traverser nos rues. Dans cette rue Garibaldi, les indications qui nous préviennent d'une existence d'une piste cyclable se comptent par dizaines. Près de chez moi, j'en ai sept sur soixante mètres, plus trois autres amenant inélectablement les cyclistes à se vautrer dans des poubelles.

Quant tu es maire écolo et que tu pollues la chaussée de ta ville...
Quant tu es maire écolo et que tu pollues la chaussée de ta ville...
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26 mars 2022 6 26 /03 /mars /2022 06:01

François Asselineau est rarement ma tasse de thé. Cet ancien collaborateur de Charles Pasqua est beaucoup trop à droite pour moi. Mais il pense avec sa tête et ses réflexions peuvent être enrichissantes. Ci-dessous, son point de vue sur les causes de la guerre en Ukraine.

 

POUTINE N'ÉTAIT DONC PAS PARANO … 

 

On apprend maintenant qu'un programme secret de la CIA entraînait intensément l'armée ukrainienne depuis 8 ans ! 

 

La technique de déstabilisation et d'infiltration d'un pays par la CIA comme un préalable à son invasion par l'armée américaine est un classique.

 

En 1998, Brzezinski, Conseiller du Président Carter, avait révélé : « Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes… »

 

La vérité apparaît clairement

 

-les États-Unis ont piloté la « Révolution du Maidan » en 2013/2014 pour chasser le 22 avril 2014 le président Ukrainien pro russe Ianoukovytch et installer le gouvernement pro américain Iatseniouk

 

-ce coup d'État a provoqué l'intervention russe en Crimée et le début de la guerre du Donbass

 

-les États-Unis ont aussitôt lancé, dès 2014, un « programme secret de la CIA »pour former de façon intensive l'armée ukrainienne à combattre les soldats de Donetsk et Louhansk conseillés par l'armée russe au Donbass.

 

La CIA a cependant dû reconnaître que c'était un adversaire très solide.

 

-les États-Unis ont ensuite lancé une autre opération de soutien à l'Ukraine, non secrète celle-ci, avec des instructeurs et des soldats de l'armée américaine - le "Joint Multinational Training Group-Ukraine" -, et avec le concours de militaires d'autres pays de l'OTAN (, etc.)

-les exercices militaires américains et de l'OTAN en étant devenus publics en septembre 2021, Poutine a jugé que les protestations diplomatiques qu'il avait discrètement faites depuis 8 ans n'avaient en rien arrêté les États-Unis et qu'il devait donc mettre le holà autrement.

 

-on connaît la suite :

 

- en novembre 2021, Poutine a présenté deux projets de traités internationaux, avec les États-Unis et avec l’UE, pour garantir la sécurité de la Russie, notamment en garantissant la non-installation de l'OTAN en Ukraine.

 

- les Etats-Unis et l'UE lui ont aussitôt opposé un refus total.

 

- Poutine a alors préparé l'invasion de l'Ukraine à partir de la fin 2021.

 

- II a massé de plus en plus de troupes russes -visibles par satellite- à la frontière entre la Russie et l'Ukraine. 

 

- tout en continuant pendant 2 mois à des négociations diplomatiques sur ses demandes de garantie de sécurité.

 

- les États-Unis et l'UE ont refusé de céder quoi que ce soit, en tablant sur deux hypothèses :

 

1 - soit Poutine n'oserait finalement pas envahir l’Ukraine, ce qui lui ferait alors perdre tout crédit

 

2 - soit il le ferait, à quoi les États-Unis et l'UE répondraient alors par le lancement de 2 politiques en parallèle :

 

- l'adoption de sanctions économiques, financières et commerciales (se révélant très profitables aux Etats-Unis et très dommageables à l’UE, spécialement à la France)

 

- le lancement d'une « psy-op » de diabolisation de « Poutine nouvel Hitler » et d'hystérisation des populations occidentales.

 

Nous en sommes là.

Du point de vue militaire, les États-Unis et l'UE se sont donné le mot pour livrer des armes aux Ukrainiens sans y intervenir militairement eux-mêmes pour éviter une conflagration nucléaire.

 

Le but des États-Unis et l'UE est de pousser l'Ukraine dans le chaos en tablant sur un enlisement russe.

 

Le 21 mars 2022 

La guerre en Ukraine : le point de vue de François Asselineau
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24 mars 2022 4 24 /03 /mars /2022 06:01

Dans son numéro du 17 au 25 mars 2022, Télérama fait une analyse strictement juridique de la guerre en Ukraine afin d'envisager la possibilité de traduire en justice ceux qui l'ont déclarée (articles “ Le droit pour se défendre ” et “ L'épreuve des preuves ”).

 

La Seconde Guerre mondiale a produit un chapelet impensé d'horreurs : massacre de populations civiles dans des camps de concentration dans un objectif génocidaire, bombardements implacables de villes anglaises (Coventry), allemandes (Dresde) par des moyens conventionnels, puis par la bombe atomique (Hiroshima). En réaction, la communauté internationale (l'ONU) a légiféré pour tenter de fixer les limites à ne pas dépasser, dans le droit fil des travaux des deux conférences de la Paix ayant réuni à La Haye quarante nation en 1899 et 1907. Avec l'idée que ceux qui outrepasseraient ces limites en commettant des crimes de guerre définis rigoureusement pourraient être déférés devant des cours de justice internationales. Mais la politique étant, comme toujours, un rapport de forces, on sait que les États-Unis ont refusé la comparution de leurs soldats ou dirigeants potentiellement coupables devant de telles instances. Les Russes pourraient faire de même.

 

Au commencement était le Mot. Télérama reprend donc les mots utilisés par Poutine pour justifier son “ opération militaire ” (Poutine n'utilise jamais le mot “ guerre ” et l'a interdit dans les médias. Le président russe parle de “ génocide ” perpétré par des “ néonazis ” ukrainiens, des “ fanatiques génocidaires ”. Poutine semble être obsédé par cette notion de génocide qu'il avait déjà utilisée lors de l'intervention en Géorgie en 2008 et en Crimée en 2014. Mais il lui est difficile de se lancer à l'assaut de ceux qu'il considère comme coupables en faisant fi du droit international défini dans le Charte des Nations unies. Un des articles fondamentaux de cette charte (2-4) stipule que “ Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. ” En outre, à de rares exceptions près, une opération militaire n'est possible que si le Conseil de sécurité l'autorise (on sait que les États-Unis ont été des spécialistes de cet engagement sans autorisation) en cas d'agression ou de “ responsabilité de protéger ” une population, ou à la demande d'un autre État, comme la France au Mali récemment. Télérama souligne que, hormis cette autorisation, seule la légitime défense peut justifier la force armée.La guerre lancée par les Russes ne se situant dans aucun de ces cadres, elle se situe hors du champ de la légalité. Le 2 mars, l'Assemblée générale des Nations unies a “ exigé le retrait immédiat ” des forces russes d'Ukraine. Sans aucun effet puisque les décisions de cette Assemblée ne sont pas contraignantes, contrairement à celles du Conseil de sécurité que la Russie paralyse par un droit de veto permanent.

 

Depuis la Charte de 1945, la Cour internationale de justice a pour vocation de régler les différends entre les États tandis que la Cour pénale internationale, en tant que tribunal permanent, a pour mission de juger des individus soupçonnés de crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocides. Il est peu vraisemblable que Poutine ait jamais à se présenter devant cette instance, pas plus que George Bush ou Anthony Blair, accusés de crimes identiques lors de la guerre d'Irak. D'autant que la Russie n'a pas ratifié le Statut de Rome qui délimite la compétence de la CPI. Cette cour a surtout condamné du menu fretin, comme le congolais Thomas Lubanga Dyilo qui avait enrôlé des enfants de moins de quinze ans, ou encore le salutiste malien Abou Tourab, reconnu coupable d'avoir détruit des monuments historiques religieux. Fretin un peu moins menu, le président serbe Slobodan Milošević qui mourut en prison avant la tenue de son procès.

 

Dès le 27 février (je cite Télérama), l'Ukraine a saisi la CIJ arguant que l'invasion russe est illégale car basée sur une fausse allégation de génocide. L'audience s'est tenue les 7 et 8 mars. La Russie ne s'est pas présentée. Le 24 février, l'un de ses avocats, le Français Alain Pellet, avait démissionné, écrivant ses amis russes : “ Trop c'est trop. Des avocats peuvent défendre des causes plus ou moins discutables ; il est impossible de représenter dans des enceintes vouées à l'application du droit un pays qui le méprise si cyniquement. ”

 

Si Poutine est droit dans ses bottes, c'est parce que, pour lui, l'Ukraine n'existe pas. Pas plus que le département du Pas-de-Calais (s'il lui prenait la fantaisie de proclamer son indépendance) pour l'État français. Il est vrai que la Russie et l'Ukraine sont historiquement imbriquées Lors des partages de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle, l'Ukraine (qui possède sa langue mais 20% des Ukrainiens sont russophones, à commencer par l'actuel président) fut progressivement intégrée dans l'Empire russe. Cependant, la  partie ouest du pays fut  intégrée à l'Empire d'Autriche. Le Russe Leonid Brejnev était né en Ukraine. Également russe, Nikita Khroutchev était né à deux pas de l'Ukraine.

 

Á part ça, et parce que l'heure n'est pas à l'optimisme, je me souviens de Lamartine : “ Nos seules vérités sont nos douleurs ” et je me dis que, quelle que soit l'Histoire de ces deux pays en guerre, la vérité est du côté de celui qui souffre.

 

 

 

Oui, une guerre peut être déclarée “ illégale ” !
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23 mars 2022 3 23 /03 /mars /2022 06:01

Plusieurs dirigeants, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie ou les présidents du Kenya et d'Équateur, ont dissimulé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment à des fins d'évasion fiscale, selon une enquête publiée dimanche 3 octobre par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ).

L'enquête baptisée « Pandora Papers », à laquelle ont collaboré environ 600 journalistes, s'appuie sur quelque 11,9 millions de documents, qui proviennent de 14 sociétés de services financiers, et a mis au jour plus de 29 000 sociétés offshore.

Selon ces documents, le Premier ministre tchèque Andrej Babis a placé 22 millions de dollars dans des sociétés écran qui ont servi à financer l'achat du château Bigaud, une grande propriété située à Mougins, dans le sud de la France.

Le président équatorien Guillermo Lasso a, pour sa part, logé des fonds dans deux trusts dont le siège se trouve aux États-Unis, dans le Dakota du Sud.

 

Les “ combines ” de Volodymyr Zelensky

L'enquête montre que plus de 40 millions de dollars, versés par l'oligarque Ihor Kolomoisky, patron de la télévision à laquelle Zelensky vendait ses programmes, ont échappé au fisc ukrainien.

« Le film montre que Zelensky n'est pas juste un gars simple qui veut être différent, ce qui a été un de ses messages politiques, le président du peuple et tout ça, souligne Anna Babinets, rédactrice en chef de Slidstvo Info. Nous voyons qu'il y a beaucoup de combines, des choses douteuses. Maintenant on voit qu'il est juste un homme d'affaires comme les autres, qui essaie de garder son argent à l'extérieur de l'Ukraine. »

À l'extérieur de l'Ukraine, et notamment à Londres, dans les quartiers cossus, ou les partenaires d'affaires de Zelensky ont acquis des appartement luxueux. Le problème, c'est que Zelensky a amené au pouvoir ces mêmes amis de jeunesse, avec lesquels il a monté ce système opaque.

 

Parmi eux, son premier assistant Serhiy Chéfir, dont la voiture a récemment été prise dans une fusillade, mais également Ivan Bakanov, qui est aujourd'hui le patron des services secrets du pays.

Volodymyr Zelensky vient de faire passer au Parlement une loi anti-oligarques, mais avec ces révélations sur ses tours de passe-passe financiers, c'est son crédit politique qui risque désormais, d'être démonétisée.

 

 

Le roi de Jordanie et ses villas

C’est un immense empire immobilier caché par le roi Abdallah II, révèle l'enquête. Pas moins de 14 résidences luxueuses situées au Royaume-Uni et aux États-Unis. La plus récente est une propriété à Malibu avec accès direct sur la plage.

Le sujet est hautement sensible et le montage financier s’est fait en secret. Tout est géré par une trentaine de sociétés écrans aux Caraïbes et au Panama. Le roi Abdallah II n’est jamais désigné par son nom et il n’existe pas de trace numérique des documents.

La raison ? Une telle affaire pourrait mettre en danger le régime jordanien. Le pays a été fortement touché par la crise sanitaire et connaît des difficultés économiques. Près de 16% de la population du royaume vit en dessous du seuil de pauvreté et un tiers de la population du pays est considéré comme pauvre.

La popularité du roi est fragilisée. En avril dernier, son demi-frère, le prince Hamza, avait critiqué ouvertement le régime avant d'être arrêté pour avoir fomenté un coup d'État contre le roi Abdallah II.

Ces révélations pourraient aussi compromettre les aides financières reçues par la Jordanie. En 2020, le royaume a touché 3,7 milliards de dollars de la communauté internationale.

Réagissant à ces révélations, le roi Abdallah II s'est défendu. Les propriétés seraient issues de sa fortune personnelle, ont fait savoir ses avocats. Le recours à des paradis fiscaux serait justifié par « des raisons légitimes de sécurité et de confidentialité ».

 

Les mystérieux comptes offshore des proches de Vladimir Poutine

Le constat a été maintes fois effectué par l'opposant russe Alexeï Navalny au cours de ses enquêtes : tous ceux qui approchent Vladimir Poutine deviennent instantanément et mystérieusement riches. Les « Pandora Papers » apportent de nouveaux éléments allant en ce sens en tournant les projecteurs vers plusieurs proches du président.

Parmi eux, Pëtr Kolbin, l'ami d'enfance du président, passé de boucher à Saint-Pétersbourg à personnalité richissime capable d'acheter des parts conséquentes dans des sociétés pétrolières en s'appuyant sur des comptes offshores.

Autre exemple, Svetlana Krivonogikh, passée de femme de ménage pétersbourgeoise à maîtresse fortunée du président russe. Les « Pandora Papers » révèlent qu’elle a acheté un appartement à Monaco en septembre 2003.

Ces enquêtes à répétition sur ses amis et amantes aux fortunes mystérieusement acquises vont dans le sens d'un soupçon très présent chez ses opposants : et si la vraie fortune de Vladimir Poutine se trouvait chez ses proches, utilisés comme compte en banque et porte-monnaie ?

 

 

L'entourage du Premier ministre pakistanais visé

Imran Khan s'est fait élire à la tête du Pakistan à l'été 2018 sur un programme anti-corruption après la destitution de Nawaz Sharif, emporté par les révélations des « Panama Papers », une autre enquête de l'ICIJ sur les fonds offshore.

Cette fois, le Consortium révèle que des membres du premier cercle d'Imran Khan, dont des ministres et leurs familles, possèdent des sociétés et des trusts offshores avec des comptes millionnaires de dollars.

Tentant de retourner le scandale à son profit, le chef du gouvernement pakistanais a salué dès ce dimanche ces révélations sur Twitter. Selon lui, elle exposent au grand public de son pays la « richesse mal acquise des élites, accumulée à travers l'évasion fiscale et la corruption, et blanchie dans des "paradis fiscaux" ». Et de promettre « d'ouvrir des enquêtes sur tous les citoyens mentionnés dans les "Pandora Papers" ».

L'immeuble de Tony Blair et la société marocaine de Dominique Strauss-Kahn

Apparaît aussi le nom de Tony Blair. Avec son épouse Cherie, l'ancien Premier ministre britannique a acquis en 2017 un immeuble de bureaux en achetant une société dans les îles Vierges qui était propriétaire des lieux. La transaction leur a permis d'économiser environ 400 000 dollars d'impôts, rapporte l'ICIJ.

Également épinglé, l'ex-ministre français Dominique Strauss-Kahn. L'ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) a fait transiter plusieurs millions de dollars d'honoraires de conseil à des entreprises par une société marocaine exempte d'impôts, selon les documents examinés par l'ICIJ.

Par ailleurs, des proches du président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliev -- régulièrement visé par des accusations de corruption -- ont réalisé des transactions immobilières opaques au Royaume-Uni. Parmi elles, l'achat contre 45 millions de dollars d'un immeuble de bureaux au nom de son fils de 11 ans​​​​​

 

On ira tous au paradis … fiscal !

La fondation panaméenne d'Uhuru Kenyatta

Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais dans le cas des dirigeants, l'ICIJ met en parallèle le discours anti-corruption tenu par certains d'entre eux avec leurs placements dans des paradis fiscaux. C'est le cas du président kényan.

Client 13 173, c'est par ce code que les employés de l'Union bancaire privée, une banque suisse, appelle Uhuru Kenyatta. D'après les documents épluchés par les journalistes de l'ICIJ, en juillet 2003, un avocat de cet établissement, Othmane Naïm, demande à un cabinet d'avocats au Panama, Alcogal, de créer une fondation dans ce paradis fiscal.

La loi panaméenne, protège l'identité du fondateur, qui reste le secret du cabinet d'avocats qui les représente. En outre, les actifs de ces fondations peuvent être transmis, sans impôts sur la succession. Ainsi naît Varies Foundation, dont les bénéficiaires sont Uhuru Kenyatta et sa mère.

L'enquête de l'ICIJ révèle aussi que la famille Kenyatta dispose d'une trentaine de millions de dollars, investis dans deux sociétés écran domiciliées au Panama et cinq dans les Îles Vierges britanniques. Et puis il y a cet appartement dans le quartier de Westminster à Londres, évalué à un million de dollars.

Contacté par le consortium, Uhuru Kenyatta n'a pas souhaité commenter. Celui qui avait affirmé à la BBC en 2018 que chaque fonctionnaire doit déclarer ses biens publiquement a préféré cette fois rester discret.

 

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 06:07

Par Régis de Castelnaud

 

La réaction de l’Occident à l’invasion russe en Ukraine est finalement, dans sa version française, un symptôme assez accablant de l’état dans lequel nous nous trouvons. Le furieux délire guerrier qui s’est emparé des élites françaises, couplé à leur occidentalisme indécrottable les empêche d’accéder au réel et de faire l’effort d’une analyse qui permettrait de s’abstraire des biais qui nous donnent de la réalité l’image de ce que nous voudrions qu’elle soit. C’est-à-dire en bon français de prendre ses désirs pour des réalités.

 

Il existe un précédent, permettant de se livrer à des comparaisons. Celui de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979. Nourris d’antisoviétisme et d’anticommunisme, les débats dans notre pays avaient fait rage. Ce fut un affrontement politique particulièrement dur. Pour en avoir un souvenir très précis, je peux témoigner que jamais notre pays ne bascula dans de tels excès. Ce n’est pas bon signe pour ce que nous sommes devenus.

 

Délires guerriers

Une mention particulière pour la partie petite-bourgeoise du bloc élitaire. Qui, de BHL à Brice Couturier en passant par Xavier Gorce, Raphaël Glucksmann, Daniel Cohn-Bendit, Luc Ferry , Patrick Cohen, François Berléand, et autres Jean-Michel apathie s’était signalée au moment des gilets jaunes par un mépris social haineux parfaitement écœurant. Mais qui en fait ne faisait que refléter l’opinion des couches auxquelles ils appartiennent. La violence de la répression judiciaire de ce mouvement social menée par une magistrature appartenant aux mêmes couches sociologiques en fut la preuve douloureuse pour les éborgnés et les embastillés.

Ces petits-bourgeois sont les premiers porteurs du spasme délirant qui a saisi notre pays depuis l’agression russe. Qui les amène à dire n’importe quoi, à prendre toutes les propagandes inévitables en temps de guerre, pour des vérités révélées. À transformer en héros des aigrefins douteux et corrompus. À pérorer sur le sort des armes, munis de leur ignorance totale des questions militaires. À afficher un délire guerrier généreux du sang des autres en hurlant à la trahison de ceux qui appellent à la raison et militent pour la cessation des combats. Révélant d’ailleurs leur lâcheté morale puisqu’ils furent muets lorsque l’Occident fit bien pire. Et dévoilant avec l’argument, selon lequel on peut bombarder des Arabes mais pas des blancs, un racisme dont on constate qu’il ne demandait qu’à s’exprimer. Arrivant ainsi à donner raison à Aimé Césaire disant à propos de la Shoah : « au fond, ce que le bourgeois ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme… c’est le crime contre l’homme blanc. »

Et malheureusement la pulsion à laquelle nous assistons aujourd’hui témoigne de cet effondrement du niveau des élites occidentales en général, et françaises en particulier qui ne font même plus l’effort de donner le change.

 

La question militaire

Il ne s’agit pas ici de réfuter ou même de discuter des informations invérifiables mais d’essayer de comprendre ce qui se passe à propos d’une opération militaire qui nous a tous surpris dans son principe et dans ses modalités. Et qui surtout, est organisée sous ce que les Russes appellent la « maskirovska », c’est-à-dire le fait de masquer le mieux possible ses réelles intentions.

Lorsque l’on regarde les cartes de la situation militaire en Ukraine que l’on trouve sur Internet, il y a quand même un élément qui saute aux yeux. Quelle que soit la temporalité des opérations, l’idée d’un enveloppement complet de l’est ukrainien semble s’imposer. Avec une claire volonté d’enfermer dans des « chaudrons » les forces ukrainiennes qui étaient essentiellement rassemblées face aux séparatistes du Donbass. La maîtrise du ciel rendant leur ravitaillement ou leur dégagement matériellement impossible. Alors on nous a parlé de « blitzkrieg » raté, ce qui s’agissant des Russes est une absurdité. Depuis la guerre civile d’après la révolution d’octobre la pensée militaire russe a conçu une discipline appelée « art opératif », concept qu’il serait trop long d’expliciter ici mais que schématiquement on peut présenter comme le niveau d’articulation entre la stratégie qui définit les objectifs de la politique continuée par la guerre, et la tactique qui met en œuvre les opérations. Là encore « l’occidentalisme » dans les têtes, y compris celles des militaires, a joué son rôle. Que n’a-t-on entendu les ignorants et les propagandistes, nous dire que l’armée russe était enlisée, les officiers russes nuls, leurs soldats des pleutres qui désertaient ou se rendaient en masse. Le tout assorti d’une héroïsation des défenseurs ukrainiens, accompagnée d’accusations sur les atrocités que commettraient naturellement les moujiks. Que dire des bilans avancés, comme autant de rodomontades incompatibles avec la guerre telle qu’elle se déroule, c’est-à-dire les puissances de feu mobilisées de part et d’autre. Les villes sont très peu endommagées, et dans les campagnes les blindés russes circulent sur les routes ! Les analystes sérieux, y compris américains, considèrent qu’une fois réalisé le premier choc permettant de décapiter les moyens techniques du commandement ukrainien, et de clouer au sol son aviation, les Russes ont avancé avec des consignes d’engagement du feu très strictes. Afin de limiter les pertes parmi la population civile et les destructions inutiles des infrastructures routières, urbaines et vitales comme les centrales électriques. Cela ne rend pas la guerre plus morale et justifiée, mais l’idée semble être de contrôler l’est ukrainien, l’Ukraine utile, en lui conservant ses capacités économiques et agricoles. Cette prudence explique de probables échecs tactiques mais qui dans la conception russe de l’art opératif ont une importance secondaire. Au contraire de la pensée occidentale avec sa névrose de la bataille décisive.

Prétendre comme l’a fait notre inepte ministre de la défense que « l’Ukraine pouvait gagner militairement » n’a aucun sens. Il semble inévitable que sur un strict plan militaire le sort de l’armée ukrainienne soit scellé. Et les vrais spécialistes qui s’efforcent à l’objectivité prévoient son effondrement prochain. La question est donc redevenue directement politique.

 

Attention aux réveils douloureux

Nous avons dit dans ces colonnes qu’après la chute de l’Union soviétique considérée comme une victoire, la volonté américaine de mettre en place un nouvel ordre international qui lui soit totalement subordonné, était à l’origine directe de la guerre en Ukraine. Si cet événement donne bien sûr le signal du déclenchement d’une nouvelle guerre froide, il lance peut-être aussi le processus de la fin de la domination occidentale sur le monde.

La prise de conscience du rapport de force militaire en Ukraine, et de l’impossibilité pour l’OTAN d’intervenir sans déclencher l’apocalypse, a réactivé la bonne vieille kremlinologie. Bien sûr Poutine est pire qu’Hitler, il va être renversé par un coup d’État, les militaires vont se révolter, le peuple va lancer une insurrection, et autres conjectures fantaisistes toutes marquées par l’incapacité à déchausser ses lunettes occidentales. Et bien sûr tout le monde espère que les sanctions économiques vont asphyxier la Russie et pousser son peuple à la révolte, en provoquant son isolement politique et moral sur l’ensemble de la planète.

Histoire de redevenir sérieux, on se permettra quelques observations sur ces sanctions. L’UE a immédiatement exécuté les ordres américains en refusant de prendre en compte l’évidence des dégâts en retour sur les économies européennes. Qui provoqueront nécessairement des troubles sociaux majeurs. De ce point de vue les États-Unis sont beaucoup plus tranquilles. Les discours qui prétendent que l’OTAN va sortir renforcé de la crise et que l’UE ne s’est jamais mieux porté, sont des plaisanteries. L’Alliance militaire atlantiste vient de faire une nouvelle démonstration, qu’elle était parfaitement capable de mettre le bazar partout, avant de lâcher ses amis et ses alliés en rase campagne. De leur côté les Allemands ont parfaitement vu l’ouverture et pris la décision de se réarmer, c’est-à-dire de flanquer leur domination économique, d’une domination militaire. Désolé, mais l’Histoire nous apprend que la situation ainsi créée peut provoquer des déséquilibres dangereux. Nous serions avisés d’avoir la mémoire de la façon dont ce genre de choses s’est déjà terminé à plusieurs reprises au siècle dernier. D’ailleurs le premier geste déloyal de notre cher partenaire de l’UE a été d’acheter des F35 américains au lieu et place des Rafales. On pourra ajouter aussi la mise en avant des pays illibéraux que l’on sanctionnait à tout-va il y a encore quelques semaines comme la Pologne, la Tchéquie ou la Hongrie. Que l’on traitera à nouveau en parias à la première occasion.

Et puis surtout cette façon de se gargariser à propos de l’isolement russe dans le monde finit par être le signe d’un aveuglement complet. À l’ONU, le vote de la condamnation de l’invasion russe, incontestable violation du droit international, a permis de bien évaluer les rapports de force. Il n’était pas possible bien sûr de la soutenir, mais les abstentions ont été quasiment majoritaires, en nombre de pays et de populations concernées. Les pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, ravis de voir l’arrogance américaine ainsi que celle de ses domestiques européens mise en cause se sont déclarés « neutres ». On pense au Pakistan relais historique des États-Unis dans cette région, ou au Japon qui refuse d’appliquer les sanctions économiques. Ou encore à l’Arabie Saoudite qui accepte désormais de se faire payer son pétrole en yuan. Sur ce dernier point l’étude des cartes démontre que seules l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Australie, c’est-à-dire le monde occidental, vont appliquer ces fameuse sanctions.

Il y a enfin l’étonnante pulsion suicidaire qui consiste à complètement gripper la globalisation pourtant organisée sous impulsion occidentale. Violer ses propres règles, se permettre n’importe quoi au plan du droit, ne pourra que se retourner contre ces occidentaux qui jusqu’à présent en profitaient. Le dollar va être fragilisé en tant que monnaie de réserve, les circuits économiques vont être lourdement affectés et d’autres vont évidemment se mettre en place. Il est possible que l’on assiste à l’effondrement du droit des brevets et de la propriété intellectuelle devenus d’ailleurs une confiscation inédite du savoir par l’Occident. Et de façon générale à une altération profonde de la régulation juridique de la globalisation. Et il n’est vraiment pas sûr que cette insécurité qui s’installe soit de l’intérêt de l’Occident.

 

Ukraine : l’Occident et le reste du monde

 

L’Occident et les Autres

Et ce d’autant que la construction d’un axe Chine/Russie, qui n’est certes pas une alliance militaire, constitue quand même un événement historique de portée considérable. L’Empire du milieu continuera à défendre ses intérêts, tout comme la Russie bien sûr. Mais ils viennent de s’accorder sur une analyse de la situation mondiale, et de prévoir leur coopération pour les 30 ans qui viennent. Tirant les conséquences du déclin de l’Amérique et de son comportement, ils affirment leur refus de sa prétention à rester le gendarme du monde. Depuis 30 ans les États-Unis et leurs alliés se sont tout permis, utilisant souvent une violence sans bornes, en piétinant le droit et la morale. La Russie et la Chine viennent de dire clairement qu’elles ne l’accepteraient plus. Il est probable que l’agression russe en soit le premier signal.

Il s’est déroulé un événement que notre presse mainstream provincialiste a totalement ignoré malgré son importance. Le 4 février 2022, à trois semaines de l’invasion russe en Ukraine, Vladimir Poutine et Xi Jiping ont adopté une déclaration commune que tout le monde aurait dû lire attentivement. Cela aurait peut-être permis d’être moins surpris. Cette longue déclaration reproduit les analyses convergentes des deux parties sur la situation du monde et la coopération qu’elles entendent mettre en œuvre dans l’avenir.

Elle est précédée d’un préambule on ne peut plus clair qui se termine par ces mots :

« Certains acteurs, qui ne représentent qu’une minorité à l’échelle internationale, continuent de préconiser des approches unilatérales pour traiter les questions internationales et de recourir à la force ; ils s’immiscent dans les affaires intérieures d’autres États, portant atteinte à leurs droits et intérêts légitimes, et incitent aux contradictions, aux différences et à la confrontation, entravant ainsi le développement et le progrès de l’humanité, contre la volonté de la Communauté internationale. »

L’historienne Sophie Bessis avait publié il y a 20 ans un livre intitulé : L’Occident et les autres dans lequel elle analysait la façon dont l’Occident dominait le monde depuis le XVe siècle : « l’Occident gouverne le monde depuis si longtemps que sa suprématie lui paraît naturelle. Elle est à ce point constitutive de son identité collective qu’on peut parler d’une véritable culture, sur laquelle les Occidentaux continuent de construire leurs rapports avec l’Autre : rien ne semble ébranler durablement la conviction qu’ils ont de leur supériorité. »

Pour les Chinois et les Russes, la « Communauté internationale » visée dans le préambule de leur déclaration commune, n’est pas celle, réduite à l’Occident, dont on nous rebat les oreilles, et nous nous gargarisons. C’est une nouvelle qui émerge et qui refuse la gouvernance de ces « certains acteurs » dont nous savons très bien qui les Chinois et les Russes visent avec cette formule.

La mondialisation était vue et voulue par l’Occident comme la version la plus récente de sa domination. À l’inverse, les « Autres » la veulent aujourd’hui comme un facteur de redistribution des cartes économiques mondiales.

Nous ferions bien d’ouvrir les yeux.

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20 mars 2022 7 20 /03 /mars /2022 06:01

Des intellectuels, des artistes, tirent la sonnette d'alarme.

 

Oui, il y a la guerre. Mais il se trouve qu’il y a aussi une campagne présidentielle. De qui cette situation fait les affaires, la chose est assez claire pour tout le monde. Une réélection sans campagne, quelle riche idée. Une campagne annulée par cas de force majeure, quelle providence. Nous avions compris que Macron avait pour idéal le renouvellement de son mandat par tacite reconduction. Qu’il y aurait une guerre et qu’il s’en servirait avec le dernier degré d’hypocrisie opportuniste, nous pouvions plus difficilement le voir venir. L’expérience historique enseigne assez qu’un état de guerre soude un pays pour le moins pire ou pour le pire – c’est-à-dire produit sur le débat public un effet comparable à celui d’une pelleteuse sur un parterre floral. On ne parle plus d’aucune autre chose, et on n’en parle plus que pour en dire la même chose.

 

Or une campagne est un moment où – en théorie… – toutes les autres choses reviennent à l’agenda, et avec elles leur charge de dissensus. Qu’elles en aient été si radicalement chassées est une situation d’une anomalie choquante. Elle l’est d’autant plus que nous voyons assez dans quel état de démolition le quinquennat a laissé le pays, et que s’il est une chose que le candidat-par-tacite-reconduction n’a pas cachée, c’est son «projeeeet» de poursuivre en pire. Comme Bourdieu l’avait fait remarquer très généralement à propos du néolibéralisme, il y a dans le macronisme un désir fanatique de détruire toutes les structures collectives, en particulier les services publics, et jusqu’à l’«Etat de politiques publiques» par cabinets de conseil interposés.

 

Une politique anti-sociale violente

 

La réalité après cinq ans de macronisme, c’est que l’hôpital est en ruine, la justice est en ruine, l’école est en ruine, les libertés publiques sont en ruine, la grande cause du féminisme est une blague, Make Our Planet Great Again est une énorme blague – mais la police est toute-puissante et la surveillance numérique en train de passer des caps orwelliens. La réalité de cinq ans de macronisme, c’est qu’on n’a jamais connu une politique anti-sociale d’une telle violence, si outrageusement occupée des riches, si acharnée à mépriser ceux qui ne le sont pas. Le macronisme nous aura fait découvrir les gilets jaunes qui font un repas tous les deux jours, les étudiants à la soupe populaire, les parents d’enfant décédé dont les jours de congé «pénalisent les entreprises»la recherche d’emploi en traversant la rue, la négation de l’assurance chômage transformée en férule à mettre les individus à la merci des employeurs – et le mensonge et la violence érigés en moyens ordinaires de gouvernement.

Emmanuel Macron en est si satisfait qu’il a l’intention de tout prolonger et de tout aggraver – on comprend que dans son esprit il n’y ait pas lieu d’en discuter puisqu’au menu il n’y a que du même en davantage. Pour toutes celles et ceux sur qui ce «même» va s’abattre, en revanche, on aimerait bien pouvoir en parler un peu : massacre des retraites, démolition de l’université, poursuite des cadeaux fiscaux aux entreprises, abandon des salariés à la vague d’inflation là où ni le capital ni le gouvernement ne lâcheront plus que quelques miettes sur le smic ou sur le point, approfondissement silencieux de la désertification des zones rurales par «rationalisation» (fermetures, regroupements, des services publics).

 

 

La démocratie de confiscation

 

Entré en campagne le plus tard possible, ayant avancé la date du premier tour au plus tôt possible, amateur de «débats» mais seulement devant des auditoires soigneusement composés, promoteur de conventions citoyennes dont il n’écoute rien, nous savons à quel type de «démocratie» va la faveur du candidat : la démocratie de confiscation, faite de conseils de défense, de procédures d’exception, de cabinets restreints, de majorités godillots et d’interviews de complaisance. Tout ceci qui avait déjà été particulièrement odieux pendant cinq ans, devient inadmissible en campagne électorale.

Seule l’idéologie des institutions peut faire croire que les élections sont des périodes de haute politique et de «débat». Passées à la moulinette médiatique, elles sont plutôt des machines à neutraliser et à divertir. Avant même l’Ukraine, le scandale des Ehpad aurait dû mettre tout le débat cul par-dessus tête en exposant le type de société dont le macronisme, en dépit de ses dénégations, est l’incarnation la plus achevée – et rien. Entre-temps, rapport du Giec – et rien. On peut ne pas se faire d’illusion mais ne pas se résigner non plus à ce que l’escamotage de tout prenne des proportions aussi colossales. Ce pouvoir, contesté comme aucun, aura usé et abusé des appels «démocratiques» à attendre patiemment les élections pour exprimer du dissentiment «avec un bulletin de vote». Voilà que le scrutin arrive… et la campagne est dérobée sous nos pieds. Derrière la stratégie de la «tacite reconduction», il y a dans la tête du reconduit des images d’autoroute ou d’open bar. Ne le laissons pas faire. Il se planque ? #OnVaLeChercher. #PasDeDébatPasDeMandat.

 

Signataires : Bruno Amable Economiste, Joseph Andras Ecrivain, Ariane Ascaride Actrice, Ludivine Bantigny Historienne, enseignante, Eva Barto Artiste, Allan Barte Dessinateur, Loriane Bellhasen Psychiatre, Mathieu Bellhasen Psychiatre, Laurent Binet Ecrivain, Stéphane Brizé Réalisateur, Olivier Cadiot Ecrivain, Aurélien Catin Ecrivain, François Cusset Historien des idées, Laurence De Cock Historienne, enseignante, Caroline De Haas Militante féministe, David Dufresne Ecrivain, réalisateur, Dominique Dupart Ecrivaine, professeure de littérature, Annie Ernaux Ecrivaine, François Gèze Editeur, Robert GuédiguianRéalisateur, Adèle Haenel Actrice, Chantal Jaquet Philosophe, Razmig Keucheyan Sociologue, Stathis Kouvelakis Philosophe, Mathilde Larrère Historienne, Jean-Jacques Lecercle Linguiste, Frédéric Lordon Philosophe, Sandra Lucbert Ecrivaine, Arnaud Maïsetti Ecrivain, Xavier Mathieu Acteur, militant, Guillaume Mazeau Historien, Daniel Mermet Journaliste, Jacques-Henri Michot Ecrivain, Olivier Neveux Philosophe, Ugo Palheta Sociologue, Willy Pelletier Sociologue, Fred Sochard Dessinateur, Barbara Stiegler Philosophe, Julien Théry Historien, Nicolas Vieillescazes Editeur, Gisèle Vienne Chorégraphe, Alice Zeniter Ecrivaine.

Source : Libération

 

 

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