On ne se souvient guère de Joseph Athanase « Paul » Doumer et de sa femme Blanche. On a tort. Doumer ne présidera la République qu’un an, jusqu’à son assassinat, en 1932, par l’émigré russe Paul Gorgulov.
Doumer était originaire du Quercy, d’origine très modeste (très tôt orphelin de père, mère femme de ménage). Gorgulov était un Russe blanc d'une famille aisée. Expulsé de France pour exercice illégal de la médecine, il obtient en septembre 1931 un permis de séjour délivré par la principauté de Monaco. Il déclare avoir assassiné le président de la République pour se venger de la France qui n’avait pas voulu se battre contre les bolcheviks en Russie. Sur lui, on trouva un carnet dans lequel était écrit : « Mémoire de Paul Gorgouloff, chef Président des fascistes russes. Qui a tué le Président de la République française ». Son procès dura deux jours. Il fut condamné à mort et guillotiné devant 3000 personnes, boulevard Arago. Pour Ilya Ehrenbourg, correspondant des Isvestia à Paris, le procès de Gorguloff était une introduction psychologique aux dix années qui suivent : « le mot de guerre se fait familier. Les hommes commencent partout à sombrer dans la cause. Plane une odeur de sang. »
Doumer est un exemple parfait de l’ascension républicaine. Après avoir obtenu son certificat d’études, il travaille comme coursier à douze ans. Il est ensuite ouvrier graveur. Il suit les cours du Conservatoire national des arts et métiers, passe le baccalauréat puis une licence de mathématiques. En 1877, il est nommé professeur au collège de Mende avant d’obtenir une licence en droit.
En 1878, il épouse Blanche Richel, la fille d’un inspecteur primaire, qui lui donnera huit enfants. Quatre mourront pendant la Première Guerre mondiale. Une de leurs filles mourra en 1918. Blanche Doumer portera le deuil jusqu’à sa mort.
Doumer entre en politique en 1885 sur une ligne politique radicale de gauche. Il est à l’origine d’un projet de loi sur un impôt sur le revenu. Comme la plupart des radicaux, il défendra la politique coloniale de la France.
La France avait eu Doumergue, elle a maintenant Doumer (une variante du même nom qui vient de Dominique). Les chansonniers s’en donnent à cœur-joie :
Nous avions Monsieur Doumergu’
Nous avons Monsieur Doumer
Et tout l’monde s’écrit : Ah mergue !
Si chaque fois on en perd
Un tout petit bout,
Un tout petit bout,
L’prochain s’nommera Monsieur Dou
Puis nous n’aurons plus rien du tout.
Paul Doumer est assassiné le 6 mai 1932, devant sa femme, lors de la vente de livres des Écrivains combattants.
Arrivé parmi les premiers à l’hôtel de Rothschild, le visiteur russe Pavel Gorguloff se fait remarquer par son comportement étrange. Après avoir acheté deux livres et s’être présenté sous le faux nom de Paul Brède, il continue en effet de rôder autour du stand de l’écrivain Claude Farrère. On lui demande de s’écarter à l’arrivée du président. D’un geste, Doumer écarte la poignée de policiers censés veiller sur sa sécurité : « J’aime mieux être bousculé que de faire bousculer les autres », dit-il. Le président traverse la première salle. Alors qu’il est sur le point de pénétrer dans la seconde, deux coups de feu se font entendre. Doumer s’écroule. Trois autres coups de feu suivent. L’homme à lunettes noires, prétendument blessé des yeux, continue tranquillement de tirer, sur le président abattu. S’ensuit une confusion indescriptible.
Une polémique sur les soins apportés au président après l’attentat ne tarde pas. Un chirurgien anonyme rapporte : « le président de la République française est mort, en 1932, treize heures après sa blessure dans un poste chirurgical moderne, d’une hémorragie artérielle tardivement traitée. Le diagnostic était certain (hémorragie, disparition du pouls). Il fallait lier l’artère d’extrême urgence et faire une ou deux transfusions. La ligature d’une artère est une opération simple, classique. Elle aurait dû être faite immédiatement avant tous les autres soins. Aucune des deux balles n’était mortelle. Un simple pecquenaud ramassé dans la rue et soigné par le plus humble des médecins de campagne s’en fût tiré ».
On envisage de faire entrer Doumer au Panthéon, la brutalité de sa mort effaçant sans doute sa courte présidence de onze mois. Blanche Doumer s’y oppose : « Je vous l'ai donné toute sa vie. Laissez-le-moi maintenant ». Doumer sera inhumé près de ses fils au cimetière de Vaugirard.
Blanche Doumer se retire de la vie publique. Désespérée, elle ne survit qu'un an à la mort de son époux. Renversée par une voiture en avril 1933, elle décède des suites de ses blessures dans des souffrances abominables.
On ne saura vraisemblablement jamais avec certitude si l’assassin de Doumer a agi seul ou si son bras a été armé par des comploteurs d’extrême droite ou d’extrême gauche.
Outre celui de Paul Doumer, la Troisième République aura connu de nombreux assassinats politiques. Avant lui, Sadi Carnot fut poignardé le 25 juin 1894 à Lyon par l’anarchiste italien Caserio. Le président Loubet échappa miraculeusement, à sa sortie de l’Opéra rue de Rohan le 31 mars 1905, à un attentat alors qu’il accompagnait le roi Alphonse XIII, visé par la bombe. Le 14 juillet 1922 avenue des Champs-Élysées, l’anarchiste Charles Jouvet tira plusieurs coups de revolver sur la voiture du préfet de police, qu’il confondit avec celle d’Alexandre Millerand, président de la République. Jean Jaurès fut assassiné le 31 juillet 1914 au Café du Croissant à Paris par le nationaliste Raoul Villain. Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères, mourut le 9 octobre 1934 à Marseille lors de l'attentat commis contre le roi Alexandre 1er de Yougoslavie.